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Pourquoi les milliardaires français s’enrichissent plus vite que les autres (et la vraie leçon sur la fiscalité qu’on doit en tirer)
©MICHEL EULER / POOL / AFP

Ultra-riches

Les milliardaires français sont ceux qui se sont enrichis le plus vite au monde depuis début 2019, accroissant leurs fortunes de près de 35%, selon le journal économique Bloomberg.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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 Atlantico : Dans cette création de richesse, quelle est la part qui vient de l'activité des entreprises détenues par ces milliardaires ?

Michel Ruimy : Les contribuables aisés se distinguent du commun des mortels par la diversité de leurs ressources. Ils ont desrevenus d’activité mais aussi du patrimoine via la location d’un ou plusieurs biens immobiliers dont ils sont propriétaires voire des dividendes quand ils ont un important patrimoine financier ou encore de « revenus exceptionnels » comme les plus-values mobilières.

Concernant les 1 % des ménages les mieux dotés, ceux-ci répartissent différemment leur patrimoine des autres ménages. Ils placent une plus grande part de leur patrimoine (35 %) dans les actifs financiers (actions, obligations…), la place de l’immobilier étant un peu plus faible (30 %). Quant au patrimoine professionnel, essentiellement constitué des actifs des entreprises qu’ils possèdent,il constitue, en revanche, une part très importante de leur patrimoine (30 %). En effet, environ 45 % de ces ménages sont propriétaires d’au moins 1 entreprise dont la personne de référence ou le conjoint est le dirigeant, pour une valeur moyenne de 2,2 millions d’euros. En 2015, ces ménages ont déclaré des revenus du patrimoine 35 fois plus élevés que les 90 % les plus modestes (63 530 contre 1 790 euros).Quand on s’intéresse aux « 0,1 % » les plus riches, ceux-ci captent près de 30% des revenus du patrimoine.

Si ce patrimoine professionnel est coté en bourse, certains le considèrent comme « virtuel » et citent, en exemple, le patrimoine de Patrick Drahi dont la valeur a chuté, il y a quelques mois, du fait de la dégringolade du titre Altice, la maison-mère de SFR. Pour autant, au plan international, on retrouve toujours les mêmes noms depuis des décennies : Bill Gates, Warren Buffet, Bernard Arnault, les fondateurs des grandes surfaces Walmart ou du géant IKEA... Cette longévité prouve que ces fortunes sont quand même réelles.

Ainsi, les ménages à très hauts revenus doivent leur situation à des revenus du patrimoine, à la fois, plus fréquents et plus importants que le reste de la population.

Par ailleurs, notons que, contrairement aux inégalités de revenu, les inégalités de patrimoine se sont accrues, en moyenne,depuis une vingtaine d’années. Les ménages les mieux dotés ont bénéficié d'une valorisation de leur patrimoine immobilier et financier (doublement en euros courants pour les 70 % les mieux dotés) tandis que celui-ci a diminué pour les 20 % des ménages les moins dotés.

A contrario, quelle part de revenus viennent d'opérations boursières ou de revenus du capital ?

Si nous considérons les trois premières fortunes françaises, Bernard Arnault (LVMH, 3èmefortune mondiale), Françoise Bettencourt Meyers (L’Oréal, 9èmefortune mondiale) et François Pinault (Kering, 23èmefortune mondiale), celles-ci, portés par une forte demande de biens de luxe en Chine,ont engrangé, à elles seules, 53 milliards de dollars depuis le 1erjanvier2019. Ainsi, dans une perspective historique et quels que soient les aléas, les révolutions, les changements politiques ou les révolutions industrielles, les plus fortunés sont toujours riches et leur nombre a tendance à progresser.

Toutefois, pour ce premier semestre, une attention doit être portée à Bernard Arnault qui a engrangéun peu plus de 32milliards de dollars de gains depuis le début de l’année en raison de la forte progression de l’action LVMH (+45 %). De plus, en 2018, le groupe LVMH a augmenté ses ventes de 10 % dans le monde, totalisant près de 47 milliards de dollars. Avec 101 milliards de dollars sur ses comptes personnels, Bernard Arnault entre ainsi dans le club très fermé des hommes dont la fortune personnelle dépasse les 100 milliards de dollars, aux côtés du fondateur de Microsoft (Bill Gates, 107 milliards de fortune personnelle) et du créateur d’Amazon (Jeff Bezos, homme le plus riche du monde avec 120 milliards de dollars).

