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Pourquoi le boom pétrolier américain ne déstabilisera pas l'Europe
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Pas de panique

Selon l'Agence mondiale de l'énergie, avec des exportations de pétrole qui explosent, les Etats-Unis pourraient devenir le premier producteur mondial d'or noir dès 2017.

Thomas Porcher

Thomas Porcher

Thomas Porcher est Docteur en économie, professeur en marché des matières premières à PSB (Paris School of Buisness) et chargé de cours à l'université Paris-Descartes.

Son dernier livre est Introduction inquiète à la Macron-économie (Les Petits matins, octobre 2016) co-écrit avec Frédéric Farah. 

Il est également l'auteur de TAFTA : l'accord du plus fort (Max Milo Editions, octobre 2014) ; Le mirage du gaz de schiste (Max Milo Editions, mai 2013).

Il a coordonné l’ouvrage collectif Regards sur un XXI siècle en mouvement (Ellipses, aout 2012) préfacé par Jacques Attali.

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Atlantico : "La valeur des exportations de carburant aux Etats-Unis a augmenté plus rapidement que les autres biens et des marchandises sous la présidence de Barack Obama". Alors que "vers 2017, les Etats-Unis deviendront le plus gros producteur de pétrole, dépassant l'Arabie Saoudite" selon Fatih Birol, l'économiste en chef de l'Agence Internationale de l'énergie, ce boom pétrolier américain peut-il déstabiliser l'Europe ?

Thomas Porcher : Tout d’abord, je tiens à préciser que je ne crois pas que les Etats-Unis deviendront le premier producteur de pétrole en 2017 et je ne suis pas le seul. Dans une interview, Christophe de Margerie disait qu’il n’y croyait pas non plus en précisant que "les Etats-Unis sont très loin de devenir le premier producteur mondiale de pétrole". De manière générale, je suis assez prudent avec les prévisions de l’AIE (Agence Internationale de l’Energie) car l’agence a déjà fait de nombreuses erreurs dans ses prévisions passées, notamment sur les prix du pétrole. Il suffit de reprendre les WEO (World Energy Outlook, rapport annuel de l’AIE) des années précédentes pour ce rendre compte du nombre d’erreurs commises. Par exemple, saviez-vous qu’en 2000, l’AIE prévoyait le prix du pétrole en moyenne à 21 dollars en 2010 et à 28 dollars en 2020 ! Aujourd’hui, avec un prix moyen du baril en 2012 à 111 dollars, ces prévisions font rire. La vraie question est de savoir comment l’AIE a-t-elle pu autant se tromper ? C’est simple, elle voyait le monde de 2010 et de 2020 comme l’évolution conventionnelle du monde de 2000. Les modèles de l’AIE n’avaient donc pas intégré la forte croissance des pays émergents, qui a expliqué en partie le décrochage du prix du pétrole.

Aujourd’hui, en utilisant les mêmes méthodes qui conduisent forcément aux mêmes erreurs, l’AIE affirme que les Etats-Unis vont devenir le premier producteur de pétrole en 2020 et exportateur net en 2030 et, indirectement, font de la "ruée vers l’or américaine" une politique énergétique modèle.En réalité, l’AIE n’envisage qu’une situation parmi tant d’autres et elle a beaucoup plus de chances d’avoir tort que raison, mais ça, elle ne le dit pas.

Autant de doutes sur l’ampleur du "boom pétrolier" américain ne devraient pas déstabiliser l’Europe contrairement à ce que certains lobbies veulent faire croire. Depuis longtemps, l’Europe et les Etats-Unis ont une vision différente de leur avenir énergétique. L’Europe respecte les accords de Kyoto contrairement aux Etats-Unis et s’est fixé des objectifs ambitieux comme réduire de 20% les émissions de gaz à effet de serre, augmenter de 20% l'efficacité énergétique et porter à 20% la contribution des énergies renouvelables. L’Europe essaie tant bien que mal de construire une politique énergétique prenant en compte les externalités négatives liées à la consommation d’énergie et sur ce point, les Etats-Unis ont beaucoup de retard.

L'Europe va-t-elle être amenée à revoir sa politique énergétique pour s'adapter ?

Comme je l’ai dit précédemment, l’Europe tente de se lancer dans la transition énergétique. C'est un projet ambitieux, mais pour certains, en imposant à l’Europe de courir avec des sacs de sables, nous compromettons notre croissance et notre compétitivité. Je ne partage pas cet avis. Par exemple, l’efficacité énergétique peut nous permettre de baisser notre consommation d’énergie et notre dépendance tout en relançant l’activité économique. Actuellement beaucoup de nos bâtiments sont des passoires et sont responsables de plus de 40% de la consommation d’énergie et de 25% des émissions de gaz à effet de serre. Une étude de l’IDDRI a montré qu’en Allemagne pour chaque euro investit dans la rénovation thermique, l’Etat récupèrerait 2 à 4 euros via l’activité économique qu’elle générait. En réalité, notre politique énergétique est bien plus aboutie que celle des Etats-Unis. Nous pouvons prendre de l’avance sur le contrôle de notre dépendance à l’énergie et dessiner les villes du futur mais pour cela, il faut aller de l’avant et garder le cap.

Quelles seront les conséquences (positives et négatives) de ce rebattement des cartes (du au boom pétrolier américain) sur le marché mondial de l'énergie ? Peut-il être déstabilisé ?

Il n’y aura pas de rebattement des cartes. C’est un fantasme provenant d’analyses trop rapides du marché pétrolier. Au niveau géopolitique, il y a déjà eu des situations similaires à celle de la production de pétrole non-conventionnel aux Etats-Unis et elles n’ont pas entraîné de bouleversement géopolitique. Par exemple, dans les années 70, à cause des chocs pétroliers, la production de pétrole en Afrique et en Amérique du Sud s’est fortement développée afin de diversifier les sources d’approvisionnement et affaiblir le pouvoir de marché de l’OPEP. L’offre de pétrole mondiale a augmenté fortement et mécaniquement la part de l’OPEP à diminuer passant de 55% en 1973 à moins de 30% en 1985. Certains experts prédisaient un bouleversement géopolitique majeur et la mort de l’OPEP. Pourtant, 40 ans plus tard, la donne géopolitique n’a pas fondamentalement changé.

Car le pouvoir géopolitique d’un pays pétrolier ne se mesure pas qu’à son niveau de production. Aujourd’hui, pourquoi la Russie, premier producteur mondial de pétrole, a-t-elle moins de pouvoir sur le marché pétrolier que l’Arabie Saoudite ? Tout simplement car la Russie produit à pleine capacité quand l’Arabie Saoudite produit volontairement par quotas. C’est cette marge de production permettant de remplacer tout autre producteur défaillant qui offre à l’Arabie Saoudite un rôle géopolitique majeur. Mais pour obtenir ce rôle, il faut avoir la volonté politique de contraindre sa production. Or, le développement de la production de pétrole aux Etats-Unis répond d’abord aux intérêts privés des compagnies qui n’ont pas de raison économique de contraindre leur production. Des lors, même avec une forte production de pétrole, les Etats-Unis n’auront que très peu de pouvoir sur le marché pétrolier car n’importe quel problème impliquant un pays pétrolier amènera la communauté internationale à se tourner vers les pays de l’OPEP.

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