Pourquoi le premier tour de la présidentielle 2017 risque d'être une deuxième primaire pour la droite <!-- --> | Atlantico.fr
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La primaire à droite ne résoudra pas toutes les tensions chez Les Républicains.
La primaire à droite ne résoudra pas toutes les tensions chez Les Républicains.
©Reuters

Rebelote

Rapprochement entre Henri Gaino et Marion Maréchal Le Pen ; chiffon rouge d'une candidature dissidente de Nadine Morano ; candidature sous condition pour François Bayrou... En dépit d'une désignation en bonne et due forme lors des primaires, les chances de voir une offre politique similaire se reformer au premier tour des élections présidentielles sont symptomatiques des courants qui traversent la droite.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Atlantico : A l'origine, l'organisation d'une primaire à droite avait pour objet de renforcer un candidat unique en éliminant les candidatures potentielles. Que ce soit Nicolas Sarkozy, Alain Juppé -voire un autre candidat de la droite- qui l'emporte, ce dernier ne risque-t-il pas de se retrouver face à d'autres candidatures spontanées, ce qui aurait pour effet de reformer un paysage diversifié à droite au premier tour des élections présidentielles ?

Bruno Cautrès : C’est bien pour le moment l’un des paradoxes de l’organisation de la primaire « de la droite et du centre » : elle a cassé le mode habituel de désignation du candidat du parti dominant à droite, les Républicains (ex-UMP) en transformant cette désignation en concours où beaucoup veulent tenter leur chance. Mais il y a un pas, voire un très grand pas, entre être candidat à la candidature et être candidat à l’élection présidentielle. Si Alain Juppé a laissé plané la menace qu’en cas de primaire qui ne serait pas organisée de manière transparente et à son goût il se présenterait quand même, cette menace n’est plus très souvent brandie : elle a joué son rôle qui était de peser sur l’organisation de la primaire. Si lui ou Nicolas Sarkozy étaient choisis par les électeurs de la primaire, le scénario le plus probable aujourd’hui étant bien que l’un des deux gagne la primaire, on voit mal comment pourrait prendre une candidature indépendante au sein des Républicains : même Nadine Morano, avec toute l’amertume qu’elle nourrit sans doute contre Nicolas Sarkozy, n’aurait pas de débouché politique après la primaire dans la mesure où elle aura pu défendre ses idées lors de cette primaire. Par ailleurs, une campagne électorale nécessite d’avoir des moyens, des idées fondamentalement différente des autres candidats, des réseaux militants sur le terrain et des épaules assez larges pour tenir le choc. La campagne électorale peut vite se transformer en chemin de croix pour celui ou celle qui ne réunit pas ces conditions et « mettre au tapis » de manière assez définitive ceux qui s’y risquent alors.

En revanche, il est assez probable que, quel que soit le vainqueur de la primaire « de la droite et du centre », des candidatures s’affirmeront en dehors des Républicains : au premier chef, François Bayrou, notamment si Nicolas Sarkozy était désigné ; mais aussi Nicolas Dupont-Aignan. Dans le contexte de la « crise des réfugiés », des remises en cause de Schengen et plus généralement de la crise économique que nous traversons, le candidat de la droite souverainiste voudra peser sur l’élection présidentielle, notamment si les élections régionales de 2015 lui permettent de réaliser un bon score en Ile de France. Ce courant souverainiste continue d’exister à droite même si le centre de gravité de celle-ci est en faveur de l’intégration économique européenne et d’un espace économique ouvert. En revanche, je ne crois pas beaucoup au retour de Philippe de Villiers malgré sa réapparition dans l’espace médiatique. N’oublions pas qu’il a affronté des soucis de santé et qu’en 1995 il n’avait pu, de justesse, bénéficier du remboursement de ses frais de campagne électorale. Faisant l’impasse sur 2002, il n’avait pu attirer, en 2007, les suffrages que de 2.23% des exprimés. Quant aux candidatures de droite mais issue de la « société civile », comme l’hypothèse Eric Zemmour testée dans certains sondages, pour le moment cela relève plutôt d’une « bulle médiatique ». Si la notoriété du journaliste et polémiste est forte en France et le succès des ventes de son livre Le suicide français avéré, là aussi il faut souligner que la marche à franchir pour se présenter à la présidentielle est très haute (tout d’abord la marche des 500 parrainages). Ce qui est néanmoins intéressant dans cette hypothèse, c’est qu’elle montre bien à quel point la droite est aujourd’hui travaillée par les questions de la souveraineté nationale, des frontières, de l’Europe et de la mondialisation. Que le vainqueur de la primaire soit Alain Juppé ou Nicolas Sarkozy, il aura a affronter cette situation d’une droite en mosaïque et fragmentée sur ces questions. Il ne suffira pas de déclarer haut et fort que l’identité nationale est « heureuse » ou « malheureuse » pour affronter ces préoccupations de l’électorat de droite et les gérer.

