Pourquoi les mammographies annuelles systématiques ont plus d'effets pervers que de bénéfices<!-- --> | Atlantico.fr
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La mammographie ne diminue pas le nombre de décès dû au cancer.
La mammographie ne diminue pas le nombre de décès dû au cancer.
©Reuters

Fausse bonne idée

Selon une étude canadienne, la mammographie systématique ne diminue pas le nombre de décès dû au cancer du sein. Si le dépistage se justifie pour certaines, les mammographies annuelles systématiques sont trop coûteuses économiquement et humainement, provoquant l'angoisse des patientes et des sur-diagnostics de "faux cancers".

Nicole  Delépine

Nicole Delépine

Nicole Delépine ancienne responsable de l'unité de cancérologie pédiatrique de l'hôpital universitaire Raymond Poincaré à Garches( APHP ). Fille de l'un des fondateurs de la Sécurité Sociale, elle a récemment publié La face cachée des médicaments, Le cancer, un fléau qui rapporte et Neuf petits lits sur le trottoir, qui relate la fermeture musclée du dernier service indépendant de cancérologie pédiatrique. Retraitée, elle poursuit son combat pour la liberté de soigner et d’être soigné, le respect du serment d’Hippocrate et du code de Nuremberg en défendant le caractère absolu du consentement éclairé du patient.

Elle publiera le 4 mai 2016  un ouvrage coécrit avec le DR Gérard Delépine chirurgien oncologue et statisticien « Cancer, les bonnes questions à poser à mon médecin » chez Michalon Ed. Egalement publié en 2016, "Soigner ou guérir" paru chez Fauves Editions.

 

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Atlantico : Selon une étude canadienne [1](voir ici) réalisée sur 90 000 femmes de 40 à 59 ans, la mammographie permet certes de dépister le cancer du sein, mais ne diminue pas le nombre de décès dû à la maladie. Ce postulat est-il véridique ? Retrouve-t-on les mêmes données en France ?

Nicole Delépine : Il ne s’agit pas d’un « postulat »  mais d’une étude scientifique sérieuse de plus démontrant l’inefficacité du dépistage organisé du cancer du sein et sa nocivité comme de nombreuses publications depuis plus de dix ans. Espérons que nos autorités finiront par en prendre acte.

Au préalable et pour éviter toute confusion, il faut préciser qu’il s’agit dans cet article du dépistage organisé systématique chez des femmes bien portantes et non pas du diagnostic « précoce » chez une femme qui présente des signes cliniques et pour laquelle le médecin prescrit un examen complémentaire légitime adapté à son cas (c’est là toute la différence entre médecine individuelle et médecine collective). Cette confusion savamment entretenue empêche de rassurer les femmes si on décide d’abandonner cette pratique dangereuse, inutile et coûteuse.

Cette étude canadienne démontre l’absence d’amélioration de la survie des femmes atteintes de cancer du sein  par le dépistage « organisé ». Elle confirme une nouvelle fois les résultats  de multiples études étrangères qui ne parviennent pas à mettre en évidence un quelconque gain de survie chez les femmes sans signe clinique  soumises au dépistage organisé[2][3][4][5] mais mettent en exergue au contraire sa nocivité.

J’avais moi-même, en écho à de nombreux autres confrères français et étrangers, attiré l’attention sur ce sujet dans « Le cancer un fléau qui rapporte » paru en février 2013 et constaté que, malgré l’absence de démenti à ma démonstration reprenant la littérature médicale, le pouvoir en octobre 2013 continuait dans la manipulation du public par force campagnes publicitaires émotionnelles utilisant des vedettes pour inciter les femmes à se faire dépister. S’y ajoutait une tentative de corruption des médecins en leur promettant une prime allant jusqu’à 9000 euros annuels pour ceux qui obtiendraient entre autres le dépistage de 80 % de leur patientèle !

Le ministère allait jusqu’à affirmer en octobre 2013 que personne ne remettait en cause l’utilité du dépistage ! Nos gouvernants sont donc décidément si mal informés ? La désinformation  allait plus loin, promettant de sauver des vies et d’éviter des mutilations. Les deux affirmations sont définitivement fausses et on peut regretter que le 3ème Plan cancer dévoilé il y a quelques jours reprenne les objectifs de dépistage onéreux, inutiles et dangereux. Pour qui roule-t-il ?

En tous cas, cette vaste mobilisation automnale est née aux États-Unis à l’initiative d’entreprises privées. Comme le rappelle le film de Léa Pool [6], c’est le labo Astra-Zeneca qui, au milieu des années 1980, a lancé un mois de sensibilisation sur le cancer du sein. Mais l’impulsion décisive est venue de la société de cosmétiques Estée Lauder. Il s’agit  d’une  publicité mensongère utilisée de plus par des sponsors, pollueurs par ailleurs, qui lissent leur image à cette occasion.

