Pouvoir d’achat : la "prime au travail", le bizarre modèle à trous de Xavier Bertrand<!-- --> | Atlantico.fr
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Xavier Bertrand, le 30 septembre 2021.
Xavier Bertrand, le 30 septembre 2021.
©Thomas SAMSON / AFP

Travailler plus pour gagner plus

Xavier Bertrand a présenté ce samedi le volet de son programme consacré au travail, plaidant pour « une société du travail ». Il a notamment détaillé son idée de « prime au travail », qui bénéficiera à près de la moitié des salariés français si elle est mise en oeuvre.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Xavier Bertrand a présenté ce samedi à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) le volet de son programme consacré au travail, plaidant pour « une société du travail ». Il a notamment détaillé sa mesure de « prime au travail », qui concernera « près de la moitié des salariés français, ceux qui gagnent aujourd’hui moins de 2 000 euros nets par mois » et permettra notamment à ce que personne ne touche moins de 1 500 euros nets par mois en travaillant à temps complet. Quelle est votre première réaction concernant cette mesure ?

Michel Ruimy : Un des thèmes qui revenaient régulièrement dans la presse et dans les débats politiques de la dernière campagne électorale à l’élection présidentielle était le niveau élevé des dépenses publiques et, en particulier, le nombre de fonctionnaires. Près de 5 ans plus tard, le problème n’a pas été résolu et, aujourd’hui, la ritournelle est le pouvoir d’achat. Cette problématique existait, en France, avant la crise pandémique. Elle n’a pas disparu avec elle. La question est donc importante et sensible pour de nombreux Français peu fortunés. Il serait souhaitable que les hommes politiques soient sincères et ne fassent pas de propositions délirantes en la matière - sans oublier de penser à leur financement - dans l’espoir notamment d’attirer les abstentionnistes vers eux.

Avec le « retour de l’autorité » et la « révolution par les territoires », la « société du travail » est un des trois piliers du programme de Xavier Bertrand pour 2022. Elle est une « société du labeur ». Le travail permet d’éviter l’assistanat et l’effort est récompensé par la possibilité d’assurer soi-même son existence, en toute autonomie, grâce à un revenu. Il devient un moyen de subsistance voire d’existence. J’ai un travail, donc je suis, donc je vis.

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Toutefois, si augmenter les revenus permettra à certains de percevoir une « rémunération décente », quid des chômeurs qui appartiennent aussi à la population active ? Quid de la politique de formation et de l’emploi ? Les Français sont-ils prêts à payer plus cher certains biens qu’ils achètent (cf. tensions inflationnistes) ? etc. Si la croissance des bas revenus est une bonne chose, une grande part de Français a aussi besoin de travail. Le travail est la clé de tout : du bonheur individuel à la paix sociale en passant par une place dans la société.

Si vouloir permettre aux Français de mieux vivre de leur emploi est légitime, cette méthode de prime - dont le coût est estimé à 5 milliards d’euros par an - est-elle la bonne, à la fois, du point de vue économique que du message que cela fait passer aux salariés ? Ne faudrait-il pas plutôt faire en sorte que le contexte économique soit favorable à une augmentation « naturelle » des salaires ?

Il ne me semble pas qu’il y ait nécessairement opposition entre ces deux idées mais plutôt une certaine complémentarité.

La « prime au travail » vise à soutenir et à valoriser l’effort de travail ainsi qu’à inciter certaines personnes à quitter l’aide financière pour intégrer le marché du travail. En effet, dans certains cas, des individus touchant un faible revenu peuvent être peu enclins à accepter un emploi puisque chaque euro de salaire gagné, est grevé d’impôts et de cotisations sociales qui risquent de réduire le niveau des prestations reçus voire certains avantages.

De son côté, l’Etat est un acteur particulier de la vie économique. Il agit notamment en influençant le contexte dans lequel l’entreprise évolue. Un environnement sain et concurrentiel est un facteur essentiel de la croissance du chiffre d’affaires des entreprises et de la lutte contre la pauvreté, l’évolution des salaires devant tendanciellement suivre celle de la productivité.

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Ainsi, la conjugaison de ces deux actions peut permettre à chacun de mieux vivre de son travail, aux entreprises d’être pérennes et à l’économie de retrouver un sentier de croissance.

Xavier Bertrand veut également que les heures travaillées au-delà de 35 heures soient sans impôt et sans charges sociales, comme l’étaient les heures supplémentaires en 2007, et que les salariés puissent convertir des congés payés et RTT en argent. N’y-a-t-il pas une dichotomie entre ce retour du « travailler plus pour gagner plus » et la logique de prime versée par l’Etat que Xavier Bertrand met aussi en avant ?

On ne peut plus utiliser les mêmes leviers du passé car le profil des Français a évolué au fil des années. Il n’y a pas un problème général de pouvoir d’achat, mais des problématiques différentes, en termes financiers et de temps, selon chacun. À salaire égal, celles-ci sont radicalement différentes entre un célibataire, un couple avec enfants, une famille monoparentale, etc. Si la politique sociale française, déjà généreuse, comble en partie ces différences, elle ne pourra jamais les combler totalement.

C’est pourquoi les heures supplémentaires ne sont pas le bon outil puisque le décisionnaire n’est pas l’employé mais l’employeur qui décide, dans un contexte de lourd plan de charge de travail, qui en fait, et combien. La rémunération plus élevée et la défiscalisation « indemnise » le salarié de se voir imposer ce temps de travail supplémentaire contre son gré (la France a le paradoxe d’encadrer les heures supplémentaires et de les encourager fiscalement).

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Mais plus qu’encourager la demande de travail subsidiaire par les entreprises, l’offre devrait être stimulée. De manière générale, les salariés travaillent plus car ils ont des besoins financiers plus importants que d’autres, et il peut alors être légitime de les encourager fiscalement. Au lieu d’augmenter le temps de travail des « temps-plein », il conviendrait de diminuer le nombre d’inactifs, mais aussi aider celles et ceux qui le souhaitent, à cumuler plusieurs emplois. Dans cette perspective, permettre aux personnes qui veulent gagner plus de le faire en travaillant plus - et l’encourager par des incitations fiscales – n’est pas une mauvaise idée.

Par goût de l’universalisme, les Français ont toujours raisonné en faisant des généralités. Au cours des dernières années, l’âge de la retraite et le temps de travail ont été abaissés mécaniquement pour tout le monde. Aujourd’hui, on cherche à les remonter dans une logique intensive qui n’est plus adaptée au XXIème siècle. Il conviendrait, au contraire, de favoriser une logique plus extensive : plus d’actifs, plus d’emplois par actif, plus d’emplois différents durant la carrière. Ceci serait plus responsabilisant : les employés et les retraités chercheraient d’abord une activité accessoire avant de se tourner vers l’État pour leur pouvoir d’achat si leurs besoins venaient à évoluer.

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