Printemps accidentel ou profond dérèglement ? Pourquoi les changements climatiques ne se passent pas tout à fait comme prévu<!-- --> | Atlantico.fr
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La pluie s'est encore invitée cette année à Roland Garros où de nombreux matches ont dû être interrompus.
La pluie s'est encore invitée cette année à Roland Garros où de nombreux matches ont dû être interrompus.
©Reuters

Cassandre

Alors que nombre de scientifiques nous promettent un réchauffement planétaire, l'Europe connaît un printemps très médiocre et a subi un hiver particulièrement vigoureux. Si les climato-sceptiques y voient la confirmation de leurs théories, les climatologues ne remettent pas en cause l'idée d'un réchauffement global.

Laurent Terray,Christian Gollier,Frédéric Decker et Christian Gérondeau

Laurent Terray,Christian Gollier,Frédéric Decker et Christian Gérondeau

Laurent Terray est climatologue, directeur de recherche au CERFACS. Il travaille actuellement au projet PRECLIDE, projet scientifique qui concerne la prévisibilité de l'évolution du climat sur les trente prochaines années.

Christian Gollier est économiste. Il est directeur de la Fondation Jean-Jacques Laffont - Toulouse Sciences Economiques, membre du Laboratoire d'Économie des Ressources Naturelles (LERNA).

Frédéric Decker est météorologue à "Météo News" et géographe. Il est observateur bénévole pour Météo France (à Sainte-Geneviève-des-Bois, Essonne) depuis 2003.

Christian Gérondeau est polytechnicien et expert indépendant. Climato-sceptique, il travaille depuis plus de dix ans sur les questions environnementales. Il est l'auteur du livre "Ecologie la fin" aux Editions du Toucan.

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Atlantico : Selon le climatologue américain Michael Mann, l’hémisphère nord de la planète devait franchir le record historique des 400 parties par million de dioxyde carbone au courant du mois de mai. Malgré la présence grandissante de CO2 dans l’air, l’Europe a connu un hiver particulièrement vigoureux et un printemps médiocre. Peut-on dire que le dérèglement climatique ne se passe pas comme nous l’avions prévu ? Pourquoi ?

Laurent Terray : Non, on ne peut absolument pas dire cela. Il n'y a aucune contradiction entre le fait d'avoir eu un hiver vigoureux et un printemps médiocre et un réchauffement du climat lié aux activités humaines. La météo et le climat ce n'est pas la même chose. Les variations du climat se regardent sur des tendances longues (> 30 ans) et non pas sur le fait qu'une saison soit plus chaude ou plus froide que la normale. En 2100, il y aura toujours des hivers "plus ou moins froids que la normale" ou des étés "plus ou moins chauds que la normale" mais la différence c'est que la normale sera plus chaude (lire l'article de Terray et Boé pour les chiffres pour la France).

Christian Gollier : Les scientifiques n’ont jamais dit que le changement climatique était pour tout de suite. Nous sommes passés de 280 ppm de CO2 à 400 aujourd’hui pratiquement. Il faudrait monter à 550tpm pour connaître des conséquences considérables aujourd’hui.

Le rapport Stern de 2007 dit que les dommages en pourcentage du PIB mondial sont infimes pour le moment mais d’ici 2050 devraient augmenter à 2 ou 3 % du PIB mondial et pourraient atteindre les 13% d’ici 2200. Nous sommes loin d’être confrontés à des problématiques climatiques instantanées. Mais étant donné l’inertie du système, on sait que cela va finir par arriver.

Il y a une réelle différence entre la perception de l’opinion publique qui a été un peu manipulée. Ceux qui souhaitaient mettre en place une politique immédiate de lutte contre le changement climatique, ont décrit des scénarios catastrophes à chaque vague de chaleur. Néanmoins, les vagues de chaleur que nous avons connues, tout comme la vague de froid de cet hivers, sont essentiellement des variations météorologique. Cela n’a rien à voir avec l’augmentation de la concentration de CO2. Par ailleurs, de tout temps nous avons connu des variations météorologiques.

Le problème est que les médias et certains scientifiques qui avaient un agenda politique ont chaque fois qu’il faisait très chaud estimé que cela était lié au changement climatique. La vérité est qu’il s’agit de variations météorologiques.

