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Pourquoi les riches donateurs de Wall Street se détournent des Républicains pour soutenir en bloc Hillary Clinton (malgré sa lutte affichée contre leurs précieuses niches fiscales)
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THE DAILY BEAST

Hillary Clinton est allée encore plus loin que Donald Trump en promettant de supprimer un avantage fiscal en faveur des puissants financiers. Alors pourquoi les géants du capital d'investissement lui fournissent-ils tout leur soutien financier pour sa campagne ?

Alec  MacGillis

Alec MacGillis

Alec MacGillis est journaliste au Daily Beast. 

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Copyright The Daily Beast – Alec MacGillis, Propublica (Traduction par Julie Mangematin)

Pendant des années, les élus démocrates à Washington se sont bien gardés de lutter trop vigoureusement contre les excès de Wall Street, de crainte que le secteur financier n’offre tout son soutien économique aux Républicains.

Et cela vaut tout particulièrement pour l'une des plus célèbres cibles des projets de réforme financière : l’avantage fiscal octroyé aux associés des sociétés de capital-investissement, ou private equity. Les démocrates fustigent depuis longtemps cette niche fiscale dite des "intérêts reportés". Pour autant, ils n’ont pas oeuvré autant qu’ils l’auraient pu pour changer cette loi qui permet à certaines des plus importantes puissances financières des Etats-Unis d’économiser plusieurs milliards de dollars chaque année.

Voilà pourquoi le scénario de la campagne présidentielle de 2016 est si surréaliste. La candidate démocrate, Hillary Clinton, a promis d'éliminer cette échappatoire fiscale, arguant qu’il est injuste que les gestionnaires de portefeuille aux très hauts revenus "paient moins d’impôts que les infirmières ou… les camionneurs". Récemment, Hillary Clinton est allée encore plus loin que Barack Obama sur ce thème, en affirmant qu’elle supprimerait la niche fiscale par décret si le Congrès continuait à s’opposer à une réforme législative par la voie parlementaire : un pas qu’Obama n’avait pas osé franchir.

On pourrait raisonnablement s’attendre à ce que cette annonce ne tarisse l’afflux de dons en faveur de la campagne de Clinton, et à ce que l’argent des donateurs se dirige vers les Républicains, comme ce fut le cas lors de la dernière élection présidentielle.

Cela ne s’est pas produit. En réalité, Hillary Clinton reçoit tout le soutien du secteur financier.

Fin juillet, les dirigeants et les salariés des quatre plus grosses sociétés de capital-investissement - Blackstone Group, Carlyle Group, KKR, et Apollo Global Management – avaient offert à sa campagne un total de 182 295 dollars de contributions directes, selon la base de données compilée par le Center for Responsive Politics (ce "centre pour une politique réactive" est un organisme à but non lucratif retraçant l'utilisation de l'argent en politique, ndlr.)

Leur contribution à la campagne du rival politique d’Hillary Clinton ? Zéro. Pas un centime.

Ce basculement, bien sûr, tient au fait que l’adversaire d’Hillary Clinton n’est pas n’importe quel Républicain, mais Donald J. Trump. Donald Trump a rompu avec la tradition républicaine sur la question des intérêts reportés, lorsqu’il a annoncé, plus tôt dans sa campagne, être lui aussi en faveur d’une suppression de la niche fiscale (pour autant, d’autres aspects de son programme fiscal permettraient probablement aux anciens bénéficiaires de la niche d’économiser encore davantage d’impôts, comme l’ont noté les experts fiscaux). Le choix de l’actuel gouverneur de l’Indiana, Mike Pence, comme colistier par Donald Trump a achevé de dissuader les sociétés de Wall Street de soutenir sa campagne. Elles craignent en effet d'enfreindre les règles contre les conflits d'intérêts, qui leurs interdisent de faire des donations aux élus possédant un pouvoir de contrôle sur les fonds de pension qui investissent justement dans les private equity.

Mais les sociétés de capital-investissement s’étaient déjà détournées de Donald Trump avant même le choix de Mike Pence : cette disgrâce découle essentiellement de l'anxiété, aux plus hauts échelons de Wall Street, quant aux conséquences pour le pays et les marchés financiers d’une éventuelle victoire de Donald Trump.

"Le lendemain de l’élection de Donald Trump, le marché va s’effondrer massivement parce que les gens vont vendre leurs actions et obligations et acheter de l’or", explique Robert Shrum, un consultant politique expérimenté, aujourd’hui enseignant à l’Université de Californie du Sud, qui résume : "La perspective de faire des économies sur vos impôts ne sert à rien si vous ne dégagez aucun profit."

Les quatre plus importantes sociétés de capital-investissement, qui ont refusé de réagir à cet article, n’apportent pas à Hillary Clinton un soutien aussi élevé que celui qu’elles avaient fourni à Mitt Romney, candidat républicain lors de la campagne présidentielle de 2012, qui avait exercé pendant des années dans le secteur financier. En 2012, les dirigeants et les salariés de ces sociétés avaient donné à Mitt Romney un total de 591 600 dollars contre seulement 147 031 dollars à Barack Obama, qui avait fustigé la niche fiscale en tant que sénateur puis en tant que candidat à la présidentielle. Mais l’offensive d’Hillary Clinton a déjà surpassé celle de Barack Obama.

Ces déséquilibres en matière de donations s'observent aussidans d’autres secteurs à Wall Street, comme celui des hedge funds (bien que quelques gestionnaires de fonds spéculatifs aient pris un rôle déterminant comme conseillers ou collecteurs de fonds pour Donald Trump), ce qui aide à expliquer l’avantage financier d’Hillary Clinton dans la dernière ligne droite de la campagne. Mais cela soulève aussi une question évidente pour Hillary Clinton : pourrait-elle vraiment, en tant que Présidente, tenir ses engagements et ponctionner des milliards de dollars de revenus au secteur qui l’a justement tant favorisée par rapport à son opposant ?

Deux conseillers économiques d’Hillary Clinton, s’exprimant sous couvert d’anonymat en raison des règles de confidentialité de la campagne, ont insisté sur le fait que ses propositions sont à prendre au pied de la lettre. L’équipe de Donald Trump n’a pas donné suite à nos sollicitations.

Barney Frank, l’ancien membre du Congrès du Massachusetts qui a co-rédigé la réforme Dodd-Frank en 2010 et critiquait sévèrement la niche fiscale lorsqu’il était en poste, a déclaré dans une interview qu’Hillary Clinton doit être prise au mot, indépendamment des contributions financières à la campagne apportées par le secteur financier. "Elle croit réellement [à la suppression de la niche fiscale] et ils lui ont donné tout cet argent en connaissance de cause", a-t-il affirmé.Il n’en demeure pas moins que la niche fiscale des intérêts reportés survit depuis des années, malgré les vœux pieux maintes fois reformulés en faveur de sa suppression. Souvent surnommé "niche des hedge funds", cet avantage fiscal bénéficie en réalité surtout aux sociétés de capital-investissement, aux fonds de capital-risque et aux sociétés d'investissement immobilier. Les sociétés de capital-investissement utilisent l’argent de particuliers fortunés et de fonds de pension pour racheter des entreprises privées, ou, plus rarement, des sociétés cotées en bourse, puis tentent d’accroître leur rentabilité pour ensuite les revendre à profit.

En général, les associés touchent une commission de 2% sur les actifs de leur portefeuille, ainsi qu'une part de 20% sur les profits, plus connue sous le nom d’"intérêt reporté". Si les commissions sont imposées comme des revenus classiques, les "intérêts reportés" sont, de leur côté, taxés comme des plus-values, c’est-à-dire à un taux inférieur, bien qu’il s’agisse pourtant de revenus du travail – l’activité de gestion de portefeuille – et non d’un retour sur investissement. Ces revenus des associés sont donc actuellement taxés à un taux de 23,8% au lieu du taux maximal de 39,6% pour les revenus classiques ; au cours des 15 dernières années, l’écart a même longtemps été plus important : 35% contre 15%.

Les origines de cet avantage fiscal remontent au début du 20ème siècle. Dans l'industrie pétrolière et gazière, les responsables des exploitations pétrolières, qui utilisaient les fonds d’investisseurs extérieurs, voyaient leur part des profits imposée au taux des plus-values. Pendant l’essentiel du siècle passé, ce taux a été maintenu inférieur à celui des revenus classiques afin d’encourager la prise de risque et l’entrepreneuriat. La logique était la suivante : le "travail manuel" de ces associés comportait une part de risque, puisqu’ils ne touchaient de revenus que si leurs explorations s’avéraient fructueuses. Mais cet avantage est devenu plus difficile à justifier dans le contexte actuel des fonds d'investissement, où la prise de risque est bien moindre : les associés collectent leur commission de 2% quoi qu’il arrive, et investissent en général dans des entreprises préexistantes au lieu d’en créer de nouvelles, ce qui rend leur travail plus difficile à distinguer de celui d’autres professionnels de la finance, dont les revenus sont imposés au taux ordinaire.

Les estimations évaluent entre 2 milliards et sept à huit fois ce montant les économies totales générées chaque année par la niche fiscale pour les dirigeants des fonds d’investissement (une vingtaine d’entre eux pèsent déjà plus de 2 milliards chacun, selon la liste des 400 premières fortunes de Forbes). Depuis près d’une décennie, différents démocrates ont fait vœux de supprimer cette niche fiscale, avec des soutiens occasionnels de la part de certains électrons libres républicains, mais ces efforts n’ont jamais abouti. Lors de la dernière offensive en juin 2010 au Sénat, le vote de la réforme a échoué à quelques voix près, alors même que les démocrates détenaient la majorité des sièges, rendant l’obstruction parlementaire inopérante.

Il n’y a pas eu d’effort concerté depuis fin 2010, quand les Républicains ont conquis la majorité à la Chambre des représentants. Paul Ryan, le Président de la Chambre, s’oppose à toute suppression frontale de l’avantage fiscal, arguant que le problème sera traité dans le cadre d’une plus large réforme fiscale dans les années avenir. Mais aucune réforme fiscale globale n’a été mise en œuvre à Washington depuis 1986. En 2014, lorsque Dave Camp, républicain du Michigan et président de la Commission des voies et moyens, avait proposé une réforme générale incluant la suppression de la niche fiscale des intérêts reportés, il n’avait pas été suivi par ses collègues républicains.Les Démocrates ont, eux aussi, manqué d’empressement pour supprimer cet avantage fiscal. En 2007, Hillary Clinton, alors sénatrice, a refusé de se joindre au sénateur Barack Obama pour soutenir un projet de loi visant à supprimer la niche, bien qu’elle se soit exprimée en faveur d’une telle suppression au cours de la campagne présidentielle cette même année. Son collègue sénateur de New York, Charles Schumer, qui est pressenti pour prendre la tête du groupe démocrate au Sénat, a insisté à plusieurs reprises sur le fait que toute réforme des intérêts reportés doit aussi englober le secteur immobilier et celui du capital-risque, ce qui n’a fait qu’accroître l’opposition contre la réforme. Et Barack Obama a résisté aux arguments des experts fiscaux tels de Victor Fleischer, un des principaux adversaires de la niche fiscale, qui affirme qu’elle peut être supprimée par décret administratif. (Victor Fleischer quitte le monde universitaire pour devenir conseiller fiscal au comité des finances du Sénat).

Si les démocrates trainent des pieds, c’est en partie parce que les sièges des fonds d’investissements sont regroupés dans des fiefs démocrates – New York, Boston, et San Francisco. Les sociétés de capital-investissement et leur groupement d’intérêt (récemment rebaptisé American Investment Council) ont recruté nombre d’anciens législateurs démocrates comme lobbyistes. Et de nombreux magnats de la finance ont eux-mêmes tissé des liens étroits avec les démocrates.

L’un d’eux est David Rubenstein, co-fondateur de Carlyle. Il a travaillé à la Maison-Blanche sous la présidence de Jimmy Carter, et a promis depuis longtemps de ne plus faire de donations aux campagnes politiques, ce qui lui a permis de conserver de bonnes relations des deux côtés de l’échiquier politique. Comme l’expliquait un article de ProPublica publié en mars en partenariat avec le New Yorker, David Rubenstein a capitalisé sur sa crédibilité auprès des démocrates au Congrès, qu’il a renforcée grâce à ses donations philanthropiques considérables en faveur de combats civiques à Washington, afin de défendre la cause de la niche fiscale lorsque les efforts pour la supprimer ont failli atteindre leur but en 2007 et 2010.

