Pourquoi pleurer la Reine a aussi à voir avec la mémoire de nos proches disparus<!-- --> | Atlantico.fr
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Les britanniques rendent un dernier hommage à la reine Elizabeth II, le 15 septembre 2022 à Londres
Les britanniques rendent un dernier hommage à la reine Elizabeth II, le 15 septembre 2022 à Londres
©ODD ANDERSEN / AFP

Mystères du deuil

Le décès d’Elizabeth II a suscité une émotion dans le monde entier. Pour beaucoup, la disparition de cette figure emblématique, incontournable et historique provoque une tristesse comparable à celle de la perte d'un être cher

Christophe Fauré

Christophe Fauré

Le Docteur Christophe Fauré est psychiatre et psychothérapeute, spécialiste de l'accompagnement du deuil, ainsi que des crises du couple et de la transition du Milieu de la Vie. Il exerce actuellement en pratique libérale à Paris.

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Atlantico : Le décès d’Elizabeth II a suscité une émotion dans le monde entier.  Comment expliquer le deuil d’une personne que l’on ne connaît pas ? 

Christophe Fauré : Ce phénomène avec la reine Elizabeth II est caractéristique de ce qui se produit lors du décès d’une personne connue, comme par exemple en France avec la mort de Johnny Hallyday. Cela crée un sentiment d’unité. Tous les grands événements liés à la royauté comme le couronnement, les mariages suscitent une vive émotion. Cela génère un sentiment de communauté et d’appartenance. Or, en tant qu’êtres humains, nous sommes structurés autour du besoin de ressentir une identité la plus claire possible. Lorsqu’un décès comme celui de la reine Elizabeth II survient, cela permet de consolider et de raffermir ce sentiment. Cela donne l’impression d’appartenir à un groupe. Ce sentiment d’appartenance « densifie » en quelque sorte notre être.

Chaque individu se sent parfois un peu seul dans sa vie même s’il est entouré. Lorsqu’il y a un événement qui génère une peine commune ou une réjouissance commune, cela a tendance à abolir partiellement et temporairement ce sentiment de coupure, de séparation, voire de solitude. Les images des étrangers dans la file d’attente à Buckingham Palace sont assez significatives à ce titre. Ces personnes qui ne se connaissent pas vont se parler, vont se sourire, vont partager leur histoire de vie avec des inconnus. Elles vont comme abolir transitoirement ce sentiment de séparation que l’on ressent douloureusement et subtilement en nous. Un événement comme la mort d’Elizabeth II a un côté fédérateur qui tend à éradiquer un peu la « solitude » individuelle et c’est en cela que ça fait du bien. Cela contribue à un sentiment de lien et de proximité. De surcroît, la prévisibilité et la régularité du protocole des funérailles d’Elizabeth II et dans l’hommage des Britanniques qui se rassemblent à Londres contrastent avec les temps de chaos et d’incertitudes que nous connaissons actuellement. Ce cadre très structuré et intemporel est quelque chose d’extrêmement rassurant dans sa prévisibilité. Cela apporte un sentiment de continuité alors que le monde peut nous paraître incertain et fragmenté. L’expression de ce deuil a une fonction de cohésion

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Comment le processus de deuil  va-t-il agir sur le psychisme des gens ? Quelles étapes sont primordiales ?

Le vécu émotionnel du deuil est lié essentiellement au vécu émotionnel que l’on a avec la personne disparue. On ne peut absolument pas dire qu’il y a un même processus de deuil chez une personne lambda vis-à-vis de la Reine d’Angleterre que si cette même personne perd son petit garçon dans un accident de voiture. La différence du lien émotionnel est tellement majeure que le processus sera profondément différent.  On peut beaucoup moins parler d’un authentique processus de deuil tel qu’on le retrouve après la perte d’une personne proche (un conjoint, un enfant, un parent) que dans un deuil collectif comme celui de la reine Elizabeth II Dans ce processus collectif, il y aura de plus très rapidement une substitution avec la personne du Roi Charles III. L’émotion collective du moment sera alors de se réjouir, notamment en vue du grand couronnement.

Cependant, il faut souligner que tout deuil collectif, comme celui d’Elizabeth II, met en résonance nos propres deuils. Le décès d’Elizabeth II peut mettre potentiellement en résonance d’autres processus de deuil personnels ou d’autres pertes que l’on a connues soi-même.    

Il y a une chose importante dans le processus de deuil lorsque l’on perd quelqu’un de proche : nous avons besoin de témoins à notre peine. Nous avons besoin de voir une certaine reconnaissance de notre douleur dans les yeux d’autrui. Cela est très humain.

