Pourquoi vous pourriez bien détenir des parts d’une société panaméenne à l’insu de votre plein gré<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Pourquoi vous pourriez bien détenir des parts d’une société panaméenne à l’insu de votre plein gré
©Reuters

Avis aux donneurs de leçons de morale

Suite aux révélations des 'Panama papers', les détenteurs de fonds offshore sont exposés à la vilipende populaire. Il faut toutefois souligner que de nombreux "citoyens lambdas" sont également propriétaires de parts dans des fonds localisés au Panama ou au Luxembourg, de façon légale... et sans rien en savoir.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

Voir la bio »

Atlantico : A la suite des révélations des Panamas Papers, David Cameron a dû longuement s'expliquer au sujet des parts qu'il a détenues dans une société panaméenne. Pour autant, tout aussi absurde que cela puisse paraître, une grande partie de la population ne détient-elle pas des parts dans des sociétés comparables, et ce, sans même le savoir ? Dans quelles proportions ?

Philippe Crevel : Il est possible d'être propriétaire de parts d'entreprises ou de structures financières logées au Panama sans néanmoins être au courant. Cela se passe, notamment, au travers de produit d'épargne comme les OPC (Organisme de Placement Collectif), les SICAV, les fonds communs de placement ou, par exemple, les unités de compte des compagnies d'assurance. Investir sur ces unités de compte, sur des OPC ou d'autres produits épargne, sur des spécialités "pays émergents", "Amérique", implique une forte probabilité de sociétés domiciliées au Panama. Gardons à l'esprit que de nombreux épargnants français souscrivent à des contrats d'assurance-vie multi-supports. Dès lors, la probabilité que les Français aient eu, à un moment ou à un autre de leur vie d'épargnant, accès à des morceaux de parts de structure logées au Panama est évidemment forte.

Il est difficile de donner un chiffre exact ou même des proportions précises. Tout cela dépend de bien des aspects, à commencer par la composition des OPC ou des SICAV, qui varie dans le temps. Au travers des achats et des ventes, opérés par les gestionnaires de titres, les OPC et les SICAV sont donc susceptibles d'évoluer. C'est un premier état de fait qu'il faut prendre en compte. D'autre part, le problème des "fonds de fonds" existe : des OPC peuvent racheter des parts d'autres OPC, ce qui complexifie évidement la tâche, quand il s'agit d'établir une certaine traçabilité. Enfin, pour fournir une valeur exacte, il faudrait savoir en temps réel combien d'épargnants français souscrivent à ce type de produits dans lesquels nous sommes susceptibles de trouver des parts en provenance de Panama. En dépit de toutes ces difficultés, il est probable que ce phénomène concerne plusieurs millions d'épargnants en France. Estimons qu'aujourd'hui 40% des Français ont un contrat d'assurance-vie. Parmi eux, plusieurs millions ont probablement eu des parts logées au Panama. Cela n'a effectivement rien d'aberrant.

Compte-tenu de la diversification des portefeuilles, le discours qui est tenu aux épargnants les incite à épargner dans ce qu'on appelle les "zone Amérique", "zone pays émergents"… Or, par définition, ces montages consistent à racheter des parts de produits qui peuvent être logés en Amérique Centrale et donc potentiellement provenir du Panama.

Les mécanismes en question sont nombreux. Sur le plan purement épargne, on recense notamment les SICAV, les OPC et les autres produits déjà cités. Il existe également des montages patrimoniaux, comme ce qui a été mis en lumière par le scandale des Panama Papers, mais il est plus rare que les gens ne le sachent pas. Cela arrive, néanmoins, quand il y a eu délégation de la gestion du patrimoine. Ce genre de procédés ne concerne pas que les plus riches : la délégation de gestion consiste à confier un mandat à son banquier, pour différentes raisons dont la compétence estimée du professionnel. Dès lors, il arrive que le gestionnaire achète ou vende des parts localisées au Panama sans que cela soit connu du propriétaire.

