Propagande islamiste : pas besoin d’aller dans les supermarchés, il y a pire sur Internet et sur les chaînes télé-satellite<!-- --> | Atlantico.fr
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Le propagande islamiste est très importante sur Internet.
Le propagande islamiste est très importante sur Internet.
©Reuters

Beaucoup de bruit...

La maison d'édition libanaise Albouraq a fait beaucoup parler d'elle en vendant dans quelque 1 000 grandes surfaces françaises des livres islamiques, dont certains comportent des passages invitant le lecteur au djihad ou à la punition des "hérétiques". Deux pétitions ont recueilli 18 000 signatures, qui demandent l'interdiction de leur vente.

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe, docteur d’État, hdr., est directeur de recherche à l’IRIS, spécialisé dans la communication, la cyberstratégie et l’intelligence économique, derniers livres : « L’art de la guerre idéologique » (le Cerf 2021) et  « Fake news Manip, infox et infodémie en 2021 » (VA éditeurs 2020).

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Atlantico :  Ces publications islamiques présentent-elles un danger aussi considérable pour la société française que les signataires des pétitions semblent vouloir le dire ? Pourquoi ?

François-Bernard Huyghe : N'ayant eu connaissance de ces livres et des extraits en question que par la presse, cela m'inspire une première remarque : soit ces livres tombent sous le coup du Code pénal, soit ce n'est pas le cas, et leur vente ne pose pas de problème. Autrement je ne vois pas au nom de quoi on pourrait les interdire.

Par ailleurs, moins il y a de livres interdits, plus on peut s'en satisfaire, car rien n'est plus dangereux que la censure. Notons que Carrefour joue l'arroseur arrosé : la chaîne a voulu créer des coins  "spécial ramadan" pour attirer une clientèle islamique. C'est un choix commercial, et s'il y a scandale, c'est l'affaire de leur service commercial. Si on veut interdire ces propos rapportés, il me semble qu'il faudrait alors interdire la Bible et le Coran pour incitation à la haine, à la guerre, à l'homophobie, etc. Il faudrait interdire la plupart des textes sacrés, alors. De plus, c'est une opération publicitaire fantastique pour l'éditeur, et pour les islamistes. Ils réussissent à se présenter comme faisant l'objet d'islamophobie, l'opération est donc totalement contreproductive pour les laïcs.

On s'excite beaucoup sur cette histoire, mais il serait préférable que la police soit compétente pour arrêter les personnes qui brulent des voitures ou provoquent des violences les soirs de match de foot ou en marge de manifestations, plutôt que de nourrir une obsession sur les livres ou les graffitis antisémites. Arrêtons les djihadistes, surveillons les potentiels Merah, mais cessons de perdre du temps à chaque inscription insultante.

Si des jeunes Français partent aujourd'hui en grand nombre en Syrie, n'est-ce pas davantage à cause de ce qu'ils sont amenés à lire sur internet ou à voir sur certaines chaînes de télévision ? Par quel processus exact se radicalisent-ils ?

François-Bernard Huyghe : Ce n'est pas la puissance de persuasion de ces livres qui va pousser des personnes à s'emparer de leur kalachnikov ou à passer en Syrie pour faire le djihad. Le processus est beaucoup plus complexe, il implique l'établissement de liens sociaux bien particuliers. Le passage à l'acte est le fruit d'un ensemble d'éléments :

  • un ressentiment considérable : les djihadistes d'origine occidentale ont toujours dit qu'ils voulaient venger les injustices subies par les musulmans de Palestine, de Tchétchénie, d'Irak ou d'ailleurs. Cette obsession est bien plus alimentée par des images télévisées que par des lectures religieuses ou parareligieuses.
  • des attente personnelles : un sentiment de persécution, une identification avec les "martyrs", une obéissance à des commandements divins.
  • un cheminement, qui se fait en grande partie en utilisant internet. Ce n'est pas internet qui donne l'envie de tuer des gens, mais le fait d'entrer dans une communauté au sein de laquelle haines et ressentiment sont amplement partagés. On passe de forums modérés à des forums plus radicaux, jusqu'à communiquer avec la branche la plus dure, et ainsi se sentir prêt à passer à l'action.

Réduire cela à l'influence de mauvais livres ma paraît fort réducteur, donc. Ce qu'il faudrait surtout, c'est que le ministère de l'Intérieur veille à assurer l'ordre républicain plutôt que de perdre son temps avec ce genre de polémique.

Aujourd'hui les livres ont-ils le même pouvoir idéologisant qu'autrefois ? Leur lecture est-elle le point de départ de la radicalisation, ou plutôt l'outil ?

François-Bernard Huyghe : Considérer que la radicalisation résulte de l'exposition à de mauvais messages, cela revient à adopter une vision simpliste de la psychologie humaine. Il faut des besoins, une communauté et tout un ensemble d'autres facteurs. Le danger de rentrer dans le processus de la censure me paraît bien supérieur.

Pourquoi un tel bruit, alors que les livres en question ne sont pas des brûlots pro-djihadistes dans leur intégralité, et qu'ils sont payants ? On trouve bien pire, et en toute gratuité, sur la toile…

François-Bernard Huyghe : On trouve bien pire et en toute gratuité sur la toile, effectivement. Cette audience est due au fait que ces livres aient été exposés dans des grandes surfaces, lieux où toutes les populations se croisent, et notamment les familles. On sait que dans le Coran il est beaucoup question de massacres, il n'est donc pas si surprenant que certains éléments rejaillissent dans des publications annexes. Ce qui a choqué, c'est que ces livres aient été exposés dans l'endroit par excellence où tous les Français se rendent. Mais les associations qui se sont mobilisées ont involontairement rendu un grand service aux islamistes.

Dans quelle mesure la surmédiatisation de cette vente de livres est-elle la traduction de notre incapacité en France à faire face au problème réel de l'islamisation de certains jeunes ? Se cache-t-on les vrais problèmes ?

François-Bernard Huyghe : Indéniablement on cherche à se cacher les vrais problèmes. L'islamisation progresse, plusieurs centaines de jeunes Français sont partis en Syrie, et on reste focalisé sur des affaires mineures d'écrits. Le vrai problème, c'est que bon nombre de jeunes se trouvent entre deux cultures, n'ont plus de repères, avec les conséquences que je viens d'indiquer.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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