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Pourquoi la promesse de transformation sociale de François Hollande a condamné sa politique à l’échec
©REUTERS/David Mdzinarishvili

La preuve par l'histoire

A une semaine des élections européennes, la gauche est en mauvais état. La faute aux reculs de l'équipe au pouvoir depuis 2012, qui s'est coupée d'une grande partie de ses électeurs historiques.

Olivier  Vilain

Olivier Vilain

Olivier Vilain est un journaliste d'investigation. Il est l'auteur avec Robert Lenglet du livre Un pouvoir sous influence chez Armand Colin.

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Doutes, crises... La gauche française est en mauvais état. A partir de 2004, elle avait entamé un cycle de victoires sans précédent, emportant toutes les régions sauf une, puis la grande majorité des départements, des mairies... Après l'échec des élections de 2007, présidentielles et législatives, la marche en avant avait repris jusqu'à faire tomber le Sénat, une première sous la Ve République, puis la présidence de la République en 2012 et, enfin, l'Assemblée nationale. Jamais la gauche n'avait concentré autant de pouvoir. Jusqu'aux élections municipales d'avril dernie

Le reflux a été d'une violence extrême. Il ne fait que commencer à en croire les sondages concernant la campagne pour le renouvellement du Parlement européen : au soir du 25 mai, le Parti socialiste devrait arriver en troisième position, derrière la droite et l'extrême-droite. Les écologistes, les communistes et leurs alliés arriveraient loin derrière. « Ça ne me fait pas plaisir à dire, mais comment voulez-vous que les gens de gauche aillent voter pour un gouvernement qui ne mène pas une politique de gauche », remarque Jean, un militant du Parti socialiste qui vit à 10 km au sud de Paris. A 50 ans passés, ce vendeur dans un magasin d'électronique tentent de convaincre ses voisins d'aller voter. Pas facile. Le 15 mai, tous les syndicats de la fonction publique seront dans la rue pour contester le gel de leur traitement prévu jusqu'en 2017. « Ce sont quand même les membres de la CGT et de FO qui ont voté pour François Hollande en 2012 », rappelle Marie-Noëlle Lienemann, sénatrice et représentante de l'aile gauche du PS.

Depuis deux ans, les reculs de l'équipe au pouvoir sont nombreux. En 2012, le candidat François Hollande s'était présenté comme l'anti-Sarkozy. Arrivé au palais de l'Elysée, il a immédiatement fait le tri parmi ses promesses, qu'il avait pris grand soin de présenter comme équilibrées : de la rigueur budgétaire, comme son prédécesseur, mais surtout de la croissance. Quelques mois après sa prise de fonction, le cap était résolument mis sur... l'austérité. « Il s'est lié les mains en signant le traité préparé par Merkel et Sarkozy, après avoir promis le contraire. Ce texte rend incontournable l'austérité que l'on s'était engagé à combattre », regrette Marie-Noëlle Lienemann.

Pendant la campagne des présidentielles, François Hollande avait aussi promis d'accorder le droit de vote aux étrangers non originaires des pays de l'Union européenne. Une vieille proposition de gauche, plusieurs fois ajournée. Elle le fut une nouvelle fois, au prétexte que les élus de droite, dont la coopération était nécessaire, ne voulaient pas en entendre parler. Seule solution : le référendum. Débattre, mobiliser les catégories populaires au moment où le gouvernement renonçait à toutes mesures en leur faveur ? Ni le président, ni ses ministres, ni le Parti socialiste n'ont envisagé d'activer leur base militante ou électorale. Le gouvernement refusait d'augmenter le salaire minimum (1100 euros par mois à temps plein) alors qu'il transférait (via le Crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi) 30 milliards d'argent public vers les entreprises.

De même, la séparation des activités de banques de détail de celles des banques d'affaires, a été mis en scène mais, en réalité, rien n'a changé pour les établissements concernés. Ils peuvent continuer à préparer la prochaine crise financière. Dans le domaine du logement, le gouvernement a prétendu défendre les locataires avec une nouvelle loi : celle-ci a directement été négociée avec les bailleurs, écartant soigneusement les associations de lutte contre le mal logement.

Avec 18 % d'opinions favorables, la cote de popularité de François Hollande est la plus faible de tous les présidents français ; inférieure même à celle de Nicolas Sarkozy qui était littéralement détesté par de larges franges de la population. Le président en a eu une illustration en allant à Carmaux (Midi-Pyrénées), l'ancienne ville de Jean Jaurès, la grande figure du socialisme, assassiné en tentant d'empêcher l'éclatement de la Première guerre mondiale. François Hollande voit en lui celui qui aurait défendu une France qui « n'est jamais aussi conquérante que lorsqu'elle accepte la compétition et la concurrence ». Un discours étrange pour les habitants regroupés au loin, derrière des barrières. Posté là, Joseph fulmine. A 74 ans, lui qui a toujours voté à gauche assure qu'il tourne la page. C'est fini. Auprès de lui, sa voisine approuve : « Jaurès, c'était le socialisme. Hollande, c'est quoi ? » (Le Figaro, 23.04.14)

