Pourquoi un vrai champion assume ses échecs (et comment il les transforme en victoires futures)<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Sport
Pourquoi un vrai champion assume ses échecs (et comment il les transforme en victoires futures)
©

Eye of the tiger

Ce qui caractérise tous les "numéros 1", c'est la prise de responsabilité face à l’échec. Hubert Ripoll explique comment les grands sportifs parviennent à transformer positivement une défaite pour devenir les meilleurs de leur catégorie. Extraits de "Le mental des champions" (1/2).

Hubert Ripoll

Hubert Ripoll

Hubert Ripoll est psychologue du sport et essayiste. Il a travaillé auprès de plusieurs équipes de France et avec de nombreux champions olympiques et champions du monde. Il est aussi l'auteur de plusieurs ouvrages sur la psychologie des champions et des coachs sportifs. Il a publié Le mental des champions (Payot, 2008), Le mental des coachs (Payot, 2012), La résilience par le sport (Odile Jacob, 2016).

On peut retrouver l’ensemble de son travail et de ses analyses sur les blogs Le mental des champions, Le mental des coachs, La résilience par le sport.

Voir la bio »

D’une manière générale, et quel que soit leur profil motivationnel, ce qui m’a le plus frappé, à l’écoute de ces champions, est de constater que ceux-ci ne développent jamais de stratégies d’évitement comme le font les autres sportifs, et qui les poussent, soit à éviter de se confronter à ceux qui risquent de leur être supérieurs, soit à s’attribuer des handicaps, soit enfin à expliquer l’échec dans la perspective la moins pénalisante pour leur propre responsabilité. Ce qui les caractérise en effet est, au contraire, une prise de responsabilité face à l’échec, et ils assument celui-ci en le  transformant positivement, pour mieux se préparer aux victoires futures :

« Ce n’est pas dans les situations confortables mais dans les situations difficiles que je bâtis mes grandes victoires. Regarde les Jeux, j’aurais pu être défoncé par tant d’injustice, j’aurais pu m’en prendre à l’arbitrage. Non, j’ai d’abord dit : “J’aurais dû le mettre KO.” » (Pascal GENTIL)

Il s’agit ici d’une véritable stratégie de « faire face » que les Anglo-Saxons appellent le « coping ». Certains, comme Laura Flessel, ont appris très tôt àutiliser cette stratégie. Ainsi, lorsque je lui ai demandé quelle était sa plus belle victoire, je fus surpris de l’entendre évoquer... sa première défaite :

« Le maître d’armes de Petit-Bourg nous inculquait la gestion de la défaite avant celle de la victoire. J’ai rapidement fait une première compétition où j’ai terminé quatrième. Voir récompensées les trois premières et rester au bas du podium a été pour moi une réelle frustration. Mon entraîneur m’a alors dit : “Si tu veux gagner, tu dois m’écouter et travailler dur.” Et ça a marché. Aussi, c’est bien cette défaite qui a été constructive pour ma carrière d’escrimeuse. »

Comme je l’ai précisé avant, cette façon de procéder de l’entraîneur, au demeurant peu banale, entrait en consonance avec les aspirations de l’escrimeuse, sans quoi celle-ci aurait vraisemblablement été découragée ; ce qu’elle me confirma par la suite :

« Il faut ajouter à cela que je me construis plutôt dans l’adversité que dans la facilité. [...] Je puise mon énergie dans l’adversité, parce que j’aime réussir ce que j’entreprends plutôt lorsque ce n’est pas acquis d’avance. Je n’aime donc pas la facilité. »

Dans la suite de son propos, Laura me révéla à quel point sa capacité à gérer l’adversité lui avait permis de faire face aux difficultés rencontrées tout
au long de sa carrière. Il s’agit bien sûr là d’un trait fort de la personnalité de cette championne d’exception :

« Comme je suis une éternelle insatisfaite, je tire ma satisfaction de la réussite de mes projets, souvent dans l’adversité, il est vrai. J’ai dû souvent faire face. Lorsqu’il m’a fallu, moi qui arrivais de la Guadeloupe, une île où tout n’était que bonheur, m’adapter aux briques rouges de l’INSEP, lorsqu’il a fallu changer d’entraîneur, contre le racisme aussi. Lorsque je suis arrivée en métropole, je me suis retrouvée toute petite dans quelque chose qui n’était pas fait pour moi, mais j’étais une petite teigne, un garçon manqué, et je me suis accrochée. En fait, tous ceux qui ont essayé de m’évincer, parce que j’étais jeune ou parce que j’étais noire, m’ont, au contraire, renforcée dans ma détermination. »

Ces champions ont éprouvé très tôt une exceptionnelle motivation qui les a poussés à s’investir sans compter dans le sport et à réussir. Le moteur
de leur action n’a pas changé de « carburant » et la nature de leur implication, de même que les buts qu’ils poursuivent, est restée exceptionnellement
stable. Enfin, une motivation, toujours la même depuis l’enfance, les a tenaillés au ventre et au cœur ; celle-ci a toujours été sans faille.

Toujours ? Pas exactement. Je me rappelle Mahyar Monshipour, lorsqu’il m’a avoué comment sa motivation l’avait pris en défaut. Je lui avais alors posé une question qui n’avait rien à voir avec la motivation, car il s’agissait de concentration. « Avez-vous disputé un match où votre concentration ne fût pas au rendez-vous ? » lui demandai-je alors. Écoutons-le commenter cet épisode douloureux qui a clôturé son exceptionnelle carrière :

« Oui, c’était contre Somsak Sithchatchawal, lors de mon dernier match pour le championnat du monde. Je suis sorti des vestiaires sans ce supplément de stress habituel. Normalement, quand je sortais du vestiaire, je devenais un guerrier, je devenais un tueur, et cette fois je n’étais pas un tueur, j’étais dans le sport, dans la technique, comme dans un match de foot ou de tennis, je n’étais pas un gladiateur, pas un guerrier, c’est pour ça que j’ai perdu. »

Un lourd silence emplit l’espace. Mahyar eut du mal à poursuivre. Il chercha longuement les mots les moins douloureux pour finalement s’avouer que
ce n’était pas un problème de concentration mais de motivation. Il n’osa cependant pas employer ce mot.

« Même aujourd’hui, je ne veux pas l’avouer, je ne peux pas me l’avouer. Je ne peux pas accepter ce mot. Inconsciemment, je ne voulais pas arrêter la boxe, mais j’en avais peut-être un peu marre, je ne voulais plus continuer, je n’étais plus autant impliqué qu’auparavant. Alors, forcément, je n’ai pas
tout mis en œuvre pour gagner. »

Mahyar, indépendamment de ses qualités techniques et morales, n’était donc déjà plus le Numéro Un en entrant sur le ring. Pourtant, il fut comme à
son habitude courageux au-delà du raisonnable, on crut même qu’il l’emporterait, et puis, soudain, il lui manqua cette étincelle qui fait les champions.
Ce champion exemplaire savait probablement, sans se l’avouer, qu’il perdrait sa couronne à l’issue de ce combat, et qu’il mettrait fin à sa carrière, comme il l’avait annoncé à la presse. Plus tard, hors interview, Mahyar me confirma qu’un nouveau choix de vie l’avait détourné de sa motivation initiale et lui avait fait perdre son âme de guerrier.

Oui, sans aucun doute, la motivation est l’indispensable carburant qui fait vibrer le cœur des champions et qui alimente le moteur des Numéros Un.

_________________________________________________________

Extrait de "Le mental des champions, comprendre la réussite sportive" aux éditions Petite Bibliothèque Payot

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !