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Pourquoi notre incapacité à regarder en face les véritables causes de l'obésité nous empêche de traiter l'épidémie
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Cliché

L'obésité est un problème de santé aux causes multiples. Elle est bien sûr fortement liée à la question de la nourriture, mais de nombreux facteurs périphériques intensifient le phénomène. Et le refus de les considérer avec pragmatisme empêche d'obtenir des résultats probants pour améliorer la situation.

Arnaud Cocaul

Arnaud Cocaul

Arnaud Cocaul est médecin nutritionniste. Il est membre du Think Tank ObésitéSIl a dernièrement écrit Le S.A.V. des régimes aux éditions Marabout.

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Atlantico : Quand on parle d’obésité, il y a des causes oubliées, volontairement ou non. Quelles sont-elles ? Pourquoi les occulte-t-on ? 

Arnaud Cocaul : Chaque obésité est différente, donc on évoquera les obésités comme étant une maladie d’adaptation face à un environnement inadapté. Nous sommes dans une société obésogène où certains d’entre nous se défendent moins bien face à l’inflation de leur tissu adipeux. Il est facile encore pour bon nombre de personnes minces de renvoyer les obèses vers une insuffisance de traits de caractère avec ainsi un discrédit apporté par les minces sur les "gros". J’ai même entendu un professeur de médecine déclarer il y a quelques années que "dans les camps de concentration, il n’y avait pas d’obèses". Donc le "gros" ou la "grosse" devient celui ou celle qui n’a pas de volonté et a même un comportement égoïste car il (elle) mange la part de l’autre. Ce qui pouvait être perçu comme potentiellement véridique dans le passé, est éclairé différemment depuis les années 90 avec la découverte de sécrétions hormonales par le tissu adipeux et donc de potentielles pannes.

Les obésités se complexifient à l’aune des connaissances nutritionnelles actuelles. Ainsi la flore digestive de notre corps peut se trouver modifier par la prise d’antibiotiques durant la grossesse ou en bas âge, l’accouchement par césarienne modifie dans un sens négatif notre microbiote intestinal favorisant aussi la prise de poids. L’absence d’allaitement maternel, l’exposition au bisphénol A, aux pesticides, aux microparticules, aux fongicides, aux herbicides, l’arrêt du tabac, un état dentaire défectueux empêchant une mastication appropriée, la succession de régimes restrictifs, l’intention de se mettre au régime, des perturbations psychologiques (deuils mal vécus, des incestes, des viols, des violences ..), la sédentarité, de mauvais choix alimentaires, la pauvreté sont des éléments pourvoyeurs de prise de poids. 

Taxer les obèses d’incapables en 2015 relèvent d’une méconnaissance complète du problème et j’irai jusqu’à dire de diffamation la plupart du temps. On occulte le côté rationnel de la gestion du poids car cela arrange la société et nous-mêmes d’avoir un bouc émissaire. On est toujours le gros de quelqu’un d’autre comme on peut être le souffre-douleur. La société ne fait pas suffisamment pour traiter les obésités car quand il s’agit de faire un effort collectif, il n’y a plus grand monde. Il faudrait repenser notre société et pour cela pourfendre certains lobbies (agro-alimentaire, automobile, politique etc.)

Il est arrangeant de remettre au cœur du débat, la responsabilité individuelle. Pour être mince et le rester, il faut des moyens financiers et il faut lutter contre la pauvreté en améliorant le pouvoir d’achat...

Que risque-t’on à fermer les yeux sur ce problème ?

On risque de diviser encore plus la France entre les gens qui ont les moyens de faire attention et ceux qui n’en ont pas les moyens. Le gras coûte moins cher. 100g de frites coûte environ 0,60 € contre 1 € pour 100g de pomme. On risque d’assister à un explosion des dépenses de santé avec un coût élevé à gérer des maladies chroniques engendrées par la prise de poids importante (diabète, hypertension, apnées du sommeil, arthrose de hanche et du genou, dépression etc.) sans parler du coût indirect avec le chômage, les arrêts de travail ou les accidents de travail. 

Toutes les mesures de prévention de l’obésité déjà mises en place ne sont donc pas efficaces ?

Elles le sont un peu, et c'est toujours mieux que rien. Elles ont le mérite d’exister mais nos politiques devraient davantage s’investir à l’instar de Michelle Obama et son programme "Let’s move". La France est plurielle, on ne parle pas nutrition de la même manière à quelqu’un habitant la Croisette à Cannes ou le 6e à Paris, qu’à quelqu’un habitant dans un milieu urbain défavorisé. On ne parle pas nutrition de la même manière à un Français de plusieurs générations qu’à un nouvel arrivant d’origine africaine.

Quels problèmes doivent-être traités en priorité ?

Voici quelques propositions non exhaustives.

- Lutter contre la pollution des villes qui contribue à augmenter l’obésité. Rien n’a été fait sérieusement afin de ne pas froisser le lobby automobile qui est notre première industrie.

- Améliorer le pouvoir d’achat

- Encourager la consommation des fruits et légumes de saison y compris des fruits et des légumes dits "moches" par des campagnes promotionnelles

- Améliorer la taille des portions en faisant des campagnes afin d’encourager le mangeur à manger sa juste part

- Ne pas médicaliser le surpoids

- Vendre les livres de régime avec des bandeaux de précaution. Ce n’est pas de la littérature mais susceptible d’interférer que votre santé

- Améliorer la prise en charge dentaire

- Augmenter les espaces verts avec mise à disposition de mobilier urbain gratuit permettant de bouger (type parcours de santé) 

- Sécuriser les pistes cyclables

- Inciter les personnes à mieux dormir et à diminuer les activités passives type écran TV ou tablettes ou téléphone portable.

- Interdire tout site promouvant des régimes hormis weight watchers.

- Interdire toute publicité vantant une technique amaigrissante.

- Organiser des réunions interdisciplinaires entre médecins, diététiciennes, psychologues, philosophes, urbanistes, sociologues, politiques, agro-alimentaire, association de consommateurs, secteur agricole etc.

Le problème est multiple, la réponse l’est tout autant.

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