Frédéric Decker : Le climat n'étant pas linéaire, il est normal qu'il connaisse des hauts et des bas, réchauffement ou changement climatique ou non. Cet hiver et ce printemps froids ne remettent donc pas forcément en cause le "changement climatique". Il est vrai que le réchauffement est moindre que prévu sur la dernière décennie, mais la période 2000-2010 est malgré tout la décennie la plus chaude depuis plusieurs siècles, sans doute même depuis l'optimum médiéval (période de réchauffement) qui s'est produit entre les années 800 et 1300 après JC. Il semblerait que les modèles climatiques, plus particulièrement ceux utilisés par le Giec, ne prenaient pas assez en compte les paramètres naturels, tels que l'activité solaire par exemple. Celle-ci ayant été très faible ces dernières années, le réchauffement a été plus faible qu'annoncé.

Christian Gerondeau : Le problème est là. Tout est parti d’une hypothèse selon laquelle la concentration de gaz carbonique dans l’atmosphère avait une influence sur le climat. Cette hypothèse n’est pas prouvée. Il y a en effet de plus en plus de gaz carbonique dans l’atmosphère, mais est-ce que cela a une influence sur le climat ? Nous n’en avons aucune idée. On sait en revanche que depuis près de 15 ans, la température de la terre ne se réchauffe plus. Personne ne le nie.

De 1975 à l’an 2000, il y a effectivement eu un réchauffement des températures. Or, ce n’est plus le cas, ce qui dément la théorie du réchauffement planétaire. 

Les faibles températures hivernales peuvent-elles, à elles seules, remettre en cause la théorie du réchauffement climatique ?

Laurent Terray : Non, absolument pas. Ni d'ailleurs le soi-disant ralentissement sur 10 ans du réchauffement de surface.

Frédéric Decker : Non. Les chauds et froids font partie de la variabilité naturelle du climat. De plus, même si nous connaissons une période froide étonnamment longue (depuis mi-janvier presque sans discontinuer en France par exemple), nous restons très loin des records de froid. En France, le réchauffement s'est brusquement déclenché à partir de 1988. Il n'était pas rare, avant cette année-là, de connaître des périodes aussi froides et même plus froides qu'en 2013, surtout dans les années 1960, 1970 et jusqu'au début des années 1980.

D'autre part, si la Russie, l'Europe et une partie de l'Amérique du Nord connaissent des basses températures depuis quelques mois, le Moyen-Orient, le sud de l'Asie, l'Australie, le Brésil, l'Amérique Centrale, le Groenland, l'est du Québec et l'Alaska subissent au contraire des valeurs supérieures aux normales depuis plusieurs mois. Il s'agit donc de variations locales et non globales. La tendance globale reste la même à l'échelle planétaire, avec un écart thermique positif ces 4 à 5 derniers mois.

Christian Gerondeau : Non, bien sûr ces températures ne suffisent pas à remettre en cause la théorie du réchauffement climatique. Il faut se fonder sur les données enregistrées par les satellites. Je le rappelle cela fait 15 ans que la température moyenne sur l’ensemble de le Terre n’augmente plus.

Même sur une échelle de temps plus longue, on ne peut pas parler de réchauffement. Il y a en fait des variations climatiques qui ont toujours existé. Du temps des cathédrales, les récoltes étaient abondantes et du temps de louis XIV en revanche, c’était le contraire. On traversait la Seine à pied tous les hivers car elle était gelée.

Les dernières études du Groupe d'experts Intergouvernemental sur l'Évolution du Climat (Giec), évoquent qu'en cas de stabilisation du CO2 entre 400 ppm et 440 ppm sur le long terme, cela provoquerait une augmentation moyenne de la température terrestre de 2,4 °C à 2,8 °C. Le climat peut-il se prévoir de manière aussi fiable que la météo par exemple ?

Laurent Terray : Le climat peut paradoxalement être plus prévisible que la météo. Par exemple, je peux vous prédire qu'en France en 2050,  l'été  sera plus chaud que l'hiver. Autrement dit, pour le climat, ce qui compte, c'est la variation du bilan d'énergie (dans l'exemple précédent, ce sont simplement les variations d'ensoleillement liées au cycle saisonnier). Dans la cas des gaz à effet de serre (GES), on ne sait pas prédire l'évolution des émissions des GES (couplage homme/climat). C'est pourquoi les climatologues utilisent des scénarios d'émission des GES contrastés et plausibles, sans leur attacher de probabilité. Cela permet de présenter ce que j'appellerais "Le climat à la carte": on continue buisness as usual et on a le scénario RCP8.5 ce qui nous donne 4°C en plus pour la France pour le climat de la fin du 21ième siècle. On est beaucoup plus raisonnable, on a alors le scénario 2.6 et on garde le réchauffement global sous les deux degrés. Voir encore le papier CRG pour les détails.