L'ampleur des revers électoraux s'explique par un fort mouvement d'abstention. Ceux qui continuent à voter pour le PS, le font sans joie, comme Arlette. Vivant dans le sud de la région parisienne, cette retraitée a toujours été socialiste : « Maintenant, c'est vraiment par devoir, car je ne fais plus tellement la différence, dans la pratique, entre les politiques de la droite et celles que la gauche poursuit : les usines s'en vont et les pensions de retraite sont toutes soumises à l'impôt. » Une mesure qui affecte particulièrement cette femme qui ne vit qu'avec 1000 euros par mois, après avoir fait toute sorte de métiers, de préparatrice en pharmacie à réceptionniste d'hôtel. Arlette met le doigt sur une étonnante continuité. Sous Sarkozy, comme sous Hollande, les entreprises françaises se font racheter et équarrir sans que les pouvoirs publics n'interviennent. Il y a deux ans, les derniers hauts fourneaux d'Arcelor-Mittal de Lorraine étaient éteints. François Hollande était pourtant venu sur le site pour promettre que l'Etat l'en empêcherait. Aujourd'hui, c'est le groupe de construction mécanique Alstom qui risque de connaître un sort similaire s'il tombe dans l'escarcelle de General Electric. 

« La défaite socialiste s'explique aussi parce qu'une partie de son électorat vote à droite, voire à l'extrême-droite ; en particulier parmi les catégories populaires », indique Eric Dupin, essayiste et fin connaisseur des campagnes électorales. Stéphane vit dans la très chic banlieue ouest de Paris. Cadre dans une grande société française, ce quarantenaire votait à droite jusqu'en 2012. Marié à une métis franco-africaine, la politique anti-immigrés de Nicolas Sarkozy le mettait en colère, lui d'habitude si posé. Deux ans plus tard, il est déçu : « Tout ce qu'on a eu, c'est la hausse des impôts et pas de croissance. Hollande ne m'y reprendra plus. » Pour se déterminer, il attend que la situation se clarifie à droite. 

Un espoir dans ce panorama ? Une centaine de députés de la majorité ont demandé au gouvernement une politique de gauche (41 d'entre-eux ont même refusé de voter la confiance au nouveau premier ministre, Manuel Valls). S'ils s'organisent, ils peuvent peser, compte tenu de leur nombre. Ils pourraient être d'autant plus efficaces s'ils continuent à rencontrer les élus du Front de gauche et les écologistes. « On discute depuis longtemps. On apprend à dégager des consensus. François Hollande devra finir par comprendre que nous représentons le centre de gravité de la gauche. Nous serons prêts », affirme Marie-Noëlle Lienemann.

A gauche du Parti socialiste, le souffle est court

« Bien sûr, les élections municipales ont marqué un fort recul pour les socialistes, mais il ne faut pas oublier que le Front de gauche et les écologistes en ressortent également affaiblis », observe Louis Weber, membre de Savoir/Agir, une association de chercheurs fondée par Pierre Bourdieu. La raison est, pour lui, claire : le discrédit de la gauche de gouvernement (PS, écologistes) s'étend à toutes les forces alternatives. « Difficile de rendre tangible une politique différente lorsque les différences entre droite et gauche s'estompent dans les pratiques gouvernementales », indique-t-il. L'une des faiblesses du Front de gauche est l'énergie qu'il consacre aux rivalités internes entre socialistes, trotskystes et communistes. L'autre faiblesse est l'absence de consensus sur les politiques à mener. Si le traité Transatlantique en négociation entre Washington et Bruxelles fait l'unanimité contre lui, il n'en est pas de même sur la question du multiculturalisme de la société française. Le personnel politique s'est un peu féminisé mais les dirigeants Arabes ou Noirs sont extrêmement rares. « Difficile de prétendre représenter les catégories populaires, dans ces conditions », lance le sociologue Eric Fassin.

Même difficulté sur la question  de l'euro. Longtemps, le Front de gauche a critiqué dénoncé l'interdiction faite à la Banque centrale européenne de prêter directement, et moins cher, aux Etats. Sans plus. « Il ne faut pas remettre la monnaie unique en question, les électeurs risqueraient de nous confondre avec le Front national », avait confié un cadre local du Parti de gauche. Cela permettait aussi de continuer à pouvoir conclure des alliances électorales locales avec le PS. Ces derniers mois, le débat est relancé par la publication de plusieurs livres, notamment celui de Frédéric Lordon (La malfaçon, monnaie européenne et souveraineté démocratique, LLL, 2014). L'idée d'une monnaie commune progresse, c'est-à-dire un panier de monnaies nationales assurant à la fois une unité pour les échanges extérieurs à l'Europe et la possibilité pour un pays, la France par exemple, de dévaluer sa monnaie si besoin. « De plus en plus de membres du Front de gauche comprennent qu'il ne peut pas y avoir de politique alternative au sein de l'euro tel qu'il existe », analyse l'universitaire Jacques Sapir, l'un des économistes qui plaident le plus pour une remise à plat de la monnaie en Europe.

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