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Pourquoi la population des campagnes n'est plus du tout la même qu'il y a 30 ans
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D'un monde à l'autre

Néo-ruraux bobos, exclus financiers des grandes villes, retraités aisés : les campagnes françaises se repeuplent de tout sauf de paysans.

Jean-Pierre Le Goff

Jean-Pierre Le Goff

Jean-Pierre Le Goff est philosophe, écrivain et sociologue. Il est l'auteur notamment de "La fin du village" (Gallimard, 2012).

Il préside le club Politique Autrement qui explore les conditions d'un renouveau de la démocratie dans les sociétés développées.

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Atlantico : De moins en moins "paysannes", les campagnes françaises ont nettement évolué depuis la révolution mécanique des années 1950. Quelle est la part des populations rurales qui peut se réclamer de cet héritage aujourd'hui ?

Jean-Pierre Le Goff : Elles sont vieillissantes et de moins en moins nombreuses. La modernisation de l’agriculture dans la période des Trente Glorieuses a non seulement diminué considérablement le nombre de paysans mais elle a entrainé la fin de l’ancien monde paysan marqué par le poids de petite exploitation, les rapports de connaissance interpersonnels, le poids des notables et des traditions… L’activité des nouveaux agriculteurs s’est technicisée et s’est ouverte aux grands marchés, leur mode de vie s’est mis à ressembler de plus en plus à celui des citadins. Ce mouvement n’a pas cessé et les crises qu’a connues l’agriculture n’ont pas fondamentalement remis en cause cette évolution. Même les agriculteurs minoritaires qui prônent une production et des circuits de distribution de proximité ont des modes de vie ancrés dans la modernité. Dans ce cas, nous n’avons pas affaire à proprement parler à un héritage, mais, avec la crise, à une certaine désillusion vis-à-vis du productivisme qui peut s’accompagner d’une nostalgie qui a tendance à enjoliver le passé.

>>>> Sur le même sujet : Que reste-t-il encore dans le pré ? Ce que la France et les Français sont devenus en s'éloignant toujours plus de leurs racines rurales

En quoi les modes de vie ruraux sont-ils fondamentalement différents de ceux existant auparavant ?

Le développement de la société de consommation et des loisirs a bouleversé l’ancienne communauté villageoise. Les habitants y ont gagné en bien-être, confort et ouverture sur le monde…, il ne faudrait pas l’oublier. C’est la fin d’un monde clos et de son « chauvinisme de clocher ». Pour autant, cette évolution s’est payée d’une dissolution des rapports de proximité, des liens de sociabilité et de solidarité villageoises. Le regroupement au sein d’un même espace territorial du lieu d’habitation, du travail et des loisirs a éclaté. La commune rurale est devenue de plus en plus un lieu d’habitation où la majorité de ceux qui  travaillent partent tôt le matin et rentrent tard le soir et un lieu de résidence secondaire. C’est dans ce sens qu’on emploie souvent l’expression de « village dortoir ». L’individualisme, la mobilité et le renouvellement des populations se sont développés ; l’époque où « tout le monde connaissait tout le monde » et où régnait ce que j’appelle un « ordre de proximité » paraît révolue, même si la situation dans les petites communes n’est pas comparable à l’anonymat des grandes villes. Chacun a tendance à se replier sur la sphère du privé et à se construire à un réseau de connaissances personnelles qui s’étend bien au delà de la commune avec ce qu’on appelle les réseaux sociaux. La crise a accentué ce repli et morcellement. 

Suivant le credo moderne du "retour à la terre", nos campagnes sont aujourd'hui investies par de nouveaux arrivants tentés par un mode de vie plus "naturel". Qui sont-ils sur le plan sociologique ?

Il ne s’agit pas d’un « retour à la terre » mais d’un retour à la campagne et il faut distinguer plusieurs étapes et plusieurs composantes différentes de population. Des soixante-huitards ont été en quelque sorte l’avant-garde d’un retour des citadins des grandes villes à la campagne qui s’est développé dans les années 1970 et 1980. Ce retour correspond à la recherche d’une vie plus simple et plus « authentique » que celle des grandes métropoles dans le sillage de la critique des sociétés industrielles et des « désillusions du progrès ». Les nouvelles couches moyennes y ont été sensibles et, à leur manière, elles ont été un vecteur de diffusion de nouvelles valeurs et de nouveaux comportements. Nombre d’ingénieurs, de techniciens de cadres ont choisi des communes situées dans la zone de leur activité, ont racheté de vielles maisons ou ont fait bâtir. Face à la désertification et au vieillissement des campagnes, les maires n’étaient pas mécontents d’accueillir ces nouvelles couches de population. Aujourd’hui, ces néo-ruraux font partie de population des campagnes, même si le lien avec les anciens habitants ne va pas toujours de soi. Aujourd’hui, le terme « néo-ruraux » ne me semble plus correspondre aux nouveaux habitants dont les motivations et les situations sont diversifiées et à la réalité de nombreuses communes qui se sont intégrées dans des zones périurbaines. Dans les régions à forte renommée, desservies par les autoroutes et les TGV, comme la Provence, on assiste à la juxtaposition de catégories sociales aux revenus fort inégaux, avec à un pôle extrême des dirigeants, des cadres et des retraités fortunés, nationaux et internationaux, et de l’autre des catégories sans travail, vivant dans la précarité avec l’aide sociale et de petits boulots, le plus souvent au noir ; entre ces deux pôles, les anciennes couches moyennes continuent d’habiter sur place mais sont inquiètes pour l’avenir de leurs enfants qui ne pourront pas habiter sur place étant donné l’absence de travail et la flambée des prix de l’immobilier dans les communes rurales convoitées par les catégories aisées.

Par ailleurs, la hausse des prix immobiliers dans les grandes agglomérations pousse de nombreux ménages à devenir ruraux faute de meilleures oopportunités. Peut-on parler d'une véritable tendance ou d'une simple évolution mineure ?

Les jeunes et les pauvres qui viennent habiter la campagne, peuvent trouver à se loger dans des zones plus désertées et bien moins desservies par les transports. La crise, le prix exorbitant de l’immobilier dans les grandes métropoles et la recherche d’un mode de vie moins tressant et plus convivial, voire alternatif, amènent de nouvelles générations à venir habiter la campagne, souvent avec quelques illusions : avoir les avantages de la ville tout en habitant dans la campagne, surtout l’hiver, ne va pas de soi. Beaucoup de communes rurales sont ainsi devenues ce que j’appelle un « village bariolé », faisant coexister dans un même espace dépourvu de culture et d’avenir communs, des catégories sociales aux revenus fort inégaux et aux mentalités différentes. Ce qui ne va pas sans tensions. En fin de compte, ce qui se passe dans les campagnes me paraît participer d’un phénomène plus général que j’ai appelé dans l’un de mes livres « La France morcelée ».

L’univers rural et villageois continue d’être présent dans l’imaginaire des Français alors que la France est devenu un pays urbanisé et que la réalité de la vie quotidienne de ceux qui vivent à la campagne ne correspond plus aux images du passé. Ce paradoxe me paraît symptomatique d’un pays qui, fatigué des injonctions perpétuelles au changement, a tendance à se réfugier de façon nostalgique dans un passé se voulant rassurant et qui a le plus grand mal à écrire une nouvelle page de son histoire.

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