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Profession de foi républicaine contre RSA : la proposition d’Edouard Courtial qui révèle la même déconnexion entre politiques et citoyens à droite qu’à gauche
©Flickr/ zigazou76

Pas un pour rattraper l’autre

Député LR, Edouard Courtial déposera cette semaine une proposition de loi visant à conditionner l'obtention des aides sociales à la signature d'un "engagement républicain". Selon le porte-parole du PS, cette mesure vise à "'insinuer grossièrement que ce sont les étrangers et les Français de culture musulmane qui bénéficient des aides sociales".

Nathalie Krikorian-Duronsoy

Nathalie Krikorian-Duronsoy

Nathalie Krikorian-Duronsoy est philosophe, analyste du discours politique et des idéologies.
 
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La France est un pays étrange où les choix politiques ont peu à voir avec le pragmatisme et beaucoup avec les orientations idéologiques des partis.

Le débat lancé hier dans la presse, suite à la proposition de loi d’Edouard Courtial visant à conditionner l’obtention d’une aide sociale à la signature d’« un engagement républicain », est à rapprocher d'un autre conflit : celui qu'a provoqué le vote de « la mesure » annoncée trois jours après les attentats terroristes du 13 novembre au Congrès de Versailles par François Hollande, comme devant « accompagner » le vote d’une révision de la Constitution. Ces deux démarches issues de deux camps opposés ont en commun le souhait de s’attaquer à une question, sans la poser.

Ne tombons pas néanmoins dans la facilité qui consisterait à s’en tenir aux apparences et à conclure que l’idée d’un « engagement républicain » comme celle de la « déchéance de nationalité » ne seraient que symboliques. Si dans les deux cas il est en effet question de symboles, les deux lois n’ayant pas de grandes conséquences pratiques, elles renvoient de manière implicite, à travers l’emploi des mots « nation » pour la « déchéance de nationalité » et « république » pour le « pacte républicain » à un sujet réel, central et problématique : le vivre-ensemble.

C’est du reste ce que précisait, dans le contexte des attentats islamistes du 13 novembre, le discours de François Hollande : « Nous le savons, et c’est cruel que de le dire, ce sont des Français qui ont tué vendredi d’autres Français. Il y a, vivant sur notre sol, des individus qui, de la délinquance passent à la radicalisation puis à la criminalité terroriste. Parfois, ils sont allés combattre en Syrie ou en Irak. Parfois ils forment des réseaux qui s’entraînent en fonction des circonstances… Nous devons donc nous défendre dans l’urgence et dans la durée. Il en va (…) de notre capacité de vivre ensemble. » C’est pourquoi disait-il, la « révision de la Constitution doit s’accompagner d’autres mesures. Il en va de la déchéance de nationalité. (…) La Constitution, c’est la charte commune, c’est le contrat qui unit tous les citoyens d’un même pays. Dès lors que la Constitution est le pacte collectif indispensable pour vivre ensemble, il est légitime que la Constitution comporte les réponses pour lutter contre ceux qui voudraient y porter atteinte. »

Mais tout est dans le non-dit chez François Hollande, qui parle de « radicalisation » sans en préciser la nature et ne désigne que par allusion la réalité des faits, autant qu’il ne se réfère à son penchant pour une société multiculturelle qu’avec discrétion lorsqu’il conclut : « Nous éradiquerons le terrorisme pour que la circulation des personnes, le brassage des cultures demeurent possibles et que la civilisation humaine s’en trouve enrichie. »

L’enrichissement par la différence des cultures, tel est l’idéal. Non pas celui d’une assimilation des individus à ce que certains nomment encore comme  Finkielkraut « la culture française », mais d’une espèce de coexistence des cultures dans le respect de chacune envers l’autre, qui se brassent sans se mélanger.

Problème : cette tentative de récupération du thème de la Nation, à travers l’idée d’unité nationale, pour répondre au terrorisme sans pouvoir rompre avec une vision communautariste fondée sur l’idéal différentialiste du socialisme français des années 80, échoue.

La gauche ne convainc pas et, avec François Hollande, elle est prise dans des contradictions indépassables.

Dès le 6 février, l’action du Président se traduit par 75% d’opinions défavorables, avec un petit 52% de soutien chez les sympathisants socialistes. 76% des Français pensent que « les positions des responsables politiques sur la déchéance de nationalité ne sont pas claires ».

Mais la déception de l’opinion traduit un décalage plus vaste entre un esprit public qui a évolué plus vite sur les questions du vivre-ensemble que l’ensemble de ses représentants, y compris à droite.

