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Le combat du gouvernement contre "les stéréotypes de genres" dépasse largement le simple enseignement de l'égalité homme/femme
Le combat du gouvernement contre "les stéréotypes de genres" dépasse largement le simple enseignement de l'égalité homme/femme
©Reuters

Comprendre

Le collectif de la Manif pour tous a manifesté une nouvelle fois dimanche 2 février, réunissant selon la préfecture 80 000 personnes, pour protester contre "la théorie du genre" à l'école. L'occasion de décortiquer les différents niveaux de celle-ci dans ses objectifs.

Damien Le Guay

Damien Le Guay

Philosophe et critique littéraire, Damien Le Guay est l'auteur de plusieurs livres, notamment de La mort en cendres (Editions le Cerf) et La face cachée d'Halloween (Editions le Cerf).

Il est maître de conférences à l'École des hautes études commerciales (HEC), à l'IRCOM d'Angers, et président du Comité national d'éthique du funéraire.

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Dimanche 2 février, c'était jour de manifestation pour défendre la famille et s'en prendre à la théorie du genre. Ses promoteurs disent qu'elle n'en est pas une (pour ne pas trop effrayer) mais elle y ressemble par sa cohérence et ses présupposés.

Débattre à l’infini pour savoir s’il s’agit ou non d’une « théorie » n’a pas d’intérêt. Dire, comme le répète Vincent Peillon, qu’il n’est question que de promouvoir l’égalité homme/femme, est un peu court. Voir, comme le fait Caroline Fourest, derrière tous ceux qui s’interrogent sur elle des fascistes homophobes, est malhonnête. Le « droit d’inventaire » est nécessaire. Le « sens critique » indispensable. Mais le débat, malheureusement, est étouffé. Étouffé, soit sous les bons sentiments, soit sous l’idée d’une avancée irrésistible de l’égalité – et ceux qui s’y opposent sont des réactionnaires. Ces deux raisons permettent de discréditer les oppositions et de tout faire passer – le nécessaire, le discutable et le franchement inquiétant. Et plutôt que de parler en général, allons regarder, sur le site «ABCD de l’égalité », les outils (vidéo, supports papiers, entretiens) mis à disposition des enseignants pour qu’ils puissent transmettre un message auprès des petits enfants.

Un discours domine : « combattre les stéréotypes de genre » - titre de la conférence de Geneviève Guilpain, philosophe. Véronique Rouyer, psychologue, développe. Un « stéréotype de sexe » est, dit-elle « véhiculé par la famille » mais aussi les médias. « Ce sont des normes liés au masculin et féminin ». Mais (et c’est là où l’idée de combat apparait) ces stéréotypes « ne reflètent pas la réalité des évolutions... de la société de ces trente dernières années ». Il faut donc « travailler sur ces stéréotypes » ou « automatismes de pensées » qui « limitent les possibilités des individus » et « empêchent les filles d’avoir accès à tous les possibles ». Ainsi s’est-elle étonnée que dans les écoles maternelles, les enseignants puissent véhiculer des « appartenances à un groupe de sexe » en établissant des « porte-manteaux pour les filles et d’autres pour les garçons ». Ce sont là, ajoute-t-elle doctement, « des schémas de genre qui fonctionnent comme des stéréotypes de sexes ». Astride de la Motte prend un autre exemple : quand on demande à de jeunes enfants de dessiner une fille et un garçon « ils représentent les filles avec des jupes et les garçons avec des jeans ». Et ajoute-elle, « ce sont des stéréotypes qui justifient le travail de lutte contre les stéréotypes de genre ». Catherine Hugonet, « déléguée à Toulouse aux droits des femmes et à l’égalité » (ministère de Najat Valaud-Belkacem), insiste sur la nécessité d’un travail chez des enfants du primaire car « les préjugés, les stéréotypes ou les identités fortement marquées entre les genres, filles et garçon, se construisent dans la toute petite enfance ».