Christian Gollier : Non, on ne peut pas prévoir les variations de manière aussi précise et tous les scientifiques sérieux reconnaissent l’incertitude qu’il existe sur les variations climatiques et l’effet que ces variations climatiques auront sur la vie des générations futures et des dommages auxquels elles seront confrontées. Rien n’exclut que d’ici là, des possibilités d’adaptation ait été développées.

Il est difficile de prévoir tant du point de vue des sciences du climat, que du point de vue des sciences humaines. Il est difficile de mesurer les conséquences de cette augmentation de concentration de CO2 sur le bien être des générations futures.

Frédéric Decker : Comme on l'a vu, les projections pour les années 2000 se sont avérées inexatces. Le réchauffement a été plus faible que prévu, même si cette décennie a battu les années 1990. Les modèles climatiques ne se basent pas suffisamment sur les phénomènes naturels, susceptibles de changer la donne. L'activité solaire notamment en fait partie. Si la baisse de l’activité de notre étoile n'arrive pas rééquilibrer le mercure par rapport au réchauffement, elle a réussi néanmoins à la ralentir. D'autre part, une activité volcanique pourrait avoir des conséquences notables sur le climat. Une succession de violentes éruptions pourraient même refroidir l'atmosphère, comme cela a déjà été le cas dans le passé, par exemple en 1816, 1884 et dans une moindre mesure en 1992.
Il est donc très difficile de prévoir l'évolution du climat, la fiabilité des modèles climatiques pour le siècle à venir est plus que discutable, d'autant que les projections différent énormément d'un institut à l'autre !

Christian Gérondeau : On ne prévoit pas le climat comme la météo. La météo réalise des prévisions sur une à deux semaines et on sait à peu près le temps qu’il va faire. Sur les changements climatiques, en revanche, on ne sait rien. Le Giec avait prévu qu’avec l’augmentation du CO2, on assisterait à un réchauffement climatique. Or, il faut être modeste, on ne peut pas le prévoir. Le Giec propose des modèles mathématiques mais en réalité on ne sait pas ce qui va se passer pour la planète.  

Comment expliquer les nombreuses théories, parfois contradictoires, sur le réchauffement climatique ? Pourquoi les scientifiques ne parviennent-ils pas à un consensus sur ce sujet ?

Laurent Terray : Il y a un large consensus sur les causes du réchauffement récent et en particulier sur l'importance de la contribution des activités humaines dans ce réchauffement. Les quelques voix qui réfutent encore le rôle des GES, sont en général des personnes dont les connaissances des sciences du climat, des observations et de la modélisation sont plus que fragmentaires.

Christian Gollier : Je pense que nous sommes face à trois incertitudes. Existe-t-il un lien entre l’augmentation de la concentration de CO2 dans l’air et l’activité humaine ? Aujourd’hui, tout le monde est d’accord pour dire que la cause est essentiellement humaine. Existe-t-il un lien l’augmentation de la concentration de CO2 et les dérèglements climatiques ? Oui, je pense que l’essentiel des scientifiques peuvent dire qu’il y a une relation positive entre l’augmentation de concentration de CO2 et la température de la Terre. Est-ce que le changement climatique aura des effets négatifs sur l’activité humaine ? Certaines personnes estiment qu’une petite variation des températures pourraient avoir des effets favorables sur la productivité agricole, mais une augmentation supérieure à 1 degré aurait des effets potentiellement catastrophique.

La question n’est plus de savoir si l’activité humaine cause des dommages mais quels seront les conséquences de ces dommages. Aujourd’hui, aucun scientifique ne peut assurer les dommages. L’essentiel des scientifiques font preuve de beaucoup de plus de modestie quant à l’incertitude pour évaluer l’intensité réelle du dommage.

Frédéric Decker :Il y a plusieurs catégories de scientifiques climatologues : ceux du Giec font partie de ceux qui croient presque aveuglément en ce réchauffement et à sa poursuite. Il y a les "sceptiques" qui ne nient pas le réchauffement, mais qui hésitent quant à l'évolution du climat à venir. Et il y a des climatologues persuadés que nous sommes à l'aube d'une nouvelle ère glaciaire, ce qui en soit n'est pas faux puisque nous sommes en pleine période interglaciaire. Mais le processus de refroidissement prend un temps beaucoup trop long pour qu'il soit mesurable à l'échelle d'une vie humaine.

