Pourquoi le Pape François est moins angélique qu'on ne le croit et plus pessimiste qu'on ne le pense face à la violence du terrorisme islamiste<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Pourquoi le Pape François est moins angélique qu'on ne le croit et plus pessimiste qu'on ne le pense face à la violence du terrorisme islamiste
©Reuters

Stratégie à la Pie XII

Le parallèle établi par le pape entre les violences islamistes et catholiques a été incompris et jugé naïf par nombre de pratiquants. Mais c'est oublier une qualité essentielle du souverain pontife : il a été élevé chez les jésuites, réputés pour arriver à leurs fins par des voies détournées, quitte à abonder d'abord dans le sens général. Ainsi, par de tels propos, le pape veut sans doute éviter de nommer le danger, d'en donner la véritable mesure, pour ne pas faire advenir ce qu'il craint et pour mieux le circonvenir plus tard.

Christophe Dickès

Christophe Dickès

Historien et journaliste, spécialiste du catholicisme, Christophe Dickès a dirigé le Dictionnaire du Vatican et du Saint-Siège chez Robert Laffont dans la collection Bouquins. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages consacrés à la politique étrangère et à la papauté (L’Héritage de Benoît XVI, Ces 12 papes qui ont bouleversé le monde). Il est enfin le fondateur de la radio web Storiavoce consacrée uniquement à l’histoire et à son enseignement.

 

Voir la bio »
Christian Combaz

Christian Combaz

Christian Combaz, romancier, longtemps éditorialiste au Figaro, présente un billet vidéo quotidien sur TVLibertés sous le titre "La France de Campagnol" en écho à la publication en 2012 de Gens de campagnol (Flammarion)Il est aussi l'auteur de nombreux ouvrages dont Eloge de l'âge (4 éditions). En avril 2017 au moment de signer le service de presse de son dernier livre "Portrait de Marianne avec un poignard dans le dos", son éditeur lui rend les droits, lui laisse l'à-valoir, et le livre se retrouve meilleure vente pendant trois semaines sur Amazon en édition numérique. Il reparaît en version papier, augmentée de plusieurs chapitres, en juin aux Editions Le Retour aux Sources.

Retrouvez les écrits de Christian Combaz sur son site: http://christiancombaz.com

Voir la bio »

Atlantico : Le parallèle effectué par le Pape François entre les violences islamistes et celles catholiques a provoqué une certaine incompréhension chez les pratiquants. La situation politique dans laquelle il se trouve, dans un contexte de tensions religieuses pourrait-elle expliquer en partie les déclarations du souverain pontife ? 

Christian Combaz : Quand on a été élevé chez les Jésuites, on en retire plusieurs certitudes : 1/ ils sont moins naïfs que les autres, sans doute parce que leur intelligence est plus grande, 2/ ils arrivent à leurs fins par des voies détournées quitte à abonder d'abord dans le sens général. Donc on est obligé d'appliquer cette grille de lecture.

"Puisqu'il faut absolument trouver un exemple catholique de violence, nous a t-il dit en somme, prenons le type qui tue sa femme parce qu'elle le trompe et qui va à la messe quand même". Argument grotesque évidemment face aux massacres d'inspiration religieuse directe que nous avons subis, mais c'est justement la faiblesse de cet exemple qui témoigne qu'il s'agissait juste de lâcher aux hyènes une vague carcasse de poulet. Comme Latino-Américain, il sait très bien que les commandos armés qui descendaient dans les barrios au nom du Christ contre le marxisme il y a quarante ans étaient nombreux. Or il n'a même pas pris soin de se référer à cette réalité, qu'il connaissait pourtant très bien, pour nous citer plutôt le cas ridicule de crimes privés, de drames passionnels chez des gens qui vont à la messe. Ce qui prouve qu'il s'agissait dans son esprit de payer le diable, comme on disait autrefois, et d'enfumer l'opinion par une pirouette, en attendant quelque chose et pour cacher quelque chose.

En attendant quoi, pour cacher quoi ? C'est là qu'on devrait faire confiance à un homme aussi expérimenté. Il veut sans doute éviter de nommer le danger, d'en donner la véritable mesure, pour ne pas faire advenir ce qu'il craint et pour mieux le circonvenir plus tard. En ce sens cette pirouette papale à elle seule permet de mesurer la taille du Léviathan qui s'est dressé devant lui. Que le Pape ait pris le risque de passer pour un guignol n'est pas très rassurant sur la nature de ce qu'il a vu, de ce qu'il cherche à conjurer.

Christophe Dickès : Oui, de fait, tout le monde s’accorde à dire que le pape qui, je le rappelle, est un chef d’Etat, se doit d’être prudent quand il évoque de tels sujets. Afin précisément de ne pas attiser les tensions et les haines dans le monde. D’ailleurs, ces déclarations viennent juste après quelques mots très mesurés sur la Turquie. Mais dans le cas présent, il a dit  : "Je n'aime pas parler de violence islamique, parce qu'en feuilletant les journaux je vois tous les jours que des violences, même en Italie : celui-là qui tue sa fiancée, tel autre qui tue sa belle-mère, et un autre… et ce sont des catholiques baptisés ! Ce sont des catholiques violents. Si je parle de violence islamique, je dois parler de violence catholique." Or, si vous me permettez cette subtilité sémantique, "des catholiques violents" et " la violence catholique", ce n’est absolument pas la même chose.

Oui, des baptisés, qui ont oublié les promesses de leur baptême (le "renoncement à Satan" et au mal), commettent aussi des meurtres dans le monde. Mais ces gens ne le font pas au nom du catholicisme… Or Daech dit agir au nom de l’Islam et cite des versets du Coran. Ce qui, dans l’appréciation, change absolument tout. De plus, on ne peut mettre sur un même pied d’égalité une organisation terroriste et criminelle se donnant le statut d’Etat avec des actes individuels qui peuplent les tribunaux du monde entier.

D’ailleurs, même notre président de la République parle désormais de "terrorisme islamique", ce qu’il s’était refusé de faire. François, par facilité, aurait pu parler des guerres de religion dans l’histoire de l’Eglise ou bien encore des violences entre chrétiens et musulmans dans certains pays d’Afrique au cours des dernières décennies. Mais il s’est enfermé lui-même dans une sorte de piège sémantique improvisé. Provoquant en conséquence des réactions indignées de plusieurs milieux catholiques à travers le monde. Pourtant, le pape sait que le christianisme est la première religion persécutée dans le monde.

Dans quelle mesure est-il possible de comparer sa position avec celle du pape Pie XII, confronté à la menace nazie ? Quelle crédibilité peut-on apporter à cette idée ? 

Christian Combaz : Pie XII cherchait à protéger ses prêtres (qui ont été déportés nombreux), et sans doute à se garder de jeter les chrétiens dans la gueule du loup. Mais ce n'est pas le même loup qu' aujourd'hui. Nous parlons aujourd'hui non d'un oppresseur dictatorial qui a des bureaux et une Kommandantur mais d'une menace diffuse, de proximité, en somme d'un risque de Saint Barthélémy. Il sait parfaitement que les communautés chrétiennes qui vivent au contact d' un ennemi déclaré, résolu, capable de tuer 1000 fidèles par an comme en Afrique peuvent le faire en une seule journée. Les Chrétiens risquent de pâtir encore plus d'une condamnation solennelle, inutile, contre-productive de sa part. Il nous a déjà fait le coup à propos de l'homosexualité.Pour avoir consulté des spécialistes et des généticiens depuis deux ou trois ans, il sait que la génétique explique les 9/10 de l'orientation sexuelle, que la preuve scientifique est imminente, il a fait venir au Vatican un transexuel espagnol pour l'interroger une journée entière en 2015, et cependant il continue à laisser dire que ces gens-là "vivent dans le désordre" et qu'ils doivent s'amender. Contrairement à Obama, qu'il a publiquement blâmé de faire du drapeau arc-en-ciel une sorte de bannière américaine-bis et de faire dépendre l'aide humanitaire en Afrique de la tolérance en la matière, il n'est donc pas du genre a affronter le diable directement. C'est un homme qui croit que la logique du Mal est toujours la même à travers l'histoire : le Démon est programmé pour se dévorer lui-même, c'est sa nature. Le Pape attend donc probablement, pour terrasser la bête, et pour nous inviter à l'aider, qu'elle montre une faiblesse radicale. Un Jésuite en pareil cas prétendra toujours qu'il a été aidé par la providence divine mais il sait surtout qu'il peut compter sur la sottise de ses ennemis.

Christophe Dickès : Ce n’est pas de la naïveté. Le pape sait très bien ce qu’il fait. Il parle aussi en jésuite. C’est-à-dire qu’il ne cesse de répéter que les choses sont bien plus complexes qu’on ne veut le croire. Il souligne aussi et surtout sa volonté de ne pas être dans une logique identitaire ce qui, face à la vie quotidienne des chrétiens du Moyen-Orient, peut paraître inacceptable. D’où la comparaison avec les fameux silences de Pie XII à qui l’on a reproché de ne pas avoir publiquement dénoncé le nazisme ou trop peu.

Est-ce comparable ? Dans une certaine mesure : dans l’un et l’autre cas, nous avons un génocide. Le Parlement européen a voté une résolution dans ce sens le 4 février 2016. Ce que n’a pas encore fait l’ONU. Quant à nommer l’ennemi, la fameuse encyclique de Pie XI, qui condamne le national-socialisme, ne le cite pas une seule fois ! De son côté, François se refuse d’utiliser le mot d’islam radical même s’il en dénonce les atrocités. Faut-il aussi rappeler que l’islamisme est assimilé à une nouvelle forme de totalitarisme refusant la distinction entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel, comme le fut le nazisme, cette "religion du XXe" siècle selon l’expression de Raymond Aron.

Est-ce que cela signifie que le Vatican n’agit pas ? Naturellement non. Pie XII a mené des actions. François agit aussi. Sur le plan diplomatique, le Saint-Siège a pour rôle de défendre les catholiques persécutés dans le monde. C’est pour ainsi dire la raison d’être de son réseau diplomatique : faire en sorte que les catholiques puissent exercer leur culte en liberté et dans la paix par son action auprès des Etats ou des institutions supranationales. On le voit aujourd’hui dans le rapprochement entre le Vatican et la Russie, pièce essentielle de l’échiquier international au Moyen-Orient. Le pape agit donc en politique, mais pas en "chef de guerre". Ce n’est absolument pas son rôle. Le pape Pie V fut le chef d’une coalition qui a battu les Ottomans à Lépante en 1571. Le pape aujourd’hui n’a plus ce rôle militaire. Son rôle se cantonne à celui d’une force morale avec, pour seule arme, la parole. Avec tous les risques que cela comporte dans notre société ultra-médiatisée. Benoît XVI, lui, avait pris un risque avec son discours de Ratisbonne (2006), largement instrumentalisé à charge par les médias. Mais ce discours a eu le mérite de responsabiliser l'islam au profit entre autres du dialogue inter-religieux. L’évolution du discours du recteur de l’université du Caire, Al-Azhar, sous l’impulsion d’Al-Sissi, en a été à mon sens une des conséquences.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !