Pourquoi le principal moteur de la hausse de la rémunération des grands patrons n’est pas celui qu’on croit<!-- --> | Atlantico.fr
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La patronne de Yahoo Marissa Mayer.
La patronne de Yahoo Marissa Mayer.
©EPA/LAURENT GILLIERON

Petit coup de pouce

Depuis le milieu des années 60, la hausse de la rémunération des grands patrons bat tous les records. De 20 fois le salaire d’un employé moyen en 1965, le revenu d’un dirigeant de grande entreprise atteint aujourd’hui l’équivalent de 300 salaires moyens. Une hausse qui ne peut être attribuée aux seuls mérites de ces grands patrons, mais plutôt à des facteurs extérieurs.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Dans un article publié le 21 juin dernier par le Washington Post, le chroniqueur Robert Samuelson s’attaque aux inégalités de revenus, et plus spécifiquement à la question de la rémunération des grands patrons américains. Et ce, en débutant son texte par une citation d’Hillary Clinton : "la prospérité ne peut pas être réservée aux PDG et aux gérants de Hedge funds".

Après avoir indiqué que les grands patrons, accompagnés des plus hauts cadres de la finance représentaient 43% des 1% les plus riches de la nation, Samuelson s’empare alors de la question de la cause. Ou comment la rémunération des dirigeants des plus grandes entreprises est-elle parvenue à progresser aussi fortement, et aussi rapidement au cours des dernières décennies :

"En 1965, le ratio de rémunération entre celle d’un grand patron et celle d’un employé typique était de 1 à 20. (…) Aujourd’hui, elle est de 1 à 300."

Parce que si certains moteurs de cette hausse massive de rémunérations sont à attribuer aux mérites de quelques-uns, une autre cause est à l’œuvre ; la macroéconomie, et notamment à travers son volet "lutte contre l’inflation" menée par la Réserve Fédérale des Etats Unis.

"Les Américains sont favorables aux personnes qui deviennent riches, mais pour que cela soit socialement acceptable, cette richesse doit être gagnée. (…) La hausse majeure (des rémunérations) reflète les effets de la faible inflation et des taux bas. Les patrons n’y sont pour rien, mais ils ont bénéficié énormément de la hausse des marchés financiers. Ce fut une immense aubaine."

En effet, c’est bien une modification fondamentale de la politique macroéconomique américaine qui  a été la cause majeure de ce phénomène. En 1979, le Banquier central Paul Volker arrive à la tête de la Réserve fédérale des Etats Unis avec une mission; en finir avec la grande inflation des années 70. Volker n’hésite pas longtemps et va resserrer l’étau monétaire avec vigueur, en remontant sèchement les taux d’intérêts, ce qui aboutira  à provoquer une récession pouvant être qualifiée de volontaire, et permettant de casser la dynamique de hausse des prix. En janvier 1981, les taux d’intérêts dépassent le seuil de 19%. En peu de temps, les résultats arrivent, et la spirale inflationniste est brisée. Le cycle désinflationniste est désormais en marche, ce qui va provoquer un regain de confiance historique dans les marchés financiers. Puisque l’incertitude découlant de prix erratiques disparaît, la confiance des investisseurs se renforce et permet de donner un coup de fouet aux marchés actions américains. L’ensemble du monde "libre" se mettra rapidement au diapason, ce qui est notamment le cas de la France en 1983, avec le tournant de la rigueur. Le monstre de l’inflation est terrassé aussi facilement que la théorie monétaire le prévoyait. Parce que pour une Banque centrale, l’inflation n’est qu’un tigre de papier.

Mais la politique de désinflation ne vas pas avoir que des conséquences financières, l’économie réelle est en point de mire. Ainsi, et alors que les années 70, synonymes d’inflation galopante, avaient donné un pouvoir de négociation surdimensionné aux salariés, ceux-ci bénéficiant de réévaluations de leur traitement de plus en plus fréquentes, et ce, au détriment des marges des entreprises, la politique menée par Paul Volker va inverser la tendance. La forte remontée des taux d’intérêt va alors contraindre le niveau d’activité économique vers le bas, et ainsi provoquer une hausse du chômage. Cette stratégie permet peu à peu aux entreprises de retrouver la main sur le pouvoir de négociation des salaires. Les marges des entreprises reprennent des couleurs, pour en arriver à une situation de quasi équilibre au bout de quelques années entre les deux forces en présence.

