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Pourquoi Nicolas Hulot est hors sujet avec ses leçons d’agro-écologie
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Loupé

Nicolas Hulot vient d’annoncer "son" programme agricole pour la France. Derrière des intentions visuellement louables, les propositions manquent cruellement de connaissance des mécanismes actuels. Parallèlement, une note sur la protection des ressources en eau dans l'agriculture vient de sortir, beaucoup plus sérieuse mais moins médiatisée.

Nicolas Hulot vient de sortir "son" programme agricole, intitulé "I field good" ("field" signifie champ). Il s’appuie sur quatre axes, je cite :

  • "Pour une agriculture D’AVENIR : Favoriser le soutien à l’emploi agricole et à l’installation.
  • Pour une agriculture plus ÉCOLOGIQUE : Réorienter les aides vers les systèmes agricoles respectueux de l’environnement (agriculture biologique, agriculture durable, agro-écologie…).
  • Pour une agriculture plus JUSTE : Revoir la répartition des aides entre les types d’agricultures et entre les pays européens en les couplant à l’emploi agricole.
  • Pour une agriculture plus SOLIDAIRE : supprimer les subventions qui déstructurent les agricultures du Sud."

Tout sous-entend que l’agriculture française d’aujourd’hui n’est pas tournée vers l’avenir, qu’elle n’emploie pas, qu’elle refuse les progrès environnementaux, qu’elle maltraite ses salariés et en plus qu’elle déstructure ses consœurs des pays du Sud... Quel dédain pour nos agriculteurs. Mais aussi quels a priori sur le fonctionnement actuel.

Reprenons point par point. "Le soutien à l’emploi agricole et à l’installation."Voilà deux sujets dissemblables. Et quelque part antinomiques : soit on favorise les installations, par exemple en limitant les agrandissements, et donc en permettant à de nombreux agriculteurs de rester sur le territoire ; soit on favorise l’emploi (donc l’agrandissement et un plus petit nombre d’agriculteurs), sur de plus grandes surfaces, donc ayant besoin d’embaucher. Un  "petit" agriculteur maintenu sur le territoire, c’est une excellente chose que l’on est en droit de revendiquer, mais ses moyens ne lui permettront pas d’avoir plusieurs salariés. Ou alors, on ne parle plus de l’emploi agricole mais de l’emploi agroalimentaire. Dans ce second cas, pour le favoriser, il s’agit tout simplement d’adopter pour le secteur des règles de compétitivité telles que celles déclinées pour l’ensemble de l’industrie et de l’économie par Louis Gallois voilà quelques mois. Mais ce n’est pas ce que propose Nicolas Hulot ici.

A l’encontre d’une croissance verte en agriculture

"Une agriculture plus écologique en réorientant les aides." Mais de quoi parle donc Nicolas Hulot ? Car c’est déjà concrétisé, déjà dans les textes de la Pac 2014-2020, comprenez de la politique agricole commune pour les années allant de 2014-2020, dont le budget a été adopté récemment. L’orientation environnementale des productions agricoles en France est un mouvement initié par les agriculteurs eux-mêmes. Ce sont eux qui s’acheminent vers des modes de cultures tenant davantage compte des cycles naturels et de la nature des sols, eux qui adoptent des techniques avec moins de labour et d’intrants, en les testant d’abord sur de petites parcelles puis sur de plus grandes. Parmi les témoignages recueillis par Nicolas Hulot figure celui d’un céréalier qui s’oriente vers une culture utilisant moins d’intrants. Parfait. Mais l’ériger en modèle unique et non comme un cas parmi de nombreux autres, c’est de la communication tenant pratiquement de la propagande. Les agriculteurs ont longtemps souffert d’un manque de lisibilité quant à la politique européenne, souvent en mouvement. Avec une Pac adoptée sur 6 ans, ils acquièrent aujourd’hui cette lisibilité et peuvent donc investir en connaissance de cause selon les directives données. Ce n’est donc pas une nouveauté que propose là Nicolas Hulot, mais la récupération d’une action déjà en marche. Il évoque également le débat qui doit avoir lieu prochainement au Parlement européen. Il reste en effet à décider des modalités d’application, et des clefs de répartition par pays. Pour que le virage environnemental fonctionne en agriculture, il doit clairement être accompagné d’un gain économique. Une application stricte, partout de la même façon, sans le moindre discernement de nature de terrain, type de culture, etc. comme souhaitée par Nicolas Hulot, c’est refuser d’accorder aux agriculteurs la possibilité d’assumer eux-mêmes leur croissance verte. Dissocier l’environnement de l’économie n’est pas viable en agriculture.

Méconnaissance du mécanisme européen des aides

"Revoir la répartition des aides en les couplant à l’emploi agricole". Ce troisième point vient en contradiction du précédent. Veut-on des aides pour l’action environnementale, ou pour l’emploi ? "Coupler" (puisque c’est le terme utilisé) des aides à l’emploi, cela signifie en enlever autant de l’effort environnemental. Aujourd’hui, les aides sont distribuées selon ce que l’on appelle des piliers. Le premier pilier des aides agricoles européennes récompense la production, le deuxième l’environnement. La Pac 2014-2020 prévoit un transfert croissant d’aides du premier vers le deuxième pilier. Cela correspond aux vœux formulés par la société d’avoir une agriculture plus en phase avec l’environnement. "Favoriser l’emploi" n’apparaît pas aujourd’hui, mais pour une raison simple : quand une économie fonctionne, elle embauche, elle en a besoin. La corporation agricole va jusqu’à former elle-même ses employés. Que lui demander de plus alors qu’elle est compétente et relativement autonome ?

"Les subventions qui déstructurent les agricultures du Sud". Le soutien à l’export est une stratégie politique de développement économique des entreprises agricoles et agroalimentaires vers des marchés extérieurs. Il existe sans doute des aspects à revoir dans ce domaine, mais dire simplement "il faut supprimer (ces) subventions" relève de la naïveté. Sur le site internet du mouvement lancé par Nicolas Hulot, il est cité l’exemple d’une agricultrice camerounaise concurrencée dans son élevage par l’importation d’autres volailles, moins chères, venues d’Europe. Or, les producteurs français sont sur la brèche depuis de nombreuses années en raison de l’importation par la France de volailles venues du Brésil ou de Thaïlande. S’ils ont trouvé le moyen de survivre en exportant à leur tour puisque devenus non compétitifs sur leur territoire, peut-on leur en vouloir ? Certes, le système actuel a ses limites et peut être repensé. Mais il convient d’examiner de très près la situation filière après filière, réfléchir aux compensations économiques, à la genèse des errements éventuels pour mieux les contrecarrer. Tout le monde souhaite que cette agricultrice camerounaise puisse percevoir un revenu décent de sa production. Mais si demain des volailles brésiliennes remplacent celles venues d’Europe sur son marché, aura-t-on résolu le problème ? N’est-ce pas à son pays, ou son continent, d’envisager (par exemple) des mesures protectionnistes ?

Une note argumentée sur la protection des ressources en eau

Parallèlement, un think tank composé d’agriculteurs, la SAF Agriculteurs de France, vient de sortir une note d’une trentaine de pages donnant les conditions économiques et de terrain pour permettre aux agriculteurs de protéger eux-mêmes les ressources en eau (lire ici). Le mot "écologie" n’y est pas jeté en pâture, alors que cette note en témoigne autrement plus sérieusement que le site internet ouvert à grand renfort médiatique par Nicolas Hulot. Mais là, ce sont les agriculteurs eux-mêmes qui concrétisent une démarche, c’est malheureusement beaucoup moins porteur.

Cet article a été précédemment publié sur le site wikiagri.fr

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