Le climat est une machine très complexe que personne n'arrive à cerner. On ne s'explique pas trop pourquoi, par exemple, le climat s'est refroidi de l'après-guerre jusqu'aux portes des années 1980 (à l'échelon global et aussi local en France)... en pleine expansion démographique et en pleine révolution industrielle ! Il faut avouer aussi que si on ne l'explique pas, c'est aussi parce que certains l'"oublient" sans doute volontairement puisque cette période entre en contradiction avec ce réchauffement dont on parle tant.
Les scientifiques ne s'accorderont sans doute jamais sur une pensée unique concernant le climat et son évolution. Et tant mieux car c'est un débat passionnant.

Christian Gerondeau : Il n’y a pas de consensus parce qu’on ne sait pas. Les scientifiques qui ont obtenu le pouvoir, sont persuadés que le gaz carbonique a une influence néfaste sur l’évolution de la planète. Mais leurs convictions se basent sur le fait qu’entre 1975 et l’an 2000, il y a effectivement eu un mini-réchauffement des températures en même temps qu’une augmentation du gaz carbonique.  Simplement c’était une hypothèse qui n’est aujourd’hui pas confirmée. A l’heure actuelle de nombreux scientifiques vous diront que rien n’a été prouvé, d’où les débats dans toutes les académies des sciences.

Le problème c’est que tous les scientifiques qui ont pris le pouvoir que soit au sein du Giec ou dans les ministères de l’Environnement, sont des gens convaincus que l’augmentation de gaz carbonique ne pouvait avoir que des effets négatifs.

L'ouvrage "Climat : 15 vérités qui dérangent" remet en cause l'indépendance et la composition du Giec, trop souvent décrit comme une organisation scientifique, alors qu'il s'agirait, selon les auteurs, davantage d'une organisation politique. Peut-on faire confiance au Giec ? Lui accorde-t-on trop d'importance ?

Laurent Terray : Le Giec fait une synthèse des connaissances scientifiques avec un processus de review multiple qui n'a pas d'équivalent dans aucun autre domaine scientifique. Les scientifiques qui participent bénévolement à ce travail titanesque n'ont aucun agenda caché. La pseudo-théorie du complot est une sinistre fable, colportée par des individus qui déshonorent l'ethique scientifique.

Christian Gollier : Le problème est le suivant : le progrès scientifique se fait par la compétition des idées, par des controverses qui se résolvent grâce à des expérimentations, des conférences scientifiques, etc.. de cette confrontation on obtient une certaine vérité. Le Giec ne s’inscrit pas du tout dans ce schéma. Le Giec est une institution qui cherche à trouver du compromis dans les idées.Je suis moi-même membre du Giec et j’estime qu’il y a un réel problème. Comment organiser une gouvernance pour faire émerger une vérité moyenne. Le Giec n’a pas vocation à dire qui a raison, donc le résultat est XXX où l’on met sur la table tous les résultats possibles sans réellement les prioriser en fonction de leur degré de ressemblance. Par exemple sur le chapitre que j’écris actuellement pour le Giec, j’ai 150 questions de reviewers d’horizons très différents.

Des lobbystes, des scientifiques, des représentants de pays qui ont manifestement des agendas politiques. Nous subissons des influences. Certaines questions me demandent pourquoi je ne cite pas tel ou tel article et qui ont certainement moins de poids que des articles publiés par des auteurs de grand renom dans des grandes revues scientifiques. Alors on va nous dire qu’il faut de la diversité. Mais comment pondérer des auteurs inconnus qui écrivent dans des revues inconnues ?

Comment relativiser ces différentes vérités ? D’un point de vue scientifique cela peut prendre des années et le Giec essaye d’outrepasser cette logique scientifique pour accélérer l'agenda. Avec en conséquence des choses qui font grincer des dents. Je n’ai pas de solution, je sais que depuis 5e siècle, la vérité scientifique n’émerge pas de mécanismes politiques comme celui du Giec. C’est vrai. Mais l’utilité du Giec est d’organiser un débat politique sur des bases scientifiques qui ont une certaine solidité.

Frédéric Decker : Je ne fais pas parti des partisans du Giec, organisation devenue trop "écolo-économico-politique" plutôt que scientifique. Elle est souvent décriée, pas forcément à tort. Personnellement, je ne fais pas vraiment confiance au Giec. Ayant réalisé quelques études climatiques à titre personnel, je n'arrive pas aux mêmes conclusions que cette organisation. Et je pense qu'effectivement on lui accorde trop d'importance. Mais les enjeux économiques et industriels sont tels que le Giec a sans doute encore de beaux jours devant lui...

Christian Gerondeau : Le Giec n’est pas composé d’experts mais de représentants des gouvernements. On ne peut sûrement pas leur faire confiance, il ne s’agit pas d’un organisme d’expertise. 

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