Il va de soi que tous ceux qui possèdent des parts dans une structure domiciliée au Panama ne sont pas des hors-la-loi. Il est intéressant de faire des structures financières à Panama, au Luxembourg, à Singapour et autres pour plusieurs raisons. Au-delà de l'aspect purement fiscal, notons qu'il s'agit d'endroits ou la régulation est plus souple qu'ailleurs. Monter une SICAV à Paris est plus complexe qu'à Panama. Une majorité des grandes banques françaises ont des filiales à Panama. Cette législation permet d'utiliser des garanties qui incitent au développement de produits financiers locaux. Pour autant, une très grande partie des SICAV proposées par les banques françaises ont des parts - voire sont en totalité - au Luxembourg, à Panama, etc. Ce n'est pas pour autant qu'elles sont illégales et qu'il faut se mettre en chasse des détenteurs : d'abord il n'y a pas de fraude fiscale, ensuite cela a été fait en toute transparence. Il est vrai, néanmoins, qu'on utilise certaines facilités données par l'Etat luxembourgeois ou le Panama pour créer ces produits d'épargne.

Fondamentalement, qu'est-ce qui va motiver une gestion déléguée à prononcer un arbitrage en faveur de ce type de domiciliation pour le moins exotique ?

D'abord, le rendement. Le Panama connaît une croissance forte et un dynamisme assuré par le canal. L'élargissement de ce dernier a d'ailleurs favorisé le commerce. En optant pour le Panama, les gestionnaires font souvent le choix de la diversification économique en Amérique Centrale. En outre, c'est plutôt un bon choix économique. N'oublions pas non plus que les structures panaméennes permettent une amélioration du rendement des produits qui sont tirés des différents montages financiers. Cet avantage comparatif se retrouve également en Irlande ou au Luxembourg et contribue fortement à l'attractivité de la place financière panaméenne, au regard de ce qui est fait autour. C'est purement et simplement une question de compétitivité de place.

Comment expliquer la place centrale du Panama dans ce genre de montage ? Quelles sont les autres pays concernés ?

Le Panama offre des avantages incontestables. C'est, du fait du canal, une zone commerciale extrêmement importante. Ce rôle de place d'échange parmi les plus importantes du monde lui confère un rôle comparable à celui des villes libres en Europe, du temps de la Renaissance : le pays attire forcément des entreprises et des acteurs soucieux de faire des affaires. En outre, il s'agit d'un véritable carrefour entre l'Amérique du Nord, l'Amérique du Sud, l'Atlantique et le Pacifique. Il est idéalement placé. Enfin, ce pays bénéficie de la sécurité du parapluie américain. Même si le canal de Panama dépend à nouveau de la juridiction locale, les Etats-Unis conservent un droit de regard important, ce qui rassure bien évidemment les investisseurs. Le cumulé de ces avantages fait du Panama une zone de rencontre et a mis en place une notion de paradis fiscal en installant une fiscalité incitative et favorable aux capitaux extérieurs, dont il a besoin pour se développer. C'est dans ce but que la fiscalité a été adaptée : pour favoriser le commerce et les transferts financiers.

On retrouve également, dans ce genre d'Etats ou de villes, des places comme Singapour. Là aussi il s'agit d'un endroit stratégique où les navires sont obligés de passés quand ils arrivent en provenance du Japon ou de la Chine et qu'ils cherchent à gagner l'Europe ou les Etats-Unis. Le port de Singapour s'est servi de cet avantage pour attirer les maisons de commerces, puis les banques, avant de devenir une place incontournable pour la finance en Asie. Hong-Kong joue aussi ce rôle. En Europe, le Luxembourg a su se développer grâce au secret bancaire, à la suite de sa reconversion. A l'origine il s'agissait d'un Etat sidérurgique, dont l'économie était basée sur le charbon. Il a fait le choix de se réorienter, s'est dirigé vers la finance, notamment en raison de sa situation : c'est un carrefour entre les routes commerciales d'Europe, entre le Nord vers le Sud ainsi qu'entre l'Est et l'Ouest. Notons également qu'il s'agit toujours de petits Etats, dont la vie politique n'impacte pas les affaires : stabilité, sécurité, et position de carrefour sont indispensables.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !