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Pourquoi le grand remplacement par les robots est largement exagéré
©Allociné / Universal Pictures International France

Robotique

Souvents décrits comme la première source de perte d'emplois à l'avenir, les robots pourraient au final créer bien plus d'emplois qu'ils n'en détruiront.

Michel Volle

Michel Volle

Michel Volle est économiste français.

Diplômé de l'École Polytechnique et de l'École Nationale de la Statistique et de l'Administration Économique, il est l'auteur d'un blog dédié à l'actualité économique.

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Atlantico : Plusieurs études académiques ont, par le passé, souligné l'impact négatif potentiel des robots sur l'emploi. Pourtant, un nouveau rapport semble indiquer que cet impact serait exagéré, notamment en raison d'effets différenciés selon le type de robots, si certains d'entre eux remplacent certaines taches, d'autres sont créateurs d'emplois. Quelle est la réalité de la situation, comment expliquer des vues parfois aussi divergentes d'une étude à l'autre ? 

Michel Volle : Le mot "robot" a plusieurs définitions différentes. Pour ceux qui croient réalisables les promesses de la série Westworld le robot doit être un humanoïde que rien ne distingue d'un être humain, si ce n'est son fonctionnement intime : des chercheurs japonais s'efforcent de le concevoir pour remplir les tâches ménagères. 

Pour d'autres, et c'est sans doute l'opinion la plus répandue, le robot est la machine qui, dans une usine, exécute automatiquement des tâches comme souder ou peindre les carrosseries des voitures, remplir et étiqueter des récipients de produits alimentaires, etc. 

D'autres enfin - et c'est mon point de vue - pensent que nos équipements informatiques - systèmes d'information, ordinateurs de bureau, téléphones et tablettes "intelligents", etc. - sont des robots car ils accomplissent automatiquement la tâche pour laquelle ils ont été programmés. La programmation s'applique aux tâches répétitives et bien définies : la robotisation n'est donc de façon générale rien d'autre, dans nos entreprises, que l'automatisation des tâches répétitives physiques ou mentales.

Cette automatisation crée des emplois car il faut concevoir les automates, les construire, les superviser et assurer leur entretien. Elle en détruit aussi, car une part importante des emplois de la main d'oeuvre, et aussi des emplois intellectuels, était consacrée à des tâches répétitives dans le monde antérieur à l'informatisation.

La question est de savoir s'il existera plus d'emplois créés que d'emplois détruits. Il faut situer cette question dans l'évolution historique pour pouvoir lui répondre. 

Ainsi, il apparaîtrait que les robots qui représentent une menace réelle pour certains emplois seraient des robots "totalement autonomes, multitâches, et sans opérateur humain", ce qui limiterait sensiblement le spectre de l'intitulé "robots". En se basant sur une telle définition, quels sont, dès lors, les emplois les plus menacés ?

L'automatisation, et de façon plus générale l'informatisation, ont introduit dans les entreprises, l'économie et la société une transformation qui frappe d'obsolescence nombre des raisonnements, règles et formes d'organisation auxquelles le système technique antérieur les avait habituées. 

Lorsque les tâches répétitives sont automatisées, la main d'oeuvre de naguère disparaît en effet pour faire place, dans l'emploi, à un "cerveau d'oeuvre", c'est-à-dire à des personnes à qui l'entreprise demande d'accomplir des tâches qui, n'étant pas répétitives, demandent de l'initiative, du discernement et l'esprit de responsabilité. 

Mais nos entreprises se trouvent dans une phase de transition : elles peinent donc à définir les raisonnements, règles et organisations qui conviennent à une société informatisée ou, comme on dit, "numérique", et à l'emploi comme à la formation des compétences du "cerveau d'oeuvre". 

Voici donc la réponse à votre question : dans la phase de transition, l'automatisation détruit des emplois ; lorsque les entreprises auront atteint la maturité dans la société informatisée, de nouveaux emplois leur seront nécessaires - et ce ne seront pas seulement les emplois que demande la conception, la supervision et la maintenance des automates. 

A l'inverse, quels sont les secteurs dans lesquels l'automatisation et la robotisation pourraient être créateurs d'emplois ? 

Regardons les produits qu'élabore une économie informatisée : leur conception est complexe, car ils comportent de nombreux automatismes ; ils se présentent non comme des biens destinés à des consommateurs, mais comme des assemblages de biens et de services destinés à des utilisateurs ; chacun de ces assemblages est produit par un réseau d'entreprises partenaires. 

On voit dès lors se dessiner le contenu des emplois du "cerveau d'oeuvre" : 

- d'une part la conception des produits avec la définition et la programmation des automates, le montage du partenariat, l'organisation des services, etc ; 

- d'autre part  les services qui contribuent à la qualité du produit : conseil avant-vente, financement d'un prêt, information et formation du client, assurance, entretien et maintenance, remplacement et recyclage en fin de durée de vie, etc.

Certaines entreprises de taille intermédiaire l'ont compris : je pense à Axon', aux Cuisines Schmidt et à quelques autres. La plupart des grandes entreprises, par contre, restent enfermées dans une ornière dont leur organisation ne sait pas sortir : 

- elles préfèrent avoir des sous-traitants, avec lesquels elles peuvent être autoritaires, plutôt que des partenaires avec lesquels il faudrait savoir traiter d'égal à égal ;

- elles sont conscientes de l'importance des compétences techniques qui exigent l'"esprit de géométrie" dont parlait Pascal, mais négligent les compétences relationnelles qui demandent l'"esprit de finesse" : elles croient que les services peuvent être produits par des personnes incompétentes et mal payées, voire même par des automates. L'accueil téléphonique et, de façon générale, la relation avec le client sont négligés ou de mauvaise qualité. 

-alors qu'elles délèguent d'importantes responsabilités à leurs agents, elles les enferment dans une organisation qui concentre la légitimité (droit à la parole, à l'écoute et à l'erreur) dans les niveaux de la hiérarchie. Or être responsable sans être légitime, c'est la formule de l'enfer : cela explique le stress qui est si répandu dans les grandes entreprises.

Une économie informatisée parvenue à maturité est une économie de la qualité : ses produits se diversifient en variétés adaptées chacune aux besoins d'un segment de clientèle. Or s'il existe une limite à la quantité (de nourriture, par exemple) qu'un individu peut consommer, on ne peut pas assigner de limite à des besoins qui s'expriment en termes de qualité. Cette économie est donc dotée d'un potentiel de croissance illimité, mais d'une croissance qui pourra respecter les exigences de l'écologie car elle sera sobre en quantité.

C'est pourquoi on peut penser que l'économie pourra en principe parvenir, après avoir traversé la phase de transition, au plein emploi de la force de travail sous des formes certes différentes de l'emploi actuel. La question cruciale n'est donc pas de savoir si les robots vont on non détruire l'emploi, et dans quel secteur : elle est de savoir si, comment et quand nos entreprises sauront s'adapter aux transformations que l'informatisation (ou si l'on veut le "numérique") a introduites dans le système productif et l'économie.  

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