Ainsi, sauf à la gagner au jeu, ce qui semble peu probable au vu des montants, la seule manière de se construire une fortune d’1 milliard ou plus en une génération reste la création d’entreprises.

D'un point de vue fiscal, comment pourrait-on agir sur cette création de richesse pour qu'elle soit mieux redistribuée mais sans pénaliser les activités des entreprises détenues par ces milliardaires ?

On estime la fortune cumulée des 500 personnes les plus riches du monde à plus de 5 000 milliards de dollars... À eux seuls, ces milliardaires pourraient éponger la dette française en 1 an tout en créant autant de richesses de notre pays !

Tous les ans à Davos, l’ONG Oxfam établit un rapport sur la répartition des richesses dans le monde. Il y a un an, moins d’une dizaine de milliardaires possédaient autant d’argent que la moitié de l’humanité c’est-à-dire que 10 milliardaires avaient autant d’argent que 3,6 milliards d’individus. Il y a 10 ans, au cœur de la crise, il fallait additionner la fortune d’un peu moins de 400 milliardaires pour arriver à une telle situation.

C’est du délire au sens étymologique du terme. On perd tout lien, on est totalement déconnectésavec la réalité des choses.Les inégalités semblent être hors de contrôlealors que des dizaines de milliers de personnes meurent, chaque jour,dans le monde faute d’accès aux soins, que les services publics cruciaux, comme la santé ou l’éducation, s’effondrent faute de financement.

Devant cette situation, certains considèrent que les gouvernements sous-taxent les plus fortunés. Ils estiment que les gouvernements doivent faire en sorte que les plus nantis participent plus activement à la justice fiscale afin de mieux s’attaquer à la réduction de la pauvreté.Des pays (Corée du Sud, Sierra Leone, Thaïlande…) ont déjà augmenté leurs taxes contre les grandes fortunes pour investir dans les services publics. Malheureusement, ces pays restent très minoritaires.

La question est délicate. Même si nous avons besoin, en partie, de ces « très riches » pour tirer l’économie mondiale - la richesse générée par les patrons de multinationales fait vivre des millions de salariés dans le monde d’où la difficulté de les taxer sans conséquences sociales -, on peut s’interroger sur la disparité de la rémunération d’un PDG d’une entreprise cotée gagnantl’équivalent des salaires de 10 000 ouvriersasiatiques. Certains pourraient affirmer que les niveaux de vie ne sont pas identiques et que ces ouvriers ont peut-être une chance de sortir de la précarité où ils sont et d’accéder aux classes supérieures. Ce phénomène a été observé en Chine où la mondialisation a fait émerger une classe moyenne qui vit mieux qu’avant.

Mais le modèle économique actuelest secoué, comme le montre l’éruption de frustrations et de colères populaires en France et dans le monde. Même le FMI admet désormais que le néolibéralisme qui nous accompagne depuis près de 40 ans est injuste et amplifie les inégalités.Si celles-ci persistent et si les gouvernements continuent le « business as usuel », le sentiment de révolte grandira. Ces mouvements illustrent un manque d’imagination criant des leaders politiques actuels, une incapacité à concevoir un autre modèle économique alternatif au néolibéralisme pourtant défaillant.

La plupart des leaders politiques parlent de réduire les inégalités mais ne font pas grand-chose pour y parvenir. Pire, ils abaissent la taxation des richesses et du capital et taillent dans les investissements dans les besoins primaires.Il est temps que nos politiciens, conscients qu’une autre voie est possible pour bâtir une économie plus humaine, où les plus riches contribuent davantage à la justice ­fiscale, où les salariés ordinaires gagnent vraiment de quoi vivre et où le fossé entre riches et pauvres est radicalement réduit pour qu’un monde plus équitable se dessine, passent aux actes. 

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