Préjugés ou lucidité ? Ce qui se cache vraiment derrière les descriptions occidentales apocalyptico-ironiques de la Russie de Sotchi<!-- --> | Atlantico.fr
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Beaucoup de médias attendaient le gouvernement russe au tournant de Sotchi.
Beaucoup de médias attendaient le gouvernement russe au tournant de Sotchi.
©Reuters

Orgueil et préjugés

Quelques jours après l'ouverture des Jeux Olympiques d'hiver, Sotchi est la cible de toutes les critiques occidentales. De nombreux articles de presse témoignent des préjugés des journalistes occidentaux à l'égard de la Russie.

Atlantico : Depuis l'ouverture des jeux, les médias étrangers s'en sont donné à cœur joie dans la critique, allant des peintures dans les chambres d'hôtel à la qualité de l'eau, en passant par le confort des oreillers, au point qu'un compte Twitter @SochiProblems est né. Qu'est-ce que cette réaction révèle des préjugés qu'ont les occidentaux à l'égard de la Russie ? Peut-on parler d'un Russie-bashing de la part des journalistes occidentaux ?

Julien Vercueil : La Russie souffre de préjugés négatifs en Occident, c'est une évidence, même si l'intensité des préjugés varie suivant les pays considérés. En France, certains médias (pas tous, il ne faut pas caricaturer la caricature) ont tendance à réduire le pays, dans sa complexité, à quelques raccourcis dont certains sont depuis longtemps dépassés sur le terrain. Finalement, ces raccourcis en disent plus long sur ceux qui les propagent que sur la Russie elle-même. Ils devraient inviter les journalistes à passer plus de temps sur le terrain pour confronter leurs pré-conceptions aux observations concrètes que l'on peut y faire.

Laurent Vinatier Personne ne croyait au fait que les J.O. de Sotchi allaient se dérouler, que les russes puissent réussir à tout faire en temps et en heure. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'il y a une mauvaise foi russe. On a une vision en occident selon laquelle il y a un bluff russe. En Europe, on perçoit les russes comme se pensant eux-mêmes plus fort qu'ils ne le sont. C'est extrêmement énervant, c'est comme si les occidentaux reprochaient aux russes de ne pas être assez clairvoyants pour se rendre compte de leurs faiblesses. C'est pour ça que tout le monde attendait le gouvernement russe au tournant de Sotchi. Ceux qui connaissent vraiment la Russie savent bien que c'est bricolé, qu'il y a des abus, que personne n'ose prendre d'initiatives parce que tout le monde a peur du chef. Ce qui énerve les occidentaux c'est que, encore une fois, la Russie va faire illusion.

Ce n'est pas un acharnement, c'est un sport quotidien. Une énorme majorité des journalistes occidentaux se complaisent à critiquer la Russie à chaque fois que c'est possible. Ça ne tient pas seulement aux J.O., parce que les journalistes occidentaux qui connaissent vraiment la Russie se rendent compte de la faiblesse du pays, du bluff de la Russie. Le plus énervant est donc que le spectateur lambda ne va pas voir cette illusion. 

Qu'en déduire des relations entre Occident et Russie ?

Julien Vercueil : Fort heureusement, le mauvais journalisme n'est que rarement le reflet des relations entre deux pays. Les liens universitaires et culturels, les échanges d'étudiants, les expatriations professionnelles, les relations d'affaires prennent de l'ampleur avec la Russie, ce qui contribue à en diffuser une autre image à l'étranger. On ne peut donc rien déduire d'absolu sur la relation Occident-Russie à partir de quelques articles.  

Laurent VinatierIl faut bien distinguer ce que font les journalistes et ce que font les chercheurs et hommes politiques. C'est très différent. Il ne faut pas surestimer l'influence des journalistes. Les hommes politiques se rendent compte aussi que la Russie fait illusion et qu'elle a des problèmes structurels qu'elle n'aborde pas et qu'elle fait croire à tout le monde qu'elle est une puissance régionale et mondiale. Mais évidemment ça ne veut pas dire que c'est à cause de ça que les relations entre Occident et Russie sont négatives. Les relations évoluent selon des critères objectifs.

