Présidentielle 2022 : Emmanuel Macron et la statégie de la gamelle<!-- --> | Atlantico.fr
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Dans une interview publiée le 9 février 2022, Eric Woerth a annoncé qu'il soutiendrait Emmanuel Macron plutôt que Valérie Pecresse pour l'élection présidentielle.
Dans une interview publiée le 9 février 2022, Eric Woerth a annoncé qu'il soutiendrait Emmanuel Macron plutôt que Valérie Pecresse pour l'élection présidentielle.
©LOIC VENANCE / AFP

Puissance de la gamelle

C’est fou : la sphère politicienne macroniste est en passe de s’étendre de la socialie la plus solférinienne à la droite LR la plus sarkozyste ; de François Rebsamen et Claude Bartolone à Éric Woerth !

Nathalie MP Meyer

Nathalie MP Meyer

Nathalie MP Meyer est née en 1962. Elle est diplômée de l’ESSEC et a travaillé dans le secteur de la banque et l’assurance. Depuis 2015, elle tient Le Blog de Nathalie MP avec l’objectif de faire connaître le libéralisme et d’expliquer en quoi il constituerait une réponse adaptée aux problèmes actuels de la France aussi bien sur le plan des libertés individuelles que sur celui de la prospérité économique générale.
 
https://leblogdenathaliemp.com/

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Pour les deux premiers, respectivement ministre du Travail et président de l’Assemblée nationale à l’époque du quinquennat Hollande, le ralliement n’est pas encore totalement officiel. Mais pour Woerth, c’est fait : l’ancien ministre de Chirac et Sarkozy et actuel député LR a annoncé avant-hier qu’il allait se mettre en congé des Républicains et soutenir Emmanuel Macron contre Valérie Pécresse.

Vous vous doutez bien que ce petit revirement de dernière minute à tout juste huit semaines de l’élection n’a pas été décidé sur un coup de tête. « C’est le fruit d’une longue réflexion »a confié le nouveau compagnon de route des Marcheurs au quotidien Le Parisien.

Reconnaissons qu’il a bien caché son jeu. Pendant cinq ans à la tête de la Commission des Finances de l’Assemblée nationale, on l’a plutôt entendu dénoncer les « abandons » en forme de « panique à bord » d’un président « flou sur tout » et la dérive préoccupante des finances publiques orchestrée par son gouvernement.

Mais voilà, depuis, M. Woerth a regardé les sondages – non, pardon, il a réfléchi et il a changé d’avis :

« Je pense qu’il (Macron) est le mieux à même de défendre l’intérêt de la France et des Français. »

« Il n’a pas dépensé plus que les autres présidents. Contrairement à ce que j’ai pu lire, il n’a pas ‘cramé la caisse’. »


On tombe à la renverse. Que dire ? 

Les proches d’Emmanuel Macron ont une formule pour cela : c’est la « puissance de la gamelle ». Accordons-leur qu’ils savent de quoi ils parlent.

En 2017 déjà, Emmanuel Macron n’avait pas lésiné sur la distribution très « en même temps » de postes et d’investitures pour répondre aux nombreuses demandes d’asile politique qui lui sont parvenues de la gauche dans la foulée de la victoire du socialiste frondeur Benoît Hamon lors de la primaire de gauche, puis de la droite quand l’affaire des emplois fictifs de son épouse a plongé le candidat des Républicains François Fillon dans la tourmente. 

Inutile de dire qu’à l’époque, avoir proclamé auparavant qu’il n’était qu’une « bulle de savon »(Bayrou) ou qu’il « n’assume rien mais promet tout »(Philippe) – et j’en passe – n’était nullement un motif de rejet. L’important n’était pas d’être en alignement programmatique sincère pour réformer la France mais en alignement d’intérêts pour accéder au pouvoir. 

On dirait aujourd’hui que l’histoire se répète. Du côté gauche, il semble clair que la candidature de Taubira et la primaire citoyenne ne sont en rien parvenues à rassembler un camp profondément divisé et en perte de vitesse. D’où des ralliements réalisés ou attendus qui permettent de redonner un avenir à l’ancien personnel politique d’un PS actuellement en mort cérébrale.

Des ralliements dont, de son côté, Emmanuel Macron a impérativement besoin pour contrebalancer les ouvertures à droite destinées à affaiblir au maximum la candidate LR Valérie Pécresse. L’idée, c’est toujours de se retrouver face à Marine Le Pen au second tour, c’est toujours de faire barrage à la droite et l’extrême-droite, mais si possible sans s’aliéner les électeurs de gauche, ceux de Jean-Luc Mélenchon notamment, qui voient dans Emmanuel Macron un représentant de plus de la droite néolibérale la plus décomplexée.