Le discours est à plusieurs niveaux – et c’est là toute son ambiguïté. Premier niveau : combattre ce qui empêche les filles de se sentir aussi capables que les hommes. L’intention est louable. Personne ne peut être contre. Second niveau : combattre les « stéréotypes » - c'est-à-dire les idées préconçues. Ce combat-là se conçoit. Encore faut-il s’entendre sur les moyens de le mener. Considérer que des enfants de six ans, sur leurs dessins, quand ils mettent des jupes aux filles et des jeans aux garçons sont dominés par des « stéréotypes » négatifs, contre lesquels il faut lutter, voilà qui introduit une drôle de conception des « discriminations ». Voir que les filles portent des jupes ne suppose pas qu’elles sont condamnées à faire la vaisselle toute leur vie tandis que les « porteurs de jeans » s’installeraient déjà devant la télévision avec une pipe et un journal. De la même manière, quand les enseignants en maternelle distinguent des porte-manteaux pour les filles et d’autres pour les garçons, sont-ils « coupables » de vouloir discriminer les filles ? Là apparait le troisième niveau : lutter contre l’assignation biologique et donc l’attirance sexuelle vers l’autre sexe. Véronique Rouyer est claire sur ce point. Quand, dit-elle, les enfants, avant sept ans, comprennent que « les rôles masculins et féminins sont sociaux » et non biologiques « alors ils vont devenir plus flexibles dans leurs représentations ». Moins donc assigné à un « rôle », à une « attirance », à une « complémentarité » des hommes vers les femmes et réciproquement – ce qui est la loi statistique de 95% de la population. Un autre glissement s’opère dans le discours. Il s’agit donc, clairement, d’interférer sur le futur choix d’attirance « vers l’autre sexe ». L’enfant « doit comprendre » qu’il doit être « plus flexible » dans ses choix. Et donc ouvrir le choix des possibles vers les autres formes de choix sexuels (choix de vie homosexuelle, bi, trans...) alors qu’aujourd’hui ils sont trop « formatés, » trop « contraints », trop « stéréotypés ».

Dernier niveau : ce « combat contre les stéréotypes » se fait contre qui et quoi ? Qui sont ceux, dans l’entourage de ces gamins de cinq ou sept ans, qui « véhiculent » ces « normes » qui ne « reflètent pas les évolutions sociales depuis trente ans »? Ce sont, bien entendu, les familles. Il s’agit donc par l’école, de lutter contre l’éducation souhaitée par le père et la mère de l’enfant et d’une certaine manière de « monter » les enfants contre leurs parents. Ont-ils tort ou raison de souhaiter tel ou tel type d’éducation ? Oui. Non. Sans doute. Qui peut le dire ? Ou ces parents, exercent-ils, ainsi, leurs droits fondamentaux ’éducation selon leurs convictions, croyances, certitudes parentales ? Après tout, les enfants sont avant tout de la responsabilité de leurs parents et non de l’État. Si tel n’était pas le cas, nous basculerions vers un régime plus robespierriste d’un « homme » qui doit être « régénéré » très tôt et « retiré » à l’influence négative de ses « mauvais parents ». Disons tout cela autrement : si l’État vient lutter, à l’école, contre l’éducation donnée aux enfants par les parents et que Véronique Rouyer qualifie avec une condescendance méprisante, de « stéréotypes », des « schémas de genre » ou de « stéréotypes de sexes », ne vient-il pas faire une intrusion idéologique dans le domaine privé. Si tel est le cas (et tel est le cas), alors il y a des raisons de s’indigner, de combattre cette théorie qui ne dit pas son nom mais dont les présupposés idéologiques sont évidents.

Il faut dénoncer cet empiétement – ce que font aussi Jean-François Mattei ou Bérénice Levet. Une chose est la « vie publique », une autre « la vie privée ». Cette distinction est au fondement de nos sociétés, de la philosophie politique et même de la laïcité. Or, une nouvelle morale publique de lutte contre le sexisme, contre les stéréotypes, contre même la « différence sexuelle », vient enfoncer cette frontière essentielle. Ceci est grave. De nouveaux commissaire-pédagogues viennent dans les écoles pour « déconstruire l’identité sexuée », pour « combattre les stéréotypes sexistes ». Dés le plus jeune âge, les enfants devront apprendre à désapprendre  les « stéréotypes » appris dans les familles. Et même si les intentions sont louables, l’enfer de la rééducation des enfants est pavé de bonnes intentions. Tocqueville, déjà, voyait naitre, dans une indifférence généralisée, une « tyrannie de la majorité ». Nous y sommes. Nous y voilà.

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