Pourquoi les ados ne voient (vraiment) pas la pile de linge sale qu’ils érigent dans leur chambre<!-- --> | Atlantico.fr
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Des chaussettes sales.
Des chaussettes sales.
©Reuters

Neuropsychologie

Tous les parents en ont fait ou en feront l'expérience : l'adolescence est l'âge de la négligence des tâches quotidiennes. Un comportement lié aux transformations du cerveau, qui entame à cet âge une phase de mutation cruciale, omnibulée par l'image sociale et la recherche de l'expérimentation.

Jacques Dayan

Jacques Dayan

psychologue, psychiatre, spécialiste des stress post- traumatiques, auteur de l’étude : La mémoire dans l’Etat de Stress Post-Traumatique : Stress et Mémoire Emotionnelle (SEME)

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Atlantico : L'une des "spécialités" des adolescents est de laisser leur linge sale s'amonceler au milieu de leurs chambres. Pourquoi sont-ils plus négligents que les adultes ? Y-a-t-il une explication scientifique ?

Jacques Dayan : Il y a une certaine réticence des adolescents aux tâches qui ne leur apportent pas une nouveauté dans l'expérience, une prise de risque ou une satisfaction. Elles ne répondent pas à ce qu'ils recherchent : l'approbation des pairs, la recherche de sensations intenses ou méconnues. Ce sont des tâches répétitives qu'ils veulent éviter.

Cela a une explication neurologique. L'adolescence, pour le cerveau s'arrête vers 23 ou 25 ans. C'est une phase de maturation, à la fois de développement de fibres mais aussi de destruction de connexions entre les neurones. Cette phase a pour intérêt d'affiner le cerveau et les perceptions. La partie du cerveau qui va être la plus touchée est le cortex préfrontal, qui a un rôle de planification des tâches et de contrôle exécutif, c'est-à-dire le choix de ce que l'on veut faire, mais aussi de connexion sociale. Pour affiner son cerveau, l'adolescent doit expérimenter et prendre des risques, d'où le peu d'intérêt pour les tâches du quotidien.

Du point de vue cognitif, l'adolescent voit autant que sa mère, qui le pousse à ranger, l'intérêt de ne pas accumuler les vêtements sales dans un coin de sa chambre. Mais il recherche d'abord le refus de l'assujettissement et la recherche d'indépendance.

Selon la neurologue américaine Frances Jensen, auteur du bestseller The Teenage Brain: A Neuroscientist's Survival Guide to Raising Adolescents and Young Adults (Harper, janvier 2015), une grande partie des comportements des adolescents peut être reliée au fait que leur cerveau n'est pas encore complètement développé. En quoi les neurosciences peuvent-elles expliquer les attitudes des adolescents, souvent  mal interprétées par les adultes ?

Les performances cognitives des adolescents sont à peu près équivalentes à celles des adultes. L'appréhension intellectuelle du monde n'est pas différente chez l'adolescent mais il va cependant surtout être guidé par le cerveau émotionnel  et la recherche de la socialisation. Le chercheur américain Laurence Steinberg a mené en 2008 une étude sur le comportement d'adolescents sur un jeu vidéo de courses de voitures. Seuls, ils ne prennent pas plus de risques qu'un adulte. En groupe, en revanche, ils cherchent à dépasser les limites, à provoquer l'accident. L'adolescent est à la recherche de récompenses, surtout sociales. C'est un mode de régulation sociale de l'expérimentation du monde avec pour récompense l'approbation des pairs. Les groupes d'adolescents ont ainsi un rôle important dans le façonnage du cerveau.

Il existe chez l'adolescent  une différence de maturation entre le cerveau émotionnel (le cortex limbique) et le cortex préfrontal. Cela veut dire qu'à un certain moment le cerveau émotionnel prend le dessus. Toutes les formations aux risques auront donc de très faibles résultats puisque finalement c'est l'équilibre émotionnel et non les connaissances qui lui fera prendre des risques limités.

Le cerveau a-t-il du mal à maîtriser les comportements impulsifs à cet âge-là ? Est-ce que cela peut expliquer leur sensibilité aux addictions ?

L'impulsivité augmente à l'adolescence mais elle va diminuer progressivement jusqu'à l'âge adulte. La recherche de sensations n'est pas directement liée à l'impulsivité. Il peut y avoir une recherche de risques non impulsive. Les adolescents peuvent réfléchir très longtemps avant de prendre une décision qui implique de hauts risques, pour les raisons développées précédemment.

Les addictions se font souvent de façon groupale. Cela répond à la fois à la recherche de groupalité, mais aussi à l'envie d'expérimentation. La vulnérabilité aux drogues, par exemple, vient aussi d'autres facteurs comme des traumatismes, la dépression, etc.

L'adolescence est-elle le meilleur moment pour développer son intellect ? L'environnement est-il crucial dans cette période ?

C'est essentiel dans le développement de l'intelligence sociale. L'adolescence est un passeur entre les générations. Il y a une perte par rapport à la génération précédente, certes, mais aussi un gain : l'adolescent intègre tout ce que ses ancêtres n'ont pas intégré, ce qui va devenir banal pour lui et qui va devenir un élément crucial dans la relation sociale.

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