Les politiques ont du mal à percevoir la capacité d’adaptation des mentalités. La France de 2015, avec la crise européenne de l’immigration et la crise nationale de la sécurité, a vécu une véritable accélération de son histoire.

La demande d’unité du corps social qu’illustre la ferveur des manifestations de janvier et de novembre, dans toute la France, cette volonté d’union citoyenne, qu’on la nomme nationale, républicaine ou sociale, risque de se heurter aux choix politiques d’une droite qui y répond par le conflit et la fracture, tant elle paraît incapable de mettre du sens derrière les mots qu’elle emploie.
Il en est ainsi de la proposition de loi faite par Nicolas Sarkozy via monsieur Courtial. Certes elle rappelle que l’ancien Président de la République fut celui qui, sous les trois gouvernements de son quinquennat, de 2007 à 2012, créa un ministère dédié à la question de l’immigration alors que, par option idéologique, celle-ci a disparu du quinquennat de monsieur Hollande. Du reste, Nicolas Sarkozy se heurta à un mur d’incompréhension de la part d’une opinion publique qui assimilait encore la Nation au fascisme, la République à une évidence qui ne méritait pas qu’on s’y attarde, et pour qui parler de l’immigration c’était déjà faire preuve d’islamophobie.

Au contraire, c’est l’incapacité à traiter avec clarté la question de l’identité nationale, en la renouvelant à la lueur des événements récents, ainsi que le réclament les Français, qui pose aujourd’hui problème à la droite.

Le projet de loi sur la signature d’un « engagement républicain » vise des délinquants supposés responsables de fraudes sociales et entend s’en prémunir en engageant le signataire « à adhérer » au respect des « principes fondamentaux de la République française » : la laïcité, l'égalité homme-femme et l’obligation scolaire. Il pointe ainsi, sans pourtant le formuler, le fait qu’il y a en France des oppositions fortes à ces principes.

Par conséquent, si la proposition n’est pas dénuée de fondements, encore faudrait-il les nommer pour être crédible, et ne pas prêter le flanc aux critiques antiracistes, et aux attaques contre l’islamophobie venues de gauche comme de droite.

Rappeler les principes c’est bien, les réduire à une condition pour obtenir des droits c’est en méconnaître le sens ou vouloir les instrumentaliser dans l’idée de faire passer un autre message.

Renvoyer en miroir à la loi sur la « déchéance de nationalité » de François Hollande les choix qui furent ceux de la droite au pouvoir, lorsque fut instaurée par décret la signature d’une « charte des droits et devoirs du citoyen français » rappelant « les principes, valeurs et symboles essentiels de la République française », revient au fond à baliser le décalage immense entre l’attente des Français et ce qui est proposé de manière symbolique, parce que sans effet réel sur ce que l’on cherche à atteindre à gauche comme à droite.

Nicolas Sarkozy comme François Hollande se heurtent à des résistances dans leurs propres camps respectifs, autant qu’à la nécessité de calculs électoraux qu’ils s’infligent sans prendre en compte l’impact qu’ont eu sur l’opinion : la crise des migrants qui a révélé la faiblesse de l’Europe, et la crise de la sécurité liée à la menace quotidienne d’attentats islamistes.

Ces deux faits, crise des migrants et terrorisme islamiste, portent en effet un éclairage nouveau sur la traditionnelle question de l’immigration, par laquelle le conflit racistes contre antiracistes recoupait jusqu’alors l’opposition droite/gauche. De sorte que l’immigration fut longtemps un piège pour la droite libérale et républicaine. Ayant rompu avec l’idéal national, passé à l’extrême-droite après 1945, le discours de droite a succombé, vers la fin des années 80, à la domination d’une pensée de gauche qui dévalorisait l’idéal républicain d’une unité sociale fondée sur la laïcité.

C’est l’abandon du principe d’unité, fondé jusqu’en 1870 sur l’idéal révolutionnaire de la Nation, puis jusqu’en 1980 sur les idéaux républicains, qui conduit aujourd’hui à se poser la question du vivre-ensemble. Et à travers elle, à interroger la légitimité des mœurs françaises ou l’adhésion commune à un certain mode de vie, auxquelles les Français demeurent attachés, bien plus semble-t-il que ne le laissent supposer les réponses maladroites des partis politiques pour contrer ceux qui les rejettent. Le danger vient donc, sans doute, du fait que l’homogénéité nationale, faute de pouvoir être liée à l’égalité réelle des conditions qui demeure pourtant un mythe vivace à gauche, soit, au plan culturel, une condition nécessaire et peut-être indépassable, du gouvernement représentatif.

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