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Pourquoi le G7 est une réussite pour Donald Trump dans la course électorale américaine
©SAUL LOEB / AFP

All I do is win, win, win..

Donald Trump s'est rendu au G7 à reculons et les médias américains lui prévoyaient déjà un très mauvais sommet... Rien de tout cela ne s'est produit, au contraire.

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa est spécialiste des Etats-Unis et maître de conférences à l’université Assas-Paris II. Il est chercheur au centre Thucydide. Son dernier livre s'intitule Géopolitique des Etats-Unis (Puf, 2022).

Il est également l'auteur de Hillary, une présidente des Etats-Unis (Eyrolles, 2015), Qui veut la peau du Parti républicain ? L’incroyable Donald Trump (Passy, 2016), Trumpland, portrait d'une Amérique divisée (Privat, 2017),  1968: Quand l'Amérique gronde (Privat, 2018), Et s’il gagnait encore ? (VA éditions, 2018), Joe Biden : le 3e mandat de Barack Obama (VA éditions, 2019) et la biographie de Joe Biden (Nouveau Monde, 2020). 

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Il n’en demandait pas tant : Donald Trump est venu au G7 à contre-cœur, a-t-il été assuré par la plupart des commentateurs. A en croire de nombreux éditos, il était persuadé que ça ne servait pas à grand-chose et qu’il n’en tirerait rien de bon. On ne sait donc pas trop pourquoi il a quitté Washington avec quelques heures d’avance, ce qui l’a fait arriver encore plus tôt et lui a ajouté un déjeuner avec l’hôte de ces lieux –le président français.

La semaine précédent ce G7 a été totalement folle, avec une séquence difficile pour le président américain.  Lundi, les gros titres étaient sur la récession annoncée pour les Etats-Unis, et le New York Times titrait sur un « retournement apocalyptique » de l’économie américaine. Plus tard dans la journée, Donald Trump tweetait à nouveau sur l’OTAN et ces partenaires qui ne paient pas leur dû, laissant le fardeau de la défense du monde libre aux Américains ; mardi, le président Trump évoquait l’idée de taxer le vin français « à 100% » en réponse à la taxation des GAFA par la France. La rétroactivité de la loi était pointée du doigt mais c’est surtout l’idée même d’une taxation contre des entreprises américaines par un pays étranger qui posait problème ; mercredi, Donald Trump rappelait qu’il est favorable à un élargissement du G7 aux Russes, une idée déjà lancée un an plus tôt, durant le G7 précédent qui s’est déroulé en Canada ; le même jour, le président américain Trump accusait les juifs démocrates d’être déloyaux envers lui. Des associations de la communauté juive ont réagi, accusant Trump d'user d'une rhétorique antisémite. Les juifs américains ont réagi sur Twitter avec le hashtag #DisloyalToTrump (déloyal à Trump). Quelques heures plus tard, le président américain retweetait un message le comparant au Roi d’Israël, à la deuxième venue de Dieu sur Terre et se faisait appeler « l’élu ». 

On apprenait aussi ce même jour qu’il n’y aurait pas de communiqué final au G7 : la peur de Donald Trump avait visiblement fait reculer les organisateurs français, qui ne voulaient pas vivre une humiliation, comme Trudeau, un an avant, au Canada. 

Cela faisait beaucoup pour une seule semaine, voire pour une seule journée, et les commentateurs ne savaient plus sur quel sujet se fixer. Est-ce pour ajouter au chaos ? Donald Trump a alors proposé de racheter le Groenland. Il l’a fait dans un tweet, comme si cela coulait de source, aussi simplement que s’il sortait s’acheter un sandwich au McDo du coin. Ne sachant plus comment choisir entre le crime de lèse-majesté, le manque de respect à une puissance étrangère, ou l’attitude insupportable d’un pays qui abuse de sa puissance et se comporte comme un empire d’un autre temps, les éditorialistes ont exprimé tous les sentiments de rejet que pouvait leur inspirer cette idée. A la recherche de rationalité, certains ont (parfois brillamment) expliqué l’attrait stratégique de Groenland, notamment dans la lutte contre l’hégémonie de la Russie ou de la Chine, pendant que d’autres rappelaient que les Etats-Unis ont acheté une grande partie du territoire au cours de l’histoire et qu’après tout il ne fallait pas en être surpris. Peu importe que ces savantes théories n’aient aucune logique en 2019 : il fallait bien trouver un sens à tout cela, car cela faisait un peu trop pour notre capacité à comprendre notre monde. 

Vendredi, le bras de fer commercial US-Chine s’est encore tendu : Pékin a annoncé de nouveaux droits de douanes sur 75 milliards de dollars de biens américains. Cette annonce tombait donc juste avant le G7, en pleine reprise des négociations entre les deux pays et avec une récession en vue aux Etats-Unis.  Sans attendre une seule minute, la réponse présidentielle américaine est tombée, comme d’habitude dans un tweet, annonçant que « la réplique » n’allait pas tarder : elle était prévue pour un peu plus tard dans la même journée. Donald Trump a aussi annoncé qu’il ordonnait des fouilles des colis en provenance de Chine, à la recherche de Fentanyl, qui fait tant de dégâts aux Etats-Unis et que les Chinois s’étaient engagés à contrôler, et ce qu’ils n’ont pas fait. Les fouilles de colis devaient être appliquées par tous, y compris la Poste américaine, Amazon, UPS, Fed Ex.... Là on ne blaguait plus... Donald Trump semblait très en colère après l'annonce chinoise et a multiplié les tweets au cours de cette journée. Il a notamment ordonné aux entreprises de son pays de chercher des alternatives au marché chinois. Et peu importe qu’il n’en ait pas le droit !