En réalité, en 2014 en France, les inconvénients et complications du dépistage organisé  dépassent ses bénéfices allégués ainsi que le démontrent beaucoup d’études scientifiques depuis plus de dix ans. Le bénéfice du dépistage est très incertain mais ses complications, liées aux faux négatifs, aux cancers de l’intervalle (entre deux dépistages), aux sur-diagnostics et aux sur-traitements, sont avérées et fréquentes.

L'équipe de recherche de l’étude du BMJ a calculé que 22% des cancers trouvés sur les mammographies ont été "sur-diagnostiqués". Cela signifie que pour 424 femmes traitées,  106  ont reçu un traitement inutile. Qu'est-ce que ce chiffre révèle des travers et des méconnaissances de la mammographie ?

Le risque de « sur-diagnostic », diagnostic d’un « faux cancer » ou plutôt dépistage de cellules tumorales dormantes qui n’auraient probablement jamais donné de cancer est certain. Les américains proposent de lui donner un autre nom, comme « maladie indolente ». En tous cas il est scientifiquement démontré et seuls varient les pourcentages avoués entre les défenseurs du dépistage organisé qui rapporte et les détracteurs qui en ont assez de ces vies brisées et de cet argent dépensé par la sécurité sociale.

Les autres études étrangères évaluent le risque de surdiagnostic et donc de sur traitement entre 18%[7][8] et 40%[9]. Cela signifie en effet que pour 424 femmes traitées environ 106 ont subi des traitements inutiles et dangereux.

En France, Berbard Junod [10] souligne fort justement le décalage entre le taux de cancer du sein découvert lors du dépistage systématique (24/1000) et le nombre de cancers observés dans cette même population globale (8/1000) et démontre que les récentes « épidémies de cancers du sein et de la prostate », ne traduisent en fait que les efforts forcenés des dépistages systématiques qui, le plus souvent, ne font que du sur-diagnostic. On peut regretter que cet éminent épidémiologiste soit le conseiller d’un ministère de la santé étranger et non du nôtre.

Mais malgré le milliard et demi d’euros dépensés chaque année dans le dépistage systématique, on ne dispose en France d’aucun chiffre sérieux sur le sur-diagnostic. Il faut dire qu’on ne pose la question qu’aux bénéficiaires du dépistage qui n’ont aucun intérêt à scier la branche sur laquelle ils vivent. Leur réponse actuelle est « nous allons développer des tests qui nous permettrons de reconnaître les tumeurs qui n’évolueront pas » ce qui rappelle les promesses des inventeurs du plan cancer « nous allons diminuer la mortalité du cancer de 40% » alors qu’aucun bénéfice du plan cancer en terme de survie n’a été observé depuis 12 ans...Les promesses n’engagent que ceux qui y croient mais les bénéfices de ces études génétiques supplémentaires ne seront pas perdus pour tout le monde et pendant ces longues années on continuera à briser des vies et mutiler pour rien.

La raison d'être du dépistage par mammographie doit-elle alors être réévaluée par les médecins et responsables politiques ?

Il est évident qu’aucun plan d’action sanitaire ne devrait être prévu sans analyse concomitante de son efficience par des statisticiens indépendants des bénéficiaires du plan. La sécurité sociale, qui paie les examens parait être l’organisme le mieux adapté : elle  recueille  les données par le biais du 100%  et des dates de décès et l’INSEE celui qui pourrait faire l’analyse. Ne sait pas que celui qui ne veut surtout pas savoir. Que les sénateurs méprisés par le pouvoir qui avaient demandé dès 2004 des études sérieuses et une information des femmes soumises au dépistage (« soumises … ») sur les risques, imposent avec les députés au moins un moratoire le temps de l’étude de ces chiffres immédiatement disponibles.

 Au stade où l’on en est et la multitude d’études concordantes, il ne me semble pas légitime de dépenser encore des sommes énormes pour un résultat connu d’avance. Stoppons au vu de ces résultats mondiaux qui s’accumulent ce dépistage « organisé » Réévaluons par exemple le prix de la consultation médicale au niveau de celui  européen et donnons ainsi plus de temps au médecin traitant pour une médecine individuelle permettant le diagnostic «  précoce » de vraies lésions. Cela sera efficace !une politique de santé logique et efficace est possible rapidement à condition de s’affranchir des lobbies et des liens d’intérêt. Quel gouvernement s’y attèlera enfin ? Il faut faire vite !