Mais l’équilibre ne va pas résister longtemps, car la politique de désinflation va perdurer plus longtemps que nécessaire. D’un excès de pouvoir des salariés au cours des années 70, l’excès de pouvoir va changer de camp et se retrouver entre les mains des entreprises. Désormais, lorsqu’une crise frappe, la stabilité des prix est privilégiée au plein emploi, le chômage devenant la seule variable d’ajustement permettant de résorber une récession. L’inflation est alors présentée comme le mal absolu, et ce, malgré l’extrême facilité et la parfaite efficacité des politiques de hausse des taux pratiquées par les Banques centrales au début des années 80, pour lutter contre une éventuelle accélération de la hausse des prix.

Confiance retrouvée, surprotection du capital, le prix des actifs financiers va pouvoir commencer son irrésistible ascension. L’indice phare de la place de New York, le Dow Jones, voit sa cotation être multipliée par 20 entre 1980 et 2014, de 838 à 16576 points à la fin 2014.

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De la même façon, la part de profits des entreprises va tripler par rapport au total des revenus entre 1986 et 2014. Enfin, le phénomène doit également beaucoup à la confiance des investisseurs. Alors qu’en 1980, un investisseur payait une action 7 fois ses bénéfices moyens des 10 dernières années, l’investisseur de 2014 est prêt à la payer plus de 26 fois ces mêmes bénéfices (PE de Shiller). 

PE de Schiller. Ratio cours sur bénéfices des 10 dernières années. SP 500.

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L’effet boule de neige se met en place, entre des marges en hausse, une inflation toujours plus faible, et une confiance de plus en plus forte. La combinaison va alors entrainer l’inexorable hausse des revenus des personnes les plus riches de la population, c’est-à-dire "les 0.1%", et ce, principalement sous l’afflux de la hausse des revenus de capitaux. En effet, 60% de la rémunération des 400 plus grandes fortunes américaines provient des revenus de capitaux, notamment des marchés financiers. Et plus de la moitié du total de ces mêmes gains en capitaux tombe dans l’escarcelle des 0.1% les plus riches de la population. De cette façon, les grands patrons bénéficient à plein de la corrélation entre leurs revenus et les performances boursières de leurs entreprises. Ainsi, entre 1980 et 2013 la part des revenus revenant aux 0.1% les plus riches de la population passe de 2% à plus de 7% du total des revenus du pays.

World Income Database. Part des revenus des 0.1% dans le revenu total. En %. Etats Unis

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Mais pour qu’une telle progression soit possible, quelqu’un doit payer. C’est ainsi que lors de la période considérée, la part des revenus salariés dans le PIB a connu une lente descente aux enfers, passant de près de 49% du total en 1980, à un seuil proche de 42% à la fin 2012.

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Lorsque Paul Volker a mis en place son plan de lutte contre l’inflation au début des années 80, il a permis de rééquilibrer une situation désastreuse pour les entreprises. Mais le maintien de cette politique de désinflation, au-delà de l’équilibre entre capital et travail, a offert un avantage considérable aux détenteurs de capitaux, par rapport aux personnes vivants des revenus de leur travail.

Une réalité que commentait l’économiste Steve Waldman :

"Ce qui est immoral c’est de cacher ce qui peut être démontré comme étant le plus grand programme d’assurance sociale derrière la phrase technocratique de 'stabilité des prix'.(politique de stricte lutte contre l’inflation)  C’est un schéma qui force les membres les plus précaires de notre société à assurer le pouvoir d’achat des plus sécurisés, et ce, sans aucune limite ou même comptabilité de l’échelle de ce transfert".

Ce que Robert Samuelson remet ici en cause, c’est la légitimité de rémunérations dont le principal moteur est extérieur au mérite des personnes qui en bénéficient. Car la politique macroéconomique d’un pays, ou d’un autre, n’a pas vocation à privilégier un groupe plutôt qu’un autre. 

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