Pourtant, des sujets plus importants auraient pu émerger, comme le droit des homosexuels ou la corruption lors de la mise en place des JO de Sotchi. Comment expliquer que ces banalités l'emportent sur la géopolitique ? Est-ce la signification qu'il y a du vrai dans ces reproches ?

Julien Vercueil : Mais ces sujets sont traités, justement. Qui peut aujourd'hui ignorer le rôle de la corruption dans l'augmentation de la facture des infrastructures pour les J.O. ? On peut depuis assez longtemps trouver des articles qui, comme pour les J.O. de Pékin en 2008, tentent d'évaluer l'impact diplomatique, touristique ou régional de l'organisation des jeux de Sotchi.

Il n'empêche : le bilan qui sera fait a posteriori de l'influence des jeux sur l'image de la Russie sera plus intéressant que toutes les spéculations faites à chaud, qui sont parfois anecdotiques. Il faut donc prendre le temps nécessaire à l'analyse. 

Laurent Vinatier : Ces banalités l'emportent probablement parce qu'elles sont ce qu'il y a de plus visible à l'heure actuelle. Il y a eu des sujets qui ont été faits sur les problématiques environnementales. Ces sujets ont été traités en amont, donc on ne souhaite pas revenir dessus. Aujourd'hui on se concentre sur les choses pratiques qui sont visibles, à portée de main et qui font parler.

Bien sûr qu'il y a une part de vérité. Par exemple sur les affaires de l'Ukraine et de l'Arménie, on ne va pas constituer une union douanière fondée sur la force, ça révèle d'une grande faiblesse. Mais ça, seuls les hommes politiques, les experts, les chercheurs informés, sont en mesure de le voir. Le grand public ne le voit pas ! Tous ces reproches sont fondés mais attention à ne pas exagérer, tout reste une question de point de vue. Les journalistes se focalisent sur les petites choses qui ne vont pas au quotidien à Sotchi mais c'est une manière de faire du bruit. On est là dans le contingent. Après, il est vrai que la Russie a des problèmes structurels.

Pour Vladimir Iakounine, PDG de la compagnie des chemins de fer russes, les journalistes occidentaux nourrissent l'hystérie autour de la Russie : "C'est plutôt un désir de souiller tout ce qui concerne l'effort massif pour se préparer aux Jeux d'hiver, et de créer une atmosphère négative pour les athlètes et les invités olympiques". Que penser d'une pareille analyse ?

Julien Vercueil : Les autorités russes sont très conscientes de l'enjeu que représente la réussite des J.O. de Sotchi pour l'image de la Russie à l'échelle internationale. L'enjeu est accru par le contexte économique moins favorable qu'auparavant pour une Russie qui souhaite reprendre une partie du terrain perdu en termes d'influence régionale et internationale. Il est aussi plus vif dans une situation diplomatique où de nouveaux sujets de tension avec les pays occidentaux sont apparus. Enfin, les jeux olympiques placent le pays organisateur sous les projecteurs du monde : qu'ils soient une réussite, et le "soft power" du pays s'en trouvera conforté ; qu'ils connaissent l'échec, et l'image du pays en sera dégradée. Il ne s'agit pas ici simplement du prestige du président Poutine, personnellement impliqué dans le projet des jeux à Sotchi. Il s'agit aussi de la possibilité de faire de la Russie un pays plus attractif pour le tourisme et les entreprises étrangères. Ceci peut expliquer la nervosité actuelle de certains dirigeants, illustrée par votre citation. L'après Sotchi constituera un test quant à la capacité des autorités à récolter les dividendes, en termes d'attractivité, d'un investissement qui reste considérable à l'échelle du pays.

Laurent Vinatier : Cette analyse n'est pas fausse. C'est assez paradoxal et très révélateur. D'une part Iakounine a raison, évidemment que ça crée un malaise et ça pourrit l'ambiance, bien évidemment, mais d'autre part, c'est le travail des journalistes de dire ce que l'Etat russe n'a pas forcément envie d'entendre. Donc, par cette situation, l'Etat russe, via Iakounine, prouve qu'il n'est pas pour la liberté de la presse. La Russie se tire une balle dans le pied finalement : elle n'est pas favorable au fait que les journalistes occidentaux révèlent ces détails et Iakounine le démontre par cette citation.

Propos recueillis par Marianne Murat

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