Si nous sommes nous-mêmes en deuil (proche ou lointain), le deuil « collectif » va mettre en résonance notre propre peine et nous rappeler par exemple le deuil de notre grand-mère il y a trois ans ou d’un parent il y a six mois. Il est possible également de faire des correspondances avec le cas d’Elizabeth II qui a dû cheminer seule depuis la mort du prince Philip. Tant de personnes veuves peuvent se reconnaître dans ce vécu. Ainsi, il est possible de s’appuyer sur un événement collectif pour le rendre plus intime et plus proche de soi. Cela nous reconnecte à des histoires personnelles et à des deuils familiaux.

Devant la dépouille d’Elizabeth II, les réactions émotionnelles des personnes en larmes sont en partie liées à leurs histoires personnelles familiales, consciemment ou non. Depuis sa mort, les télévisions diffusent de nombreux documentaires sur la vie d’Elizabeth II. Cela permet de nous interroger en quoi le décès de la Reine Elizabeth II reflète notre histoire personnelle, notre chemin de deuil et ce que nous avons accompli dans notre vie. C’est en cela que la mort d’Elizabeth II nous touche autant. Il souligne également l’importance d’ajouter des rituels et de poser des mots sur ce qu’on ressent.

La cicatrisation psychique est plus ou moins longue selon les individus. Comment expliquer ces différences ?

Elle est liée à l’intensité du lien émotionnel que nous avons avec la personne disparue. C’est cela qui va déterminer la durée du processus dans le temps. Un autre paramètre important sera les circonstances du décès. Si par exemple notre compagnon ou notre compagne est décédé(e) d’un cancer et après une  longue période au cours de laquelle nous avons pu échanger et nous parler, cela est très différent que si la personne en question disparaît soudainement et dans des circonstances traumatiques. Les circonstances du décès influencent le vécu du deuil.

Peut-on avoir des difficultés sur le chemin du deuil ?

Dans un procédé de cicatrisation physique, il y a une intelligence intrinsèque à notre corps qui ne dépend pas de notre volonté et qui se met spontanément en place pour cicatriser la plaie. Il s’agit d’un mécanisme de protection naturelle. De même lorsqu’il y  a une blessure psychique, par la perte d’un proche, cette même intelligence innée met en route automatiquement un processus psychique de cicatrisation psychique que l’on appelle le processus de deuil. Tout comme une cicatrisation va être de plus ou moins bonne qualité, en fonction de comment on prend soin de la plaie, les conséquences pourront être diverses en fonction des « soins » psychiques qu’on apporte à la plaie de la perte. Pour le deuil, l’interrogation va concerner par exemple le fait de savoir s’il reste des points de souffrance ou des choses douloureuses qui doivent être revisitées. Le deuil est un point de fragilité à tout jamais dans une existence. L’enjeu est de savoir comment l’on apprend à exister avec notre perte, comment on l’apprivoise.

Comment vit-on le deuil aujourd’hui par rapport à autrefois ? Quelle a été l’évolution du deuil dans le temps ? Comment peut-on l’expliquer ?

Au niveau personnel, si vous êtes Aborigène australien et que vous vous blessez avec une pierre au pied, votre corps va cicatriser exactement de la même manière que si vous êtes en train de faire un jogging à Central Park et que vous vous blessez au pied. Il s’agit d’un processus humain universel.  Comme il n’est pas déterminé par des facteurs culturels, le corps et l’esprit cicatrisent cette plaie physique et psychique. Les Néandertaliens avaient certainement le même processus de deuil psychique !!!

Le mode d’expression du deuil est en revanche fortement déterminé par la culture, par la tradition, par le pays où l’on vit, il s’agit de la dimension anthropologique du deuil. Cela a considérablement évolué et cette évolution se poursuit sans cesse au fil du temps. Nous sommes actuellement dans une société qui a oublié certaines dimensions et connaissances du deuil. Il y a chez certaines personnes une méconnaissance des étapes du deuil et de son processus. La sagesse ancestrale sur la manière de mener le deuil a disparu. Les codes vestimentaires et comportementaux liés au deuil ne sont plus totalement respectés de nos jours. Notre société a oublié cette connaissance bénéfique sur le processus de deuil et sur l’accompagnement de la fin de vie. Or, ce savoir apaise.

Philippe Ariès disait dans les « Essais sur l'histoire de la mort en Occident du Moyen Age à nos jours » qu’avant nous affrontions la mort, nous la regardions en face et aujourd’hui nous l’évitons, nous la mettons de côté… On ne veut pas la voir en face.

C’est exact et c’est dommage. Mais le mouvement des soins palliatifs a considérablement fait avancer les choses sur la visibilité de la fin de vie, sur l’idée de prendre soin des proches. On peut espérer que cette vision continue à évoluer.

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