Pourquoi Vivendi a choisi Numéricable contre Bouygues <!-- --> | Atlantico.fr
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Patrick Drahi, patron de Numéricable.
Patrick Drahi, patron de Numéricable.
©Reuters

L'Édito de Jean-Marc Sylvestre

Numéricable va donc faire un chèque de 13,5 milliards pour emporter SFR… et Bouygues se retrouve seul, avec un avenir compliqué à écrire. Cette affaire montre à quel point le monde politico-économique est immature dans sa connaissance des entreprises. Le colbertisme est mort. Ceux qui ne veulent pas l’admettre le paient cher.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Si Vivendi a finalement choisi de vendre sa filiale SFR à Numéricable, ce n’est pas par hasard, ni surtout par incompétence : la décision a été mûrement réfléchie et préparée depuis plusieurs années. Le secteur français de la téléphonie mobile est arrivé à maturité - à saturation même. Le marché ne peut progresser que par l’arrivée d’une innovation majeure. Les quatre opérateurs (Orange, SFR, Bouygues et Free) n’avaient que deux solutions : ou bien continuer à se battre sur les prix et finalement à s’asphyxier financièrement ; ou bien à passer des accords et consolider leurs moyens. Les opérateurs les plus concernés par une opération de concentration se retrouvaient être SFR et Bouygues Telecom.

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Vivendi, qui possédait SFR, avait décidé, il y a déjà plus de deux ans, de trouver un acquéreur pour se désendetter et se concentrer dans les médias et la fabrication de contenus culturels (Canal+, Universal et jeux vidéo).

Bouygues Telecom, le plus petit des joueurs, s’est aperçu qu'il n’avait pas les moyens suffisants pour croître et se développer. Il lui fallait donc se marier en urgence, d’où la décision de se porter acquéreur de SFR lorsque la vente de SFR a été rendue publique. Malheureusement pour Martin Bouygues, il  s’est réveillé un peu tard : malgré les moyens proposés importants, Martin Bouygues s’est retrouvé évincé de ce deal. Ce qui va désormais lui poser de sérieux problèmes pour se relever de cet échec...

Vivendi avait trois bonnes raisons de vendre SFR à Numéricable, plutôt qu’à Martin Bouygues.

La première raison porte sur la dimension purement économique, commerciale et sociale du rapprochement entre SFR et Numéricable. La proposition Numéricable était certes un peu moins généreuse en cash immédiat que celle de Bouygues qui a surenchéri au dernier moment (13,5 milliards contre 15 milliards d’euros)… mais Vivendi garde 20% qu’il pourra céder à Numéricable plus tard. Ce qui devrait représenter au total plus de 17 milliards.

Pour Vivendi, les deux sociétés ne font pas le même métier, elles sont complémentaires (la fibre et le haut débit pour Numéricable), le mobile (pour SFR), la synergie entre les deux activités n'entraînera pas de fermeture d’activité ou de réseaux commerciaux - donc pas de risque pour l’emploi. Bouygues offrait la même promesse mais son engagement était à peine crédible quand on sait que les boutiques doublonnent systématiquement dans tous les centres villes.

Enfin, il faut savoir que Numéricable et SFR avaiznt déjà commencé à travailler ensemble depuis longtemps. Les équipes se connaissaient, les ingénieurs et les commerciaux vont pouvoir se mettre au travail très vite : Vivendi a joué l’assurance d’un développement à moyen terme sans trop de problème.

La deuxième raison tient à l’intervention du pouvoir politique. Le ministre du Redressement productif a été extrêmement maladroit dans cette affaire. Arnaud Montebourg a publiquement pris fait et cause pour Martin Bouygues avec des arguments qui ont profondément agacé, et même choqué, les associations de consommateurs d’un côté, et le monde des affaires de l’autre. Il a d’abord expliqué qu’il y avait trop de concurrence dans le secteur, "quatre opérateurs c’était trop" alors que chacun sait que l’arrivée de Free a permis de baisser les prix en brisant l’accord tacite voire oligopolistique qu'il y avait depuis longtemps entre Orange, SFR et Bouygues Telecom… Le grand gagnant de cette concurrence était quand même le consommateur. 