La bourse a très mal réagi et le Dow Jones a dévissé. Dans le même temps, –ce qui n’a rien arrangé–, Donald Trump s'en est pris en même temps –et à nouveau– à Jerome Powell, le patron de la Fed: "s'il veut démissionner, ce n'est pas moi qui l'en empêcherais".

Sur le plan international, cela se compliquait encore un peu avec de nouvelles tensions également du côté de Pyongyang : un 7e tir de missile a été enregistré en un mois, à peine 24h après que Kim Jong Un a qualifié le ministre des Affaires étrangères américain, Mike Pompéo, de « plante vénéneuse ». Pour finir cette journée, Trump a annoncé de nouvelles taxes sur les produits chinois, pour un volume de 550 milliards, touchant toutes les catégories de produits et augmentant les taxes qui avaient déjà été imposées. 

Le contexte était donc explosif et les journalistes américains, comme ceux du reste du monde, imaginaient que Donald Trump ne venait au G7 que pour mieux le faire capoter, pour ne pas dire imploser. Il faut dire que les dossiers sur la table portaient tous des étiquettes qui laissaient penser qu’il pourrait en être ainsi : guerre commerciale, environnement, Iran, Syrie, Brexit. Tout était en place pour une grande catastrophe : plusieurs personnalités de l’opposition démocrate ont fait des déclarations tonitruantes, expliquant que ce président envoyait les Etats-Unis dans le mur, avec son isolationnisme forcené et ses mauvaises manières, qui l’avaient coupé du reste du monde. L’ancienne ministre des Affaires étrangères sous Clinton, Madeleine Albright, a précisé dans un tweet « qu’il est nécessaire d’avoir des amis dans le monde ». Car on est en campagne aux Etats-Unis et l’opposition a bien vu l’opportunité de pointer l’incompétence de ce président à l’international. Les électeurs ne se décident pas sur les questions internationales, mais ils ont élu Donald Trump pour « que leur pays retrouve de la grandeur », pas pour qu’il soit ridicule dans les grands rendez-vous internationaux.

La tension était palpable durant la première journée à Biarritz. Cette arrivée, un peu plus tôt que prévue au programme, ne disait rien de bon et le déjeuner improvisé entre les présidents américain et français, encore moins. Les commentateurs ont remarqué les traits tirés de Donald Trump, peu souriant, un peu recroquevillé, comme s’il était sur la réserve et qu’il pouvait donc exploser à tout moment. On sentait bien que tout le monde attendait « le moment ».

Il a fallu attendre le lendemain matin pour qu’un événement ne vienne enflammer les rédactions : la présidence française a fait savoir qu’elle avait reçu un mandat du G7 pour mener des négociations avec l’Iran. Donald Trump a aussitôt démenti, assurant qu’il n’avait jamais été question de cela et qu’il n’avait rien signé de tel. Toutes les rédactions sont passées en urgence absolue, guettant l’explosion principale. 

Mais Emmanuel Macron est venu en personne faire un point et calmer le jeu : il s’agissait d’un malentendu. « Il n’y a pas de mandat donné au G7 car le G7 n’est pas une organisation, juste une rencontre informelle ».

Pourtant, il ne s’est rien passé. Et Donald Trump est resté étrangement très calme, se montrant même particulièrement de bonne humeur, poursuivant ses plaisanteries avec « ses copains présidents ». L’incompréhension a été très forte.

Mais on n’avait encore rien vu : quatre heures plus tard, un avion iranien s’est posé à Biarritz et la panique a crevé le plafond : personne n’était dans le secret. Aucune rédaction, qu’elle soit française, iranienne ou américaine ne pouvait expliquer cette arrivée impromptue. Entre ceux qui y ont vu un « coup joué par Macron au président américain » et d’autres qui ont « imaginé une rencontre au sommet entre Trump et des iraniens », tout a été envisagé.

Pendant ce temps, l’opposition américaine s’est tue. Eux avaient compris que Donald Trump venait de marquer un point important dans la compétition en cours. Ils avaient déjà analysé qu’après la semaine chaotique que les Etats-Unis avaient vécu, leur président venait de démontrer qu’il savait tenir sa place dans une grande rencontre internationale et qu’ils ne pourraient plus l’attaquer là-dessus. Ils ont analysé cette stratégie subtile, l’absence de tweets à l’arrivée, qui indiquait une absence de volonté d’en découdre, puis les tweets qui se sont multipliés avec un message unique « Tout va bien », tout au long de la première journée. Certains avaient même déjà repris ce message pour le contredire et montrer les manquements, comme cette rencontre avec Boris Johnson où le président Trump a reçu un double message négatif, avec une demande de calmer le jeu dans sa guerre commerciale et l’assurance que les Anglais n’étaient pas prêts à tout accepter pour signer un « deal » avec les Américains. D’ailleurs, le plan « phénoménal » qui devait être annoncé ce jour-là d’après les déclarations de John Bolton quelques jours plus tôt n’a pas été révélé.

Mais Trump n’a rien perdu. Car il a su rester calme et discret. Rien à voir avec le Trump auquel on a été habitué. Mais c’est désormais un président qui est en campagne et ce type de victoire lui sera bien plus profitable désormais que des accords commerciaux avec les uns ou les autres. Il lui fallait passer par cette transformation. Il peut rentrer aux Etats-Unis et y semer le chaos à nouveau. Ses adversaires viennent de perdre une carte maitresse dans leur jeu. Mais la partie ne fait que commencer.

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