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Pourquoi la monétisation des données personnelles ne sera jamais le nouvel or noir
©Josh Edelson / AFP

Gains illusoires

Une certaine école de pensée libérale émet l’idée que l’individu devrait recevoir une contrepartie économique pour l'utilisation de ses données par les plateformes numériques. Or, le sujet de leur possession est très complexe.

Nicolas Mazzucchi

Nicolas Mazzucchi

Nicolas Mazzucchi est conseiller scientique de Futuribles international et géoéconomiste spécialiste des questions énergétiques. Il est aussi docteur en géographie économique, professeur de relations internationales au sein de l’Enseignement militaire supérieur spécialisé et technique, intervenant à Sciences Po et à Polytechnique. Il est l'auteur de Energie, ressources, technologies et enjeux de pouvoir, chez Armand Colin (2017) et avec O. Kempf et F-B. Huyghe, Gagner les cyberconflits, Economica, 2015.

 

 

 

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Atlantico : Dans une récente étude vous pointez la problématique de la monétisation des données personnelles, en quoi est-ce un enjeu important ?

Nicolas Mazzucchi : Depuis plusieurs années les firmes les plus florissantes au niveau mondial – du moins en sphère occidentale – sont celles qui sont liées à l’exploitation du cyberespace. On pense bien évidemment aux GAFA(M), mais bien d’autres acteurs sont également concernés. Or ceux-ci utilisent majoritairement les données des utilisateurs de leurs services (moteur de recherche, réseau social, place de marché en ligne, etc.) afin de créer de la valeur fondée sur la prédiction des comportements, la publicité ciblée, etc. Dans ce cas on parle d’une économie fondée sur la donnée, ou plutôt sur le traitement de celle-ci. Or une certaine école de pensée libérale émet l’idée que l’individu qui est à l’origine de ces données devrait recevoir une contrepartie économique pour leur utilisation par ces mêmes plateformes.

Pourquoi maintenant ?

Les avancées récentes de l’Union européenne sur la question des données personnelles de manière particulière et du cyberespace de manière générale, ouvrent une nouvelle fenêtre d’opportunité. L’entrée en vigueur cette année du Règlement général sur la protection des données (RGPD) ainsi que la fin du délai de transposition de la Directive sécurité et réseaux d’information (SRI) sont la marque d’une nouvelle orientation de l’UE. Jusqu’à présent l’Union a encouragé les Etats-membres à mettre des législations nationales en place, maintenant elle souhaite elle-même être à la manœuvre afin de pousser l’interconnexion du marché digital (digital single market) dans l’ensemble de l’UE. Dans ce contexte, le RGPD permet aux individus de disposer de plus de droits sur ce qui est fait avec leurs données (transfert, rectification, etc.), cela renforce leur contrôle pourrait-on dire.

Du contrôle à la possession, il n’y a qu’un pas ? 

Déjà franchi en fait, mais de manière plus complexe qu’on ne le pense. Les données sont créées par la rencontre d’un individu et d’une plateforme, enlevez l’un ou l’autre et elles n’existent plus. Elles ne sont d’ailleurs, au sens économique du terme, pas des biens rivaux : si l’acteur A exploite un jeu de données, cela n’empêche en rien l’acteur B de faire de même. On se rend ainsi compte que cette histoire de possession est très complexe ; voilà pourquoi les législateurs nationaux et européens ont bien pris garde d’affirmer le droit du citoyen de contrôler l’usage qui est fait de ses données, y compris avec le droit de rectification de celles-ci, mais pas de lui en donner une capacité d’exploitation économique. En réalité l’utilisateur reçoit déjà une contrepartie : un service le plus souvent gratuit de mise en relation sociale, de recherche sur le Net, etc.

Donc pour revenir sur cette analogie selon laquelle les données seraient le pétrole du XXIe siècle ?

Je l’ai déjà écrit par ailleurs, mais cette analogie me semble complètement erronée. D’une part sur la nature profonde des données aussi bien que du pétrole ; un bien non-rival créé par la rencontre d’un individu et d’une plateforme virtuelle (la donnée), n’a rien de commun avec une ressources fossile enfouie sous terre ou dans les fonds sous-marins (le pétrole). Leur seul point commun c’est en réalité la nécessité de passer par une étape de transformation afin de les rendre exploitables ; le raffinage que l’on pourrait aussi bien appeler dans le cas des données la structuration-agrégation. Sans ce traitement préalable, pas d’utilisation économique possible à grande échelle.

Les données ne valent donc rien ?

Non bien entendu, elles sont le socle d’une économie florissante ; mais là encore tout dépend ce que l’on entend par données. Le terme est si vague qu’il a fini par désigner de multiples réalités, entre le nom et le prénom d’une personne et ses habitudes de consommation ou ses préférences politiques, il y a un certain écart, pourtant ce sont à chaque fois des données. En réalité c’est le poids de l’individu qui est nul, plusieurs estimations concordent pour dire que pris au niveau individuel les données ont une valeur quasi-nulle, à moins d’être extrêmement personnelles comme les antécédents médicaux de toute la famille par exemple. Donner à l’individu l’illusion qu’il peut gagner de l’argent en vendant ses données, revient en fait à faire de lui un cyber-prolétaire qui sera au fond bien plus dépendant des plateformes exploitant les données qu’il ne l’est aujourd’hui. Ainsi si l’on introduisait une contractualisation avec contrepartie financière pour l’utilisation, cela reviendrait en fait à donner un blanc-seing aux diverses plateformes exploitant la donnée ; ce serait le contraire de la politique de protection de l’individu mise en place par les législateurs nationaux et européens. La marchandisation des données en ce sens reviendrait à amoindrir les droits des individus au lieu de les augmenter.

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