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Pourquoi le classement Oxfam sur la concentration des richesses entre les mains de milliardaires ne nous dit quasiment rien de la réalité de celle des pauvres
©Andy Buchanan / AFP

Trompe l’oeil

Le dernier rapport d'Oxfam annonce cette année encore nouvelle hausse des inégalités en France : 7 milliardaires posséderaient autant que 30% des Français les plus pauvres. Quelles sont les limites de ce dernier et quel est l'enjeu véritable d'une lutte contre les inégalités ?

André  Babeau

André Babeau

Ancien directeur du CREDOC (1978-1984) et du Centre de Recherche sur l'Epargne (CREP), il a été conseiller scientifique du BIPE de 2002 à 2011. Il est administrateur de l'Institut d'Éducation Financière du Public (IEFP) auprès de l'Autorité des marchés financiers.

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Jean-Philippe Delsol

Jean-Philippe Delsol

Jean-Philippe Delsol est avocat, essayiste et président de l’IREF, l'Institut de Recherches Economiques et Fiscale. Il est l'auteur de Civilisation et libre arbitre, (Desclée de Brouwer, 2022).

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Atlantico: La méthode de calcul des inégalités fait-elle aujourd'hui consensus ? Quelles sont les limites du calcul proposé dans le dernier rapport publié par Oxfam ?

Jean-Philippe Delsol : OXFAM est atteint d’obsession égalitariste. Pourtant, l’important est moins l’inégalité que la pauvreté. La question est de savoir si la pauvreté recule plutôt que de vouer les plus riches aux gémonies. Une autre question fondamentale est d’ailleurs de savoir si la pauvreté aurait autant reculé, ou moins ou plus, si les plus riches s’étaient moins enrichis sur la même période. Cette question reste sans réponse définitive, mais il ne fait guère de doutes que la liberté favorise la croissance de l’économie et l’enrichissement, différencié, de tous. La misère se résorbe mieux par l’échange que par l’assistance qui amollit au mieux et pervertit au pire. Il y aurait moins de corruption dans le tiers-monde si les pays riches favorisaient le commerce et l’industrie de ces pays plutôt que de leur distribuer des aides qui renforcent les mauvaises gouvernances et donnent trop d’opportunités de détournement.

Le raisonnement d’OXFAM est statique et tout à fait contestable. Les riches ne sont pas les mêmes d’une année à l’autre. Guillaume Nicoulaud a analysé le parcours des dix plus riches du monde depuis 1987 et a constaté que 30 ans plus tard seuls deux héritiers de l’un de ceux qui était dans les dix premiers vingt six ans auparavant s’y trouvaient encore. Il constate aussi que les survivants ou leurs héritiers ne se sont enrichis dans cette période, globalement, que de 1,3% par an en moyenne et non de 6,4% comme Piketty le dit. Et encore, si on exclut du panel les héritiers de Sam Walton (Walmart), les neuf autres familles se sont appauvries de 3% par an (en moyenne). Quant à la fortune des pauvres, OXFAM ajoute des carottes et des navets pour comptes ses poireaux. Dans ses rapports annuels successifs, OXFAM réutilise des données et études du Crédit suisse dont la méthodologie est discutable en matière de définition du patrimoine, et largement rejetée par le cercle des économistes. En effet, l’approche qui consiste à prendre le patrimoine net pour mesurer la richesse conduit à retenir qu’un jeune étudiant américain qui s’est endetté pour financer ses études à Harvard, Stanford ou Princeton est plus pauvre que n’importe quel sans-abri, chômeur d’Afrique subsaharienne ou réfugié syrien ayant perdu la totalité de son patrimoine. Et cette méthode retient des situations statiques alors que la richesse est dynamique, un cadre dirigeant fort endetté auprès de sa banque étant potentiellement plus riche que le retraité propriétaire de sa petite maison dont le capital a déjà été remboursé ou que le petit salarié propriétaire de quelques actifs financiers. Plus généralement, la mobilité sociale est plsu importante que la richesse. Ce qui permet de dynamiser une société, c’est qu’elle puisse offrir à tous ceux qui le souhaitent la possibilité de s’enrichir. Les Etats-Unis créent plus de richesses que les Français parce que les pauvres y sont moins envieux des riches qu’admiratifs de leurs réussites qu’ils voudraient imiter, à l’inverse de la France où la jalousie l’emporte sur la reconnaissance des mérites.

André Babeau : Le rapport d’Oxfam de ce mois est intitulé contient des suggestions intéressantes et fournit des références originales, mais il est dommage qu’en distinguant insuffisamment les différents problèmes en cause, en passant trop rapidement sur des questions difficiles et en formulant des conclusions trop abruptes, notamment pour notre pays, il perde de son pouvoir de persuasion. Dans l’ensemble des développements, on peut souhaiter isoler trois types de problème : la prise en compte de l’activité non rémunérée des femmes, l’évolution du taux de pauvreté, enfin, la concentration des patrimoines.

S’agissant de la prise en compte du travail non rémunéré des femmes (travail domestique, soins aux enfants), on a affaire à une vraie difficulté que les économistes ont identifiée depuis plusieurs décennies : les comptables nationaux ne tiennent effectivement aucun compte de ce travail dans leur mesure de la production nationale marchande. Des recherches sont menées sur ce sujet dans d’assez nombreux pays et on peut espérer que, d’ici peu, les comptables nationaux seront capables de publier régulièrement, dans ce domaine, des informations solides.

