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Pourquoi la mondialisation n’est pas le triomphe de la démocratie mais seulement celui du capitalisme
©Reuters

Bonnes feuilles

Spécialiste reconnu de la communication, Dominique Wolton explique ses choix et ses engagements actuels. Lors de la montée en puissance des chaînes "tout info" et d’Internet, il est l’un des premiers à porter un regard critique sur ces innovations qui fascinent médias, décideurs et intellectuels. Il élargit sa problématique à la communication politique, puis aux grands enjeux de l’Europe, de la mondialisation, de la Francophonie et de la diversité culturelle. Extrait de "Communiquer c'est vivre", de Dominique Wolton, aux éditions du Cherche Midi 2/2

Dominique Wolton

Dominique Wolton

Dominique Wolton a fondé en 2007 l’Institut des sciences de la communication du CNRS (ISCC). Il a également créé et dirige la Revue internationale Hermès depuis 1988 (CNRS Éditions). Elle a pour objectif d’étudier de manière interdisciplinaire la communication, dans ses rapports avec les individus, les techniques, les cultures, les sociétés. Il dirige aussi la collection de livres de poche Les Essentiels d’Hermès et la collection d’ouvrages CNRS Communication (CNRS Éditions).

Il est aussi l'auteur de nombreux ouvrages dont Avis à la pub (Cherche Midi, 2015), La communication, les hommes et la politique (CNRS Éditions, 2015), Demain la francophonie - Pour une autre mondialisation (Flammarion, 2006).

Il vient de publier Communiquer c'est vivre (Cherche Midi, 2016). 

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La mondialisation

La mondialisation, je m’y suis moi-même confronté en élargissant mes travaux après les recherches sur l’Europe (La Dernière Utopie. Naissance de l’Europe démocratique, 1993). En effet, après avoir essayé de comprendre pourquoi le plus grand projet démocratique de l’histoire de l’humanité ne créait pas plus d’enthousiasme, chez ceux mêmes qui en étaient pourtant les artisans, j’ai voulu étudier ce que représentait cette ouverture tous azimuts du monde et finalement la place qu’y occupait l’Europe. C’est pourquoi je me suis intéressé aux outre-mer, qui sont l’éternelle nouvelle frontière de la France. Douze collectivités, sur les trois océans, avec les contradictions liées à l’histoire. En tout cas, une chance inouïe d’ouverture de la France sur le monde, largement sous-estimée par le pays. Cette ouverture m’a fait découvrir aussi les richesses de la Francophonie, autre belle endormie, caricaturalement réduite à l’empire colonial, alors même que la francosphère, c’est-à-dire la francophonie face à la mondialisation, ouvre une autre histoire des grandes ères  linguistiques, comme pour l’anglais, la lusophonie, l’hispanophonie… Sans oublier l’arabophonie et la russophonie encore plus laissées de côté. Là aussi très forte indifférence. Cela m’a conduit finalement au défi essentiel: travailler sur le statut de la diversité culturelle dans la mondialisation où l’on retrouve à la fois les enjeux de la culture, de la communication, des techniques et des identités. Avec cette intuition: si l’on arrive à penser la question de la diversité culturelle et de son organisation dans la mondialisation, il existe là une chance de paix et de guerre. Les débats et controverses liés à la signature de cette fantastique, et optimiste, déclaration de l’Unesco de 2005 pour «le respect de la diversité culturelle» est un grand pas en avant. D’autant qu’aujourd’hui 175 États l’ont signée, beaucoup l’ont ratifiée, autant que pour la COP21. Même si pour la COP21, cela s’est fait en une semaine là où il a fallu dix ans pour la diversité culturelle… D’ailleurs, la violence des débats à l’époque, la radicale opposition des États-Unis, inquiets au premier rang par l’obligation pour le futur de respecter le pluralisme des industries culturelles, alors qu’ils en sont les principaux producteurs mondiaux, expliquent leur opposition. Déjà à l’époque et encore aujourd’hui. De toute façon, cette question est tellement explosive, car elle touche aux identités et aux rapports de force de demain, que l’écrasante majorité des États s’est empressée de ne rien faire… en dix ans !

Bref, avec la diversité culturelle, la communication, la mondialisation, les identités culturelles, Internet, je suis au centre de mes recherches sur le statut d’une théorie de la communication valorisant le concept politique de négociation, tolérance, cohabitation, plutôt que sur une vision technique et économique, pourtant largement majoritaire.

Tout part du changement radical survenu dans les années 1980-1990 où l’idée de mondialisation a été identifiée au progrès. Avec comme conséquences de « tout ouvrir et laisser circuler ». Surtout pour les finances, les biens et les services… et pour les plus riches. Les réfugiés, immigrés n’ayant jamais été autant enfermés, rejetés, parqués avec de telles violences, depuis le xviiie siècle. Mais le mythe mondial s’est installé : l’ouverture, le progrès et la globalisation, la promesse d’un seul monde. Même si les frontières physiques, policières et les murs n’ont jamais été aussi nombreux. La mondialisation n’est pas le triomphe de la démocratie, comme on l’a cru avec la chute du communisme, mais simplement celui du capitalisme. Au-delà des facteurs économiques, c’est sur le plan culturel que les contradictions s’accumulent. L’ébranlement de la souveraineté des États déstabilise et inquiète, mais surtout la crise des identités, où des milliards de «consommateurs » se retrouvent perdus dans la mondialisation, suscite des réactions inattendues et de plus en plus violentes. La présence des mêmes ordinateurs, villes, voitures, réseaux ne suffit pas du tout à fabriquer une identité culturelle collective.

Deux menaces : la standardisation et, malgré « l’ouverture » du monde, la haine de l’autre qui se développe en dépit de toutes les « transparences ». En effet, on n’a pas suffisamment réfléchi aux conséquences de cette rupture à la fois technique et cognitive : «que se passe-t-il quand tout le monde voit tout et sait tout dans un monde apparemment transparent?» C’est non seulement l’identité de chacun qui est bouleversée, déstabilisée, mais c’est aussi le rapport à l’autre qui change, celui-ci devenant souvent «une menace ». Trois déstabilisations implacables apparaissent, concernant l’identité, le rapport à l’autre, la diversité. C’est la naissance du triangle infernal: identité, culture, communication, comme je l’ai écrit dans L’Autre Mondialisation (2003). Avec cette autre contradiction imprévisible: l’augmentation des flux de l’information ne facilite pas la connaissance de l’autre, ni la tolérance à son égard. Elle peut même favoriser le repli sur soi, la tentation communautaire, la recherche violente de ses racines. « L’instantanéité ne supprime pas le temps, elle le nie. » La méfiance à l’égard de l’autre augmente en réaction à une mondialisation, imposée et non pensée. Cette mondialisation n’est finalement pas une vision politique, mais un simple cadre économique. Et contrairement au discours libéral, l’économie ne suffit jamais à rendre les hommes heureux. Plus de trente ans que je combats cette vulgate économique, et sa langue de bois, parlant de l’individu comme un «agent économique» alors que depuis toujours, il est d’abord un être métaphysique et culturel, dont la construction de sa vision du monde, la représentation de son identité et de ses rapports à l’autre sont plus importants que le régime économique. Et depuis toujours les révoltes politiques et culturelles viennent autant des pauvres que des autres, plus riches, qui se révoltent contre un modèle sans valeurs, réduit au règne des consommateurs…

Extrait de Communiquer c'est vivre, de Dominique Wolton, aux éditions du Cherche MidiPour acheter ce livre, cliquez ici

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