Il faudrait que nos responsables politiques cessent de se comporter comme les communicants  des lobbies qui n’ont même plus besoin de le faire eux-mêmes, le ministère et ses satellites s’en chargent..Notre ministre a osé prétendre à l’occasion d’Octobre rose 2013 « que personne ne remet en cause l’intérêt du dépistage »

Est-ce que ça veut dire que si on arrêtait totalement le dépistage automatique, ça ne poserait aucun problème ? Est-ce la mammographie qui est défaillante ou le problème vient-il du dépistage trop fréquent ?

C’est le principe même du dépistage organisé qui est en cause chez des bien portants. Aucun dépistage systématique ne marche en dehors des frottis du col utérin (mais on a supprimé la gynécologie médicale et on veut vacciner avec le dangereux Gardasil toutes le filles pour un bénéfice improbable dans trente ans…) Le dépistage du cancer de la prostate suit le même chemin, sur-diagnostics, impuissance et vies brisées. Les tentatives de dépistage du neuroblastome ou du cancer du poumon sont des échecs vite abandonnés.

Il est à prévoir que si les autorités contraintes par tant d’évidences à abandonner le dépistage organisé par mammographie tentent de remplacer celle- ci par l’imagerie par résonance magnétique, les résultats seront du même type en ce qui concerne les sur-diagnostics. Le seul avantage sera la suppression du traumatisme de la mammographie

Si on arrêtait le dépistage organisé chez les femmes qui ne se plaignent de rien, on rendrait un immense service aux femmes françaises. On leur éviterait bien des traumatismes physiques et psychiques (angoisse, douleurs à la compression des seins, biopsie inutile) et on éviterait de transformer trop de femmes saines en fausses cancéreuses auxquelles on enlève le sein et que l’on soumet à la chimiothérapie et /ou à la radiothérapie susceptibles de leur causer des séquelles voire de les tuer. Pire, les dégâts du dépistage sont supérieurs aux gains si l’on prend en compte les décès liés au traitement et au sur-diagnostic[11].

La fin ce dépistage nuisible ne diminuerait pas les chances de guérison pour celles qui  seront atteintes d’un vrai cancer du sein. Le dépistage organisé, contrairement aux allégations de la propagande ministérielle, ne diminue même pas le nombre de mutilations. La mammectomie, ablation totale du sein, a augmenté depuis le dépistage organisé (20 % en plus d’après l’étude du Pr Braun (11) qui corrobore les chiffres français.)

Est-ce un effet parallèle et non lié de la tarification à l’activité ou / et de la judiciarisation ? C’est une simple conjecture à vérifier. Mais il faudra faire un long travail d’explication auprès des femmes manipulées, désinformées et angoissées qui se disent rassurées et en veulent « quand même ». Machiavel est bien vivant et l’industrie de la peur avec lui. Que ceux qui doutent de ces affirmations prennent le temps de lire les publications citées et de nombreuses autres. Ils ne seront pas déçus …

Enfin, on économiserait 1.5 milliard d’euros qui permettraient de diminuer le  trou de la sécurité sociale !

Propos recueillis par Marianne Murat


[1] BMJ. 2014 Feb 11;348:g366. doi: 10.1136/bmj.g366. "Twenty five year follow-up for breast cancer incidence and mortality of the Canadian National Breast Screening Study: randomised screening trial." Miller AB, Wall C, Baines CJ, Sun P, To T, Narod SA.

[2] "Breast cancer mortality in organised mammography screening in Denmark : comparative study" Karsten J.BMJ 2010;340

[3] Dépistage des cancers du sein par mammographie. Une balance bénéfices/risques peu favorable. Revue Prescrire.2006. 26 N° 270/ 369- 371

[4] Gøtzsche PC, Nielsen M. Screening for breast cancer with mammography. Cochrane Database Syst Rev. 2009 Oct 7;(4):

[5] N.M.Hadler Malades d’inquiétude Presse de l’université de Laval 2010 page 125

[6] “L ’industrie du ruban rose”, 2012, d’après le livre de Samantha King « Pink rubans incorparated : breast cancer and the politics of philantropy »

[8] Overdiagnosis of Invasive Breast Cancer Due to Mammography Screening: Results From the Norwegian Screening Program Mette Kalager, Ann Intern Med. 3 April 2012;156(7):491-499

[9] Martinez Alonzo “Breast cancer incidence and overdiagnosis in Catalonia Breast Cancer resp” 2010;12(4)

[10] Bernard Junot « Investigation de l’épidémie apparente de cancer du sein en France : dépistage et évolution de l’incidence par le suivi de cohortes de naissance »,BMC Cancer 2011, 11:401

[11] Article récent d’une étude anglaise BMJ 2013 , 23 janvier  harms of breast cancer screening outweigh benefits if  death  caused by treatment is included   Michael Braun , personal view.

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