Pourquoi les élites n'ont pas intérêt au plein emploi<!-- --> | Atlantico.fr
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Un niveau de chômage "raisonnablement" élevé permet de favoriser certaines élites économiques en faisant peser une lourde pression sur les salaires.
Un niveau de chômage "raisonnablement" élevé permet de favoriser certaines élites économiques en faisant peser une lourde pression sur les salaires.
©Reuters

Jeu de pouvoir

Si la baisse du chômage et la recherche du plein emploi semble être un objectif "désirable" pour l’ensemble de la population, il n’est pas certain qu’il soit réellement partagé par tous. Car un niveau de chômage "raisonnablement" élevé permet de favoriser certaines élites économiques en faisant peser une lourde pression sur les salaires, et de conserver le pouvoir au sein des entreprises.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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En France, la notion de plein emploi ne signifie plus grand chose. Au mieux, la description d'une situation rêvée, fruit d'un contexte économique favorable sur lequel les autorités n'auraient aucune prise. Un serpent de mer, ou un vague souvenir des années 60. Pourtant, le plein emploi n'est pas un projet politique imaginaire, ni même démagogique, il s'agit tout simplement d'un objectif économique standard, parfaitement réalisable par tout pays normalement constitué, si celui-ci se dote des outils nécessaires à cet effet. Et, contrairement à la France, cette situation ou chaque personne étant à la recherche d'un emploi peut parvenir à ses fins grâce à une offre suffisante, devient peu à peu une réalité aux Etats Unis. Avec un taux de chômage de 5,1%, le pays peut bientôt prétendre à cet état tant souhaité.

Mais le plein emploi a un gros défaut qui peut le rendre impopulaire auprès de certaines élites. Car il s'agit avant tout d'un jeu de pouvoir. En effet, lorsque le chômage frappe durement une économie, les salariés font moins la fine bouche sur les conditions de leur emploi. Les salaires et les avantages associés sont très largement fixés par les employeurs, qui bénéficient d’un pouvoir prépondérant en matière de négociation. Ce qui permet de contenir, en partie, la part dévolue aux salaires dans l'entreprise, et donc de privilégier les niveaux de marges des entreprises. Puis, au bout de la chaîne, les revenus de capitaux.

A l'inverse, lorsque les employés se trouvent dans une situation favorable, lorsqu'une personne peut, par exemple, trouver un emploi en quelques jours, sans avoir à se préoccuper d’une éventuelle situation de chômage, ce pouvoir s'équilibre. Les conditions salariales ne sont plus simplement proposées et acceptées, elles sont discutées dans un environnement de "saine" concurrence. Employeurs et employés ont chacun la possibilité d'aller voir ailleurs pour constater, ou non,  si l'herbe y est plus verte. L’employeur n’est plus seul dans ce cas. De plus, puisque le plein emploi suppose que chaque personne qui souhaite travailler, travaille effectivement, une entreprise confrontée à un besoin de recrutement sera contrainte de débaucher un salarié dans une autre entreprise. Et donc, logiquement, de surenchérir sur ses conditions. Et puisque le changement de poste, d'une entreprise à une autre, est le principal moteur de la hausse des salaires, le cercle vertueux se met alors en place. Le plein emploi est atteint et les salaires progressent. Les salariés s'emparent alors doucement d'une plus large part des revenus générés par l'économie du pays. Et tout le monde est content. En théorie.

En théorie parce que les entreprises perdent ici deux avantages. D'une part, le monopole du pouvoir de négociation lui-même (Il est à noter que le monopole du pouvoir de négociation confié aux seuls salariés serait tout aussi néfaste pour l'économie, tuant les niveaux de rentabilité des entreprises, ce qui grèverait alors lourdement les possibilités de développement futurs). Et, d'autre part, une portion de revenus de l’enveloppe totale. Parce que la hausse des salaires subséquente au plein emploi aura pour effet de faire augmenter progressivement le coût du travail, et donc la part des salaires dans le revenu global. Privant ainsi le capital d'une part des revenus à laquelle il pouvait prétendre en période de chômage. 

Pour ces élites économiques, il ne s'agit pas de s'opposer à la croissance et à la baisse du chômage par principe. Evidemment. Car cela serait totalement contreproductif. Personne n’aurait intérêt à ce que l’économie du pays soit en récession. Il s’agit plutôt d’éviter que la croissance économique ne soit trop soutenue pour éviter, de justesse, le plein emploi. Car il s'agit de conserver un avantage, qui est tout simplement le pouvoir au sein de l’entreprise. Parce qu’à l’inverse, en période de plein emploi, ce pouvoir est partagé, et pas uniquement pour la négociation des salaires, mais bien dans un sens plus global. Lorsque la conservation des salariés devient une priorité, ce partage est une nécessité.

De plus, et sans aucune surprise, les périodes de plein emploi se sont révélées être des années ou la distribution des revenus s'est réalisée de façon plus égalitaire, entre travail et capital.  Au contraire, l'absence récurrente du plein emploi a largement contribué à la formation des inégalités depuis le début des années 80 aux Etats Unis. 

Ainsi, il suffit de constater le sort des 1% les plus riches lorsque les Etats Unis ont durablement connu le plein emploi, soit les 30 années qui ont séparé la fin de la guerre à la fin des années 70. Le résultat, sur cette période, a été une stagnation, ou une baisse, de la portion de revenus captés par les "1%". Ces mêmes 1% qui n’ont pas forcément intérêt à voir le plein emploi devenir une habitude.

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