Cependant, la conclusion des auteurs du rapport Oxfam frise clairement le ridicule en stigmatisant la France « qui (en termes d’inégalités) maintient son statut mortifère alors qu’elle est traversée {…} par la plus longue grève générale ( ?) de la Vème République ». En cause notamment, le fait que Bernard Arnault soit monté avec LVMH à la quatrième place du classement mondial des milliardaires. En 2012, le nombre de salariés de LVMH était de 106 mille, il est passé à 156 mille en 2018 : moi, des entreprises dont les effectifs croissent régulièrement à près de 7% par an, je prends tout de suite. Mais les plus de 55 ans n’y représentent encore que moins de 7%. C’est évidemment trop faible, il faut donc demander à LVMH d’accroître aussi rapidement que possible cette proportion : ce sera sa contribution à l’équilibrage de notre système de retraite en permettant à ses salariés de travailler plus longtemps.

On pourrait signaler nombre de détails qui font défaut dans le rapport d’Oxfam : pour les inégalités de patrimoines, par exemple, s’agit-il des patrimoines bruts ou des patrimoines nets d’endettement ? La différence pourrait, dans certains pays, ne pas être de l’épaisseur du trait. En ce qui concerne la proportion de patrimoines hérités dans le patrimoine total, tous les spécialistes savent que, dans ce domaine, les résultats obtenus dépendent largement des hypothèses faites en cours de calcul. En matière de revenus enfin, a-t-on affaire au revenu global du ménage ou à une mesure du revenu tenant de sa composition ? Là encore, il ne s’agit pas d’une précision superflue.

La hausse des inégalités est-elle toujours un problème ? Y-a-t-il des inégalités plus graves que d'autres ? Sur lesquelles faudrait-il se concentrer en priorité ? 

Jean-Philippe Delsol : L’inégalité est toujours mauvaise quand elle est le fruit de la corruption, de la tromperie, de la connivence entre les entrepreneurs et les pouvoirs en place comme elle l’est si souvent dans les pays socialistes parce que l’Etat y est plus étendu et plus puissant que dans les autres. Ceux qui veulent imposer l’égalité absolue n’obtiennent jamais que la médiocrité universelle et nourrissent les apparatchiks. Mais l’inégalité ne doit pas non plus conduire les hommes à ne plus savoir vivre ensemble. La bonne vie est dans la recherche incessante d’équilibres toujours instables plutôt que dans la volonté d’imposer la mise en œuvre d’un modèle parfait et inaccessible. Cet équilibre ne peut s’atteindre que dans la liberté et le respect d’un état de droit qui est d’abord le respect des autres. Au cours des trente dernières années, dans le monde, la grande pauvreté a été réduite de plsu de 40% de la population à moins de 10%. Cette réduction de la grande pauvreté, encore insuffisante, est due à la libération des échanges mondiaux  beaucoup plus qu’aux politiques de redistribution.

André Babeau : En ce qui a trait à l’évolution du taux de pauvreté dans le monde, quelle que soit la mesure retenue (60% du revenu médian ou un revenu minimum en dollars), toutes les statistiques disponibles font apparaître, depuis les dernières décennies du XXème siècle, une baisse de ce taux dans le monde et non pas une hausse : cette baisse résulte de la croissance de plusieurs pays à revenus faibles. Mais il est vrai que, dans ces mêmes pays et également dans plusieurs pays avancés, les inégalités de revenus se sont creusées. Cela n’a pas été le cas en France : le taux de pauvreté y a connu une nette réduction, passant de 18% des ménages en 1980 à 14% maintenant (si on prend comme référence 60% de notre salaire médian). Les inégalités de revenus ont eu, d’autre part, tendance à refluer : en utilisant le coefficient de Gini, qui est la mesure la plus globale de ces inégalités (égal à 0 en cas d’égalité parfaite et à 1 si un individu concentre tout le revenu), notre pays est passé d’une valeur de 0,33 en 1970 à 0,28 en 2016, contre 0,39 dans un pays comme les Etats-Unis.

D’importants efforts restent certainement à faire dans ce domaine, en matière de mobilité sociale d’une génération à l’autre. On ne peut ici que conseiller à nos dirigeants de s’inspirer des travaux de notre prix Nobel d’économie 2019, Ether Duflo, qui, avec un laboratoire de 200 chercheurs aux Etats-Unis, calcule avec précision l’efficacité des différentes mesures permettant, notamment en matière d’éducation, de lutter contre la pauvreté et d’accroître la mobilité.

La focalisation sur les inégalités de revenus n'est-elle pas même contre-productive parfois quand il s'agit de lutter contre la pauvreté ? 

Jean-Philippe Delsol : En effet! Par exemple une hausse excessive du salaire minimum exclut les employés les plus pauvres de l’emploi. Aux États Unis, la hausse du salaire minimum pratiquée en 2007-2009 a généré une augmentation de 2,8 % du chômage des jeunes. D’ailleurs, les trois pays de l’OCDE les moins inégalitaires, la Finlande, le Danemark et la Suède, n’ont pas de salaire minimum. Aux Etats-Unis, la politique de baisse des prélèvements fiscaux et de dérèglementation de Donald Trump a porté ses fruits. Elle a enrichi des entrepreneurs, mais elle a permis de créer  473 000 emplois dans l’industrie manufacturière en seulement deux ans quand sous les deux mandats d’Obama, ce secteur avait détruit 210 000 emplois. En même temps, les salaires augmentent régulièrement depuis deux ans. Le salaire horaire moyen a augmenté de 3.2 % en 2018. C’est la hausse la plus importante depuis la crise de 2008. Et ce sont les salaires les plus bas et ceux des populations de couleur qui ont le plus profité de la hausse : + 4.6 % dans le commerce et + 4.3 % dans les loisirs. La liberté de s’enrichir permet l’éclosion de grandes fortunes, mais elle favorise d’abord la croissance qui est le meilleur moyen de sortir les gens de la pauvreté.

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