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"Nous sommes profondément déterminés par les gènes, notre éducation, les accidents, les personnes que la vie nous fait rencontrer, et celles dont n’avons au contraire pas croisé le chemin."
"Nous sommes profondément déterminés par les gènes, notre éducation, les accidents, les personnes que la vie nous fait rencontrer, et celles dont n’avons au contraire pas croisé le chemin."
©Reuters

Cogito ergo sum

Après les erreurs de pensée à ne pas commettre au travail, Rolf Dobelli identifie celles qui nous empêchent de nous développer intérieurement. Saurez-vous vous débarrasser de ces biais cognitifs dont vous n'avez souvent même pas conscience ?

Rolf Dobelli

Rolf Dobelli

Né en 1966, Rolf Dobelli a soutenu une thèse d'économie d'entreprise à l'université de Saint-Gall, en Suisse, avant de devenir PDG de différentes filiales de Swissair dans le monde. Il est cofondateur de la société lucernoise getAbstract, leader dans le commerce en ligne d'ouvrages économiques abrégés.

Il a également fondé Zurich.Minds, une communauté internationale de personnalités éminentes issues du monde de l'économie, de la culture et de la science.

Il a collaboré, avec Nassim Nicholas Taleb, à la conception du best-seller mondial Le Cygne noir.

Rolf Dobelli est l'auteur d'Arrêtez de vous tromper! (Eyrolles), paru également sous la forme de chapitres au format électronique sur Atlantico éditions

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Atlantico : Dans « l’illusion du corps du nageur », vous illustrez de manière originale la raison première pour laquelle nous ne pouvons prétendre à toutes les réussites : ce n’est pas en allant tous les jours à la piscine que l’on se construit un corps d’athlète ; c’est parce que l’on est né avec le corps adéquat que l’on devient nageur professionnel. Aussi triste cela soit-il, sommes-nous profondément déterminés ? Notre marge de manœuvre est-elle limitée par notre « capital » intellectuel et physique de départ ?

Rolf Dobelli : Nous sommes en effet profondément déterminés par les gènes, notre éducation, les accidents, les personnes que la vie nous fait rencontrer, et celles dont n’avons au contraire pas croisé le chemin. Par exemple, 95% de ce que nous réussissons est fonction du pays et de l’époque qui nous ont vu naître. Pour synthétiser, l’ensemble de ce qui est extérieur au royaume du libre arbitre joue un rôle non négligeable. Nous avons tendance à surestimer le rôle du libre arbitre et à sous-estimer l’importance de tous ces facteurs que les Grecs anciens et les philosophes du Moyen-Âge appelaient le destin (fatum, en latin). Cependant, ce n’est pas de cela que « l’illusion du corps du nageur » traite. Ce que je cherche à dire, c’est que nous avons tendance à confondre la sélection avec le résultat. Imaginons que je sois un gourou connu pour parvenir à rendre les gens beaux, et que les résultats parlent d’eux-mêmes. Toutes les personnes quittant les cours que je délivre sont absolument magnifiques. Mais peut-être est-ce parce que je recrute exclusivement de belles personnes  pour recevoir mes enseignements, ce qui n’est que le résultat d’une sélection, et non de mes prétendus pouvoirs de gourou.

Pour en savoir plus, lire sur Atlantico EditionsPourquoi vous vous trompez tout le temps, Partie 2 : sur vous mêmes

Le biais rétrospectif fausserait notre interprétation du passé, à savoir que lorsque nous jetons un œil sur les événements passés, ceux-ci semblent répondre à un enchaînement prévisible aux conséquences logiques. Dans quelle mesure cette erreur est-elle courante ? Pourquoi conseillez-vous de tenir un journal, et est-ce suffisant pour en finir avec cette erreur ?

C’est une erreur assez courante. Rétrospectivement, tout a du sens, mais au beau milieu d’une crise comme une guerre, une dépression ou une tragédie personnelle, peu de choses en ont réellement. Afin de garder à l’esprit que les événements ne revêtent pas de sens pour l’avenir, un bon moyen est de tenir un journal (et de le relire de temps à autre). La raison profonde pour laquelle les événements n’ont pas de sens par rapport à l’avenir réside dans le fait que le monde n’est pas téléologique. Hegel et Marx considéraient que notre monde évolue en direction d’un certain but, mais cette vision a largement été contredite, et ce sous tous ses aspects.

L’effet de rareté, les offres promotionnelles ou la transgression sont des biais cognitifs qui rendent les produits ou les événements en question beaucoup plus attrayants, écrivez-vous. Sommes-nous vraiment incapables d’évaluer les choses pour ce qu’elles sont, et uniquement en fonction de ce qu’elles peuvent nous apporter ? Serions-nous bêtes à ce point-là ?

Nous avons du mal à évaluer les choses en tant que telles. Nous le faisons par rapport à autre choses ou en fonction de ce qu’en disent les gens ou les autorités. Si notre objectif est de penser en toute indépendance, alors oui, nous sommes plutôt bêtes.

Enfin, vous écrivez que quelle que soit la nature de l’information que l’on veut transmettre à quelqu’un, celle-ci se trouve nécessairement altérée, car elle passe par le filtre déformant du biais de cadrage. Pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet ? Faut-il voir dans cette erreur récurrente le signe qu’il faut toujours s’efforcer d’être le plus explicite possible, et qu’il ne faut surtout pas présumer de sa capacité à restituer ce qui nous semble être la vérité ?

Tout est déformé. Nous ne pouvons pas ne pas déformer les choses. Ce qu’il faut, c’est identifier  (dans la mesure de nos capacités) comment elles le sont. Peut-être faudrait-il recevoir la même information au travers de différents filtres (en multipliant les interlocuteurs, par exemple). Il existe bien une forme de « vérité », mais celle-ci ne peut être exprimée avec 100% de précision, car les mots sont nécessairement porteurs de déformation.

Propos recueillis et traduits par Gilles Boutin

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