Peut-on penser que le ministre voulait réduire cette concurrence parce qu’elle avait été permise et voulue par Nicolas Sarkozy ? Voulait-il plaire à Martin Bouygues qui a beaucoup souffert de cette concurrence violente? On n’ira pas jusque-là, mais tout de même …

Toujours est-il que les derniers arguments utilisés manquaient singulièrement d’élégance, puisque Arnaud Montebourg est allé jusqu’à reprocher au dirigeant de Numéricable de résider en Suisse, et par conséquent à lui promettre une enquête fiscale. Patrick Drahi, le président du holding de Numéricable, n’a d’ailleurs eu aucun problème pour rappeler qu'il résidait en Suisse depuis près de 15 ans, que son holding avait déjà sauvé Numéricable (société française publique) une fois, et qu’à l’époque le gouvernement français avait été bien content qu’il apporte 3 milliards d’euros. Aujourd’hui, il va payer plus de 13 milliards d’euros...

Arnaud Montebourg n’a pas baissé les bras pour autant  puisqu’il vient de rappeler que les dirigeants de Numéricable-SFR ont un devoir de patriotisme et de respect d’engagements sociaux …

Le gouvernement ne s’est évidemment pas grandi une fois de plus en intervenant de façon aussi violente dans un débat qui n’avait rien de politique.  Les milieux d’affaires français et étrangers ne demandent qu'une chose : pouvoir respecter les règles et les procédures sans que l’État intervienne en permanence.

La troisième raison tient au fait que Bouygues a été lui aussi extrêmement maladroit dans cette affaire. Sa communication et son lobbying sont partis beaucoup trop tard et à coté de la plaque. Il a tout misé sur l’influence politique et l’interventionnisme de l’État, il a cru que l’État pouvait tout, qu’Arnaud Montebourg pouvait se prendre pour Colbert. Quelle erreur !

Il a, dans la dernière ligne droite, fait intervenir quelques actionnaires amis mais trop tard. Les jeux étaient faits : le colbertisme est mort.

Martin Bouygues a, de tout temps, joué perso, convaincu de réussir tout ce qu'il entreprenait. Grâce à l’appui de l’État, souvent. Le bâtiment, la télévision avec TF1, et le téléphone. La réussite financière du holding familial est évidente mais l’avenir industriel du groupe n’est pas assuré.

Le bâtiment a subi la crise mondiale de plein fouet, les grands projets se font rares et les marges se font moins faciles. La télévision a dû assumer la révolution technologique, l’Internet et la TNT. TF1 est toujours leader du marché publicitaire mais TF1 s’est enfermé sur un marché national saturé. Quant à Bouygues Telecom, il a pendant trop longtemps refusé de voir la montée en puissance des opérateurs virtuels, et nié le risque d’une concurrence sauvage sur les Box, jusqu’au jour ou Xavier Niel a trouvé les bons arguments pour débouler sur le marché. Ce jour-là, les dirigeants de Bouygues ont compris qu’ils devraient changer de stratégie, mais ils n’y étaient guère préparés. Martin Bouygues, lui, a décidé de vendre. Trop tard.

Le monde des affaires français apprécie les empires familiaux mais n’aime guère les patrons qui pensent avoir toujours raison. Chez Vivendi, dirigé par des managers, non propriétaires du groupe mais sensibles à son développement, on n’avait aucun raison d’écouter les demandes de Martin Bouygues, qui avait si longtemps fait la sourde oreille à leurs propositions quand il s’était agi de travailler à la construction d’une grande industrie de la télévision alliant le payant et le non payant, le national et l’international, les contenus et les médias.

Aujourd’hui, la vente de SFR à Numéricable fait que Vivendi va pouvoir poursuivre son évolution vers la construction d’un groupe multimédia avec une industrie de contenu très puissante (cinéma, séries, musique).

Mais cette affaire laisse Bouygues Telecom en passe de stratégie de développement. Le secteur de la téléphonie mobile et de l’Internet va se composer  des deux opérateurs historiques Orange et SFR qui vont occuper 80% du marché, puis de Free qui déborde d’énergie commerciale mais qui n’a pas d’infrastructure et BT qui voit ses marges rabotées sans possibilités ni moyens pour se développer. Martin Bouygues se retrouve donc dans un corner qu'il voulait éviter. La seule solution : trouver une alliance, et la seule alliance possible est évidemment avec Free. Mais maintenant, les conditions ont bien changé... Xavier Niel doit se frotter les mains.

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