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Pourquoi la quarantaine est une décennie beaucoup plus stressante aujourd’hui qu’il y a 30 ans
©LUDOVIC MARIN / AFP

Crise de milieu de vie

Une équipe de chercheurs de l'université d'État de Pennsylvanie (Penn State) a constaté qu'à tous les âges, il y avait une légère augmentation du stress quotidien dans les années 2010 par rapport aux années 1990. Pour les personnes âgées de 45 à 64 ans, les chercheurs ont constaté une forte augmentation du stress quotidien.

Gérard Rimbert

Gérard Rimbert

Gérard Rimbert est Sociologue, Enseignant en université et Consultant Qualité de Vie au Travail au Cabinet Technologia. 

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Atlantico.fr : Comment expliquer que le stress quotidien ait augmenté en l'espace de deux décennies ? Quelles sont les causes sociologiques et conjoncturelles qui expliquent cette hausse ? 

Gérard Rimbert : D’abord, première précaution de lecture, la notion de stress peut vite être un fourre-tout. Elle ne recouvre pas forcément le même sens pour tous les participants à l’enquête, ni pour ses commentateurs Outre-Atlantique. Mais on peut s’en tenir à une définition large, plutôt bien acceptée : le stress est une réponse chimique et psychologique pour tenter de faire face à une sollicitation, contrainte, menace... alors qu’on ne possède pas tous les moyens pour traiter le problème. Un écart entre des exigences extérieures et des ressources disponibles, en somme. L’étude prend le parti d’analyser le « stress quotidien » et c’est une bonne chose car le stress ponctuel, tout le monde ou presque peut le connaître. De plus c’est l’exposition quotidienne qui peut malmener le corps chimiquement et miner le moral. Car le stress épuise les réserves et les réponses chimiques sont chaque jour moins efficaces. D’ailleurs, dans le monde professionnel notamment, persiste une vilaine habitude issue des années 1980´s et d’une vision assez grossière du management : distinguer le bon stress et le mauvais stress. Vision grossière qui dissimule tout aussi grossièrement une idéologie de tri entre salariés battants et salariés loosers. Car, en admettant les codes de ce monde, si c’est bon (défis, émulation... avec des ressources) c’est pas du stress, et si c’est du stress (temps insuffisant, moyens entravés...) c’est pas bon.

Ensuite, deuxième précaution de lecture, qui va apporter une début de réponse à votre question, les États-Unis d’Amérique possèdent des propriétés sociales et économiques particulières. La précarité de l’emploi et les exigences en termes d’horaires et de jours de travail, mais aussi la faiblesse du système de protection sociale ont pour effet de stresser les individus de façon intense et continue, au sens de : beaucoup de sollicitations, pas beaucoup de ressources. Donc il faut batailler pour remplir le frigo et rester fringant. De façon plus conjoncturelle, la crise financière de 2008 a fait mettre un second genou à terre à beaucoup de gens. Parmi toutes les issues politiques possibles, le choix s’est porté sur un amortissement par toute la population plutôt que par les seuls apprentis-sorciers des places boursières. Pour frapper les esprits peut-être plus durement encore, les USA affichent même désormais une anomalie au regard du cours contemporain de l’histoire : le recul de l’espérance de vie. Une étude rapportée par l’INED montre que ce « pays riche » occupe plutôt le bas du classement (35ème rang mondial, OMS 2015), et que contre la loi démographique observable depuis le milieu du 20ème siècle, cette espérance de vie a même reculé de 3 mois[1]. La cause principale : l’usage des opiacés, comprise au-delà des « drogues » car intégrant aussi les médicaments à base d’opiacés de Monsieur et Madame Tout-le-monde.

Pourquoi l’augmentation du stress quotidien est-elle encore plus forte chez les 45-64 ans ? En comparaison avec les autres tranches d’âge, quelles évolutions sociales et sociologiques ont connu les seniors qui pourraient expliquer cette hausse asymétrique ?

Là aussi il faut convoquer cette particularité des USA : le coût des études, qui peut exercer une pression forte et continue sur les familles, et donc les parents qui vont devoir travailler plus, obtenir des crédits... ce qui peut occasionner une double-peine de stress : celui issu des bouchées doubles a mettre dans le travail, les tractations avec les banques... mais aussi celui issu de relations familiales sous tension, engageant son image de parent, sa capacité à transmettre un patrimoine.

Peut-on néanmoins contrebalancer ce constat ? D’autres évolutions montrent-elles, à l’inverse, que les angoisses individuelles et collectives ont eu tendance à se réduire sous certains aspects ?

Difficile de répondre positivement. La poursuite du marasme économique depuis maintenant près de 50 ans, auquel s’ajoutent le risque terroriste et les discours alarmistes sur l’environnement ne sont pas propices à la détente. Il existe une alliance objective assez terrible entre 1/ des situations qui causent du stress, 2/ des moyens collectifs politiques pour y faire face soit démobilisés soit réprimés et 3/ une chambre d’écho médiatique et des réseaux qui cultive, au choix, l’ordre établi ou la lamentation.

Ce sera dans les sphères de petite taille : réseaux amicaux, famille, investissements associatifs ou militants, etc. que des raisons de « garder le moral » peuvent se retrouver.

Que peut-on prévoir, dans la situation actuelle de confinement ou de déconfinement progressif, quant à l’évolution du stress quotidien ?

La période est étrange. Ces deux mois de confinement, désolé de le poser aussi platement, n’ont pas appris grand-chose de nouveau. Cette configuration a « juste » été un démultiplicateur d’inégalités : les travailleurs qui ont pris de plein de fouet une évaporation de leurs revenus ou des conditions de travail encore plus risquées pour leur santé Vs ceux qui ont été pris en charge par des dispositifs de chômage, du télétravail. Statistiquement les premiers ont souvent des logements plus précaires que les seconds, transformant le confinement en épreuve ignoble…

Il y a sans doute plus à dire pour l’avenir. Après avoir entendu pendant des années en matière d’écologie que « changer d’économie » ne se ferait pas du jour au lendemain, voilà un être de taille microscopique qui met l’économie en veilleuse en quelques semaines, et qui montre preuves à l’appui qu’une bonne partie de ce qui est produit ne sert pas à grand-chose en termes d’utilité sociale (pensons aux prospectus dans la boite aux lettres, à tout ce que ça implique en amont pour concevoir, imprimer, distribuer… et en aval pour collecter, recycler…). Donc il y aurait de quoi être optimiste sur le « monde de demain ». Mais l’autre partie de la démonstration est moins rose : cette masse de travail réalisée par l’humanité, elle est nécessaire en revanche pour accéder financièrement aux besoins de base (se loger, se vêtir, se nourrir). Si le travail comme production est largement en surchauffe, le travail comme moyen d’accès à la petite partie de production réellement utile est lui à peine au niveau. Pour la France, il y a à craindre une intensification des exigences de productivité, un « effort » pour moins de protection sociale, un dialogue social expéditif et toutes ces sortes de choses. Et de ce point de vue, il y a de quoi stresser. C’est même déjà en route.

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