Depuis la parution de l’article, David Rubenstein a minimisé son influence sur la question dans plusieurs interviews. "Je n’ai pas évoqué cette question avec un membre du Congrès depuis cinq ans – ça ne fait pas partie de mes préoccupations principales",a-t-il assuré à Andrew Ross Sorkin pour le New York Times. Il a déclaré à la radio publique Marketplace: "Je n’ai pas été actif là-dedans. Je pense que je n’en ai pas parlé à un membre du Congrès depuis cinq ans environ. Ce n’est pas mon centre d’intérêt principal. Sur les 1000 choses qui me préoccupent, ce n’est même pas dans le top 1000". Ce qui est omis dans les deux interviews, c’est que Rubenstein n’a pas eu besoin de faire de lobbying au Congrès au sujet de la niche fiscale ces dernières années parce que celle-ci n’a jamais été sérieusement menacée pendant ce laps de temps.Sa défense efficace des intérêts reportés a même valu à Rubenstein des taquineries de la part de Larry Summers, un ancien Secrétaire d'Etat au Trésor de l’administration de Bill Clinton et président de Harvard, lors d’une conférence à Las Vegas en mai. "Rarement une loi avait persisté aussi longtemps avec si peu d’arguments en sa faveur", a lancé Larry Summers lors d’une session avec David Rubenstein et Robert Rubin, un des anciens dirigeants de Goldman Sachs et Citigroup qui a précédé Summers comme Secrétaire au Trésor sous Bill Clinton. Comparant ironiquement les intérêts reportés à un pilier de la constitution américaine, Larry Summers avait résumé : "Il y a le premier amendement, le deuxième amendement, et les intérêts reportés, n’est-ce pas ?"

"Pas nécessairement dans cet ordre", avait renchéri Rubin.

Selon Business Insider, Rubenstein avait répliqué que si Summers et Rubin estimaient le traitement fiscal des intérêts reportés si injustifié, ils auraient pu passer par un décret exécutif pour le réformer lorsqu’ils étaient à la tête du département du Trésor. Une remarque intéressante, dans la mesure où elle contredit la ligne de défense habituelle des partisans de la niche fiscale qui arguent généralement que la loi ne peut être modifiée que par la voie parlementaire.

Lors de cette campagne présidentielle, David Rubenstein a maintenu sa ligne de conduite en ne faisant pas de contribution financière. Mais ses collègues de Carlyle ont opéré un tournant radical en offrant à Hillary Clinton plus du double de ce qu’ils avaient versé à Barack Obama en 2012 – et il reste encore plusieurs mois de campagne. Le tournant qui saute le plus aux yeux est celui de Blackstone, dont les dirigeants et salariés avaient versé à Mitt Romney près de 250 000 dollars en 2012. Parmi les donateurs de Mitt Romney se trouvait le co-fondateur de Blackstone, Stephen Schwarzman, qui avait comparé en 2010 la suppression de la niche des intérêts reportés à l’invasion de la Pologne par les nazis (avant de s’excuser par la suite).

Cette année, Stephen Schwarzman n’a donné à aucun des candidats à l’élection présidentielle, mais a versé plus de 200 000 dollars à une longue liste de candidats républicains au Sénat et à la Chambre des représentants, ainsi qu’à des membres de comités (ainsi qu’à Schumer, seul démocrate au Sénat à avoir reçu un chèque de Schwarzman). En lieu et place de Schwarzman, le dirigeant de Blackstone qui a dominé la scène politique de la campagne présidentielle est Hamilton "Tony" James, président et directeur de l'exploitation de Blackstone. Il a organisé une soirée de levée de fondspour Hillary Clinton à la fin de l’année dernière, avec comme invité Warren Buffett, et a tenu une réception à la convention démocrate à Philadelphie. James est pressenti comme candidat potentiel au Secrétariat d'Etat au Trésor de l’administration d’Hillary Clinton.

La réception de Philadelphie a rassemblé à la Fondation Barnes tout le gotha des hauts responsables de Wall Street et des sommités démocrates proches d’Hillary Clinton, parmi lesquelles Larry Summers, le maire de Chicago Rahm Emanuel et l’ancien conseiller économique Gene Sperling. Au cours de son bref discours, Hamilton James a éludé toute référence au problème des intérêts reportés. Il s’est contenté de désigner Hillary Clinton comme une sauveuse luttant contre les forces du mal.

"A chaque nouvelle élection, on dit que celle-ci est une élection qui compte vraiment. Mais je pense que celle-ci compte vraiment. Nous pouvons élargir nos horizons, prendre de la hauteur et élever le pays… ou nous pouvons prendre la pente descendante, le chemin glissant qui attise les peurs … les divisions sociales" a avancé James. "Il y a deux raisons pour lesquelles nous devons gagner cette élection. D’abord, nous avons une formidable candidate. Ensuite, l’alternative est cauchemardesque."

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