Edito
Pourquoi le redressement de la France par la réforme sortirait l’Europe de l’ornière
On s’est rendu compte qu’on ne pouvait pas avancer du même pas à vingt-huit, alors que les systèmes étaient trop différents.
Triste anniversaire pour l’Europe. Le 25 mars, soixante ans après la signature du traité de Rome, la construction emblématique voulue par six pays , la France, l’Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg et l’Italie, auxquels se sont agrégés progressivement vingt-deux autres nations, forme aujourd’hui un ensemble de plus en plus disparate contesté par une opinion sceptique. A la veille de la commémoration officielle, on ne savait pas si tous les participants seraient présents, la Pologne préconisant l’égalité absolue entre tous, alors que la majorité voudrait évoluer vers une construction à plusieurs vitesses. De son côté la Grèce, empêtrée dans une négociation délicate avec ses créanciers en raison de son endettement, se livre à un véritable chantage en faveur de la protection des travailleurs.
Cet anniversaire est l’occasion de dresser un bilan des résultats obtenus en l’espace de deux générations. Le marché unique a été réalisé pour les biens qui circulent librement. En revanche, les services sont encore à la peine, car les réticences nationales subsistent sur de nombreux points. Il en va de même en matière de capitaux, où les différences fiscales entravent la liberté des flux. Des progrès considérables ont été accomplis en matière de croissance et de productivité, même si l’on observe désormais un ralentissement lié à la conjoncture internationale. On reproche aussi aux organismes de Bruxelles de verser dans une bureaucratie souvent tatillonne, qui freine certaines initiatives, même si globalement un Etat de droit peut être sauvegardé.
Il reste que le Brexit, dont le coup d’envoi vient officiellement d’être donné, crée un malaise considérable. Il intervient à un moment psychologiquement crucial, où un certain désenchantement vis-à-vis de la construction européenne se manifeste, alors que les sentiments nationalistes relèvent la tête un peu partout. En réalité, la « fournée » de dix nouveaux membres en 2004 a été le début du malaise. L’enthousiasme des derniers candidats a été vite déçu, car on s’est rendu compte qu’on ne pouvait pas avancer du même pas à vingt-huit, alors que les systèmes étaient trop différents. Aujourd’hui, il faut surtout éviter que l’Europe se désagrège, alors que l’union n’a jamais été aussi nécessaire pour faire face aux politiques hégémoniques des Etats-Unis et de la Chine, qui viennent braconner sur le vieux continent affaibli. Il convient d’éviter le dépeçage de ses fleurons par le canal des investissements étrangers. Il est vital de contre attaquer en mettant en place des politiques communes en commençant par la défense, contre le terrorisme, en s’appliquant à favoriser les initiatives en matière d’énergie, de transition énergétique et d’investissements.
Pour cela, il est essentiel de rétablir l’équilibre entre la France et l’Allemagne, pour éviter le danger de dislocation, engendré par l’impression d’une évolution vers une Europe allemande que la plupart des pays ne supportent pas. Il ne s’agit pas de s’orienter vers moins d’Europe comme le réclament les populistes, en abandonnant pour certains l’euro. L’Allemagne elle-même y laisserait des plumes : elle serait la première victime car « une Europe avec un seul leader n’est pas viable », comme le soulignait récemment Romano Prodi, ancien président de la Commission européenne dans une interview au Figaro. C’est là que le rôle de la France est essentiel, car, avec le départ de la Grande Bretagne, elle est l’unique puissance nucléaire de l’union et la seule à détenir un droit de veto au conseil de sécurité de l’ONU. Mais « le problème de la France est d’exister » affirme Romano Prodi, car elle s’est considérablement affaiblie ces dernières années et sa voix pèse de moins en moins sur la scène internationale. D’où l’importance de la prochaine élection présidentielle, qui doit être l’occasion de provoquer l’indispensable sursaut, pour elle, mais aussi pour l’Europe.
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