Pure stratégie électorale que tout cela. La France attendra. Mais n’accablons pas totalement Emmanuel Macron ; le PS et LR ont une immense part de responsabilité dans cette situation délétère.

Le Parti socialiste aurait pu réaliser son Bad Godesberg, autrement dit sa rupture franche avec le marxisme par adoption de la social-démocratie comme l’a fait le SPD allemand en 1959, au lieu de laisser à Emmanuel Macron toute latitude, et tout succès, pour le faire. Quant aux Républicains, confrontés à l’étatisme grandissant de l’extrême-droite et à la social-démocratie d’une partie de plus en plus importante de la gauche, ils auraient pu abandonner la part dirigiste de l’héritage gaulliste pour proposer un programme affirmé de démocratie libérale. 

Rien de tout ceci ne s’est produit et la confusion idéologique domine.

À droite, il n’est d’ailleurs que de lire les réactions qui ont suivi la défection d’Éric Woerth pour comprendre que ce parti, un peu à l’image de sa candidate d’ailleurs, ne sait plus où il en est. Pour le député LR du Vaucluse Julien Aubert par exemple, les options économiques du nouveau marcheur, options qu’il ne partage pas, sont « néolibérales et orthodoxes »d’où son tropisme macronien. 

On ne pourra certes pas accuser Julien Aubert de libéralisme exacerbé, bien au contraire. Du reste, Éric Woerth lui-même est des plus modéré en ce domaine. Ne préconisait-il pas la création d’un livret C comme Coronavirus sur le modèle du livret A afin d’orienter les excédents d’épargne des Français vers l’investissement ? Histoire de renforcer encore un peu plus le rôle discrétionnaire que l’État détient dans le financement de l’économie grâce à la Banque publique d’investissement (BPI), j’imagine.

Et puis combien de fois faudra-t-il dire qu’Emmanuel Macron n’est pas le moins du monde libéral ? Qu’il est au contraire le représentant parfait d’un État social-démocrate envahissant et dirigiste, à la fois providence et stratège ? Qu’il ne considère le capitalisme que dans la mesure où celui-ci accepte d’en passer par ses plans (de relance, de développement, de transition énergétique, de transformation sociale, etc.) et continue de financer sans broncher ce dirigisme même ?

Mais le plus navrant, le plus profondément minable dans cette histoire d’appel de la gamelle, ne serait-ce pas finalement de constater à quel point l’entourage d’Emmanuel Macron n’a aucun scrupule à glisser aux journalistes cette formulation éminemment péjorative, éminemment méprisante, à propos des personnalités politiques que LREM parvient à débaucher à son propre profit ? 

Gérald Darmanin nous a donné cette semaine un excellent aperçu du complexe de supériorité qui déborde perpétuellement des cercles macronistes. Le ministre de l’Intérieur est tellement certain de la haute qualité des décisions du gouvernement, tellement certain de savoir mieux que les Français eux-mêmes ce qui est bon pour eux, tellement certain de savoir exactement ce qu’ils pensent et ce qu’ils veulent qu’il n’imagine même pas qu’un seul Français puisse se déclarer insatisfait du président de la République.

Il en est tellement convaincu que lorsqu’on lui met sous les yeux les résultats mitigés ou carrément mauvais de son ministère en matière de lutte contre les atteintes aux personnes, il s’emporte et, révélant sa médiocrité intrinsèque, devient méchant, insultant et méprisant, renvoyant l’interlocuteur à un supposé parti pris d’extrême-droite et l’accusant d’agressivité – ainsi que la journaliste Apolline de Malherbe a pu en faire l’intéressante expérience récemment.

Rien que de très courant, il faut le souligner, surtout quand les hommes de gouvernement se sentent fondés à tout diriger à leur gré sous le couvert du haut patronage du bien commun et finissent systématiquement par prendre les autres pour leurs obligés.

« Le pouvoir tend à corrompre et le pouvoir absolu corrompt absolument » – l’avertissement lancé en 1887 par Lord Acton reste d’une actualité frappante à travers ces petits épisodes ordinaires, trop ordinaires, de la vie politique. Et il vient nous rappeler opportunément que la maturité politique consisterait non pas à s’en remettre pieds et poings liés à un « sauveur », peu importe son credo, mais à œuvrer à la limitation du pouvoir exécutif par des contre-pouvoirs alertes et vraiment indépendants.

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