En 1974, Jacques Chaban Delmas, candidat de l’UDR (ancêtre du RPR) était considéré comme le définitif candidat du parti gaulliste. Pourtant, une fronde interne menée par Jacques Chirac (et les pompidoliens Marie-France Garaud et Pierre Juillet), après avoir tenté de susciter une autre candidature "gaulliste", et le trop-plein de candidatures minent sa légitimité. Quelles sont aujourd'hui les tensions idéologiques à l’œuvre à droite, et qui pourraient susciter des ambitions pour peser sur le centre de gravité de la droite ?

Bruno Cautrès : La situation actuelle de la droite est celle d’une situation assez bancale. La création de l’UMP, avec une forte domination en son sein de l’ex RPR, puis la transformation de l’UMP en les Républicains (avec toujours la domination de l’ex UMP tout en clamant une vocation de « droite et du centre »), n’a pas suffi à faire baisser la double pression exercée par le centre (notamment du fait de la capacité de nuisance de F. Bayrou lors de l’élection présidentielle) et surtout par le FN. La « droitisation de la droite » que l’on a vu s’affirmer depuis quelques années, porte les contradictions au paroxysme : si la droite se « centrise » elle prend le risque de laisser un boulevard au FN ; si elle se « radicalise » , elle prend le risque de légitimer la place de l’extrême droite dans l’espace idéologique et partisan.  Il existe donc de profondes divisions et tensions à droite sur ce plan et sur les conséquences stratégiques qu’il faut en tirer. Les recherches de ma collègue de Sciences Po Florence Haegel ont bien montré l’importance de ces tensions et divisions à droite. Derrière la primaire de 2016 et la rivalité Sarkozy/Juppé, c’est bien de cela dont il s’agit. La victoire de l’un ou de l’autre ne permettra pas de trancher le nœud gordien car il s’agit de différences idéologiques et non pas seulement tactiques en vue de remporter la primaire.

A partir de là, la victoire de l’un des deux à la primaire peut-elle entraîner des candidatures « dissidentes » du camp qui aura perdu cette primaire ? Je penche pour la situation suivante si Nicolas Sarkozy remportait la primaire : un passage de témoin entre Alain Juppé et François Bayrou. Ce dernier essaierait alors de prolonger le message porté par Alain Juppé lors de la primaire. Un exercice plus délicat qu’il n’y parait car en revenant vers la droite, François Bayrou aura perdu une partie des électeurs de centre-gauche qu’il avait su attirer lors des deux dernières présidentielles. Son message (du ni gauche, ni droite) est brouillé. Si c’est Alain Juppé qui gagne la primaire, je vois mal Nicolas Sarkozy se présenter en « dissident », une posture difficilement compatible avec le message de rassemblement de sa famille politique qu’il martèle depuis son élection à la tête de l’UMP. Sa défaite à la primaire, si il était battu, pourrait-elle donner des ailes au courant souverainiste (H. Guaino) des Républicains ? Ceux-ci pourraient en effet vouloir que leur courant de pensée, porteur des tensions et inquiétudes sur les frontières ou Schengen, soit représenté. Mais encore une fois, le pas à franchir est très loin d’être simple et la machine du parti qui se met en mouvement pour l’élection présidentielle est une puissante force centrifuge. Je ne crois pas beaucoup à un florilège de candidatures spontanées ou dissidentes malgré les envies d’y aller qui existent chez les uns et les autres. 

L'opinion n'est pas séduite par une tête d'affiche de 2012 pour 2017, ce qui dégage des espaces politiques. Pour autant, les espaces politiques dégagés par une désignation de Nicolas Sarkozy ou d'Alain Juppé sont-il les mêmes ?

Bruno Cautrès : Non, ils ne sont pas les mêmes pour toutes les raisons que nous venons de donner. Les sociologies des intentions de vote à la primaire pour Nicolas Sarkozy et Alain Juppé ne sont pas les mêmes, ni politiquement ni du point de vue sociodémographiques. Nicolas Sarkozy est le candidat de la droite au sens strict et déborde sur les sympathisants FN ; il séduit un électorat potentiel plus jeune, plus populaire ; Alain Juppé est le candidat du centre plutôt que la droite, il déborde sur le centre-gauche et même la gauche et séduit un électorat plus vieux et plus bourgeois.  L’un comme l’autre sont porteurs de lourdes contradictions, une fois désignés ou même élus. Imaginons, l’élection à la présidence (de la République) de Nicolas Sarkozy : les tensions sur les questions sociétales peuvent repartir ; imaginons l’élection à cette même présidence d’Alain Juppé : l’électorat du centre et centre-gauche qui lui aurait permis de triompher de Nicolas Sarkozy découvrait alors son programme économique de droite ; et ce n’est pas la publication de livres, que presque personne ne lit , qui y changera quelque chose. Toutes ces contradictions échappent à nos hommes politiques ; elles ne font que traduire que nous vivons dans un monde globalisé, que nos « vieilles sociétés » européennes s’adaptent dans la douleur (et le développement de nouvelles inégalités) à ce monde nouveau. L’espace politique français est durablement caractérisé par ce que les chercheurs du CEVIPOF ont qualifié de « tripartition », une situation qui met la droite (et la gauche aussi) sous forte pression quel que soit la champion qu’elle se choisira pour 2017.

Jérôme Fourquet : Il y a différents paramètre à prendre en compte. D'une part qui sortira de la primaire et comment elle se se sera déroulé. Paraîtra-t-elle comme ayant été loyale ? Il y a aussi qu'un certain nombre de candidats à ces primaires comme Alain Juppé et François Fillon qui ont déjà laissés sous-entendre que si la primaire ne s'était pas déroulé dans des conditions honnêtes et correctes, ils ne se sentiraient pas liés aux résultats des urnes de la primaire. Tout le monde a néanmoins intérêt à ce que cela se passe bien. A une échelle plus modeste on se souvient du spectacle affligeant des élections internes entre François Fillon et Jean-François Copé.

Ensuite, si les primaires se déroulent dans de bonnes conditions, il y a effectivement différents scénarios : soit Alain Juppé est désigné comme représentants de la droite, soit c'est Nicolas Sarkozy, et se pose alors la question de l'offre électorale qui est créée, et ce à la fois chez les Républicains, mais aussi au centre ou dans l'espace qui les sépare du Front national... Dans ce contexte, est-ce qu'on suit un seul homme ? Si Alain Juppé l'emporte, François Bayrou dit qu'il ne se présentera pas, Alain Juppé ayant un positionnement plus central, difficile pour quelqu'un de se présenter dans cet espace, en tout cas pour se sentir pousser des ailes. En revanche, quelqu'un comme Nicolas Dupont Aignan a déjà indiqué qu'il serait candidat quoi qu'il en soit, et si les régionales sont une réussite pour lui, et que Alain Juppé est candidat, cela libère un espace à la droite des Républicains intéressant pour lui, ou pour d'autres.

Si c'est Nicolas Sarkozy, même exercice, Bayrou a d'ores et déjà annoncé qu'il ne se résoudrait pas à laisser les Français choisir entre lui et Marine Le Pen, et qu'il se présenterait donc, avec une offre centriste et modérée, pour la 4ème fois de sa vie politique. Nicolas Sarkozy étant sur une espace politique droitier, l'espace se dégagerait au centre, car rien ne dit que les troupes d'Alain Juppé ne respecteraient les résultats d'une primaire qui s'annonce rude et iraient voter pour Nicolas Sarkozy... De même, tout laisse à penser que Nicolas Dupont-aignan serait lui aussi candidat.

Qu'est-ce qui pourrait solidifier la droite autour d'un seul candidat ?

Jérôme Fourquet : Du milieu des années 2000 jusque 2012, il y avait également de fortes tensions à droite, mais qui étaient réglées par le leadership fort de Nicolas Sarkozy. Aujourd'hui, ces divergences d'approches s'expriment d'autant plus qu'il n'y a pas de patron incontesté à la barre pour faire taire les voix dissonantes.

Sur le plan des idées l'ancien Président est le mieux placé dans sa famille politique mais il ne fait pas 80% non plus. On observe que des divergences idéologiques demeurent, alors même qu'il y a un contexte de droitisation. Sa grande ambition est d'être le rassembleur de sa famille politique. Il doit donc accepter un certain nombre de compromis qui l'amènent à se placer sur des positions plus modérées... Tout en tenant compte de la radicalisation significative d'une bonne partie de sa base électorale, sans oublier la dynamique importante du Front National.
Le problème pour lui est moins constitué par ses idées que par sa personnalité, sa manière de faire de la politique. C'est pour cela que la situation est assez figée et mouvante à la fois : Nicolas Sarkozy caracole en tête - mais seulement chez les Républicains -, mais pour un ex-président, ne faire que 50% de sa famille politique n'est pas un score incroyable non plus.

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