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Pourquoi la “Macron-économie” ne produit que des résultats décevants sur l’emploi en France
©REUTERS/Eric Gaillard

Chiffres de l'emploi

Les derniers chiffres de l'emploi (106 000 créations dans le secteur privé en 2018 contre 328 000 en 2017) ne semblent pas montrer que le CICE ou la loi travail ont pu produire un impact significatif sur la baisse du chômage.

André Fourçans

André Fourçans

André Fourçans est professeur d'économie à l'Essec. Il a aussi enseigné dans deux universités américaines ainsi qu’à l’Institut d’études politiques de Paris.

Il est l'auteur de plusieurs ouvrages de vulgarisation économique dont Les secrets de la prospérité - l’économie expliquée à ma fille 2, Seuil, 2011.

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Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Atlantico : Des études montrent que le CICE et la loi travail n'ont pas eu d'impact significatif sur l'emploi, comment l'expliquer? Est-ce un échec de la « macron-économie » ?

André Fourçans : Pour lutter contre le chômage, il n'y a pas cinquante solutions, il faut baisser le coût du travail et/ou augmenter la productivité des travailleurs. Cela implique bien sûr de baisser les charges qui accroissent le coût du travail, notamment pour les moins qualifiés, Vouloir baisser les charges va donc dans la bonne direction mais c'est surtout utile pour les travailleurs les moins qualifiés, ceux qui ont un salaire rigide, autour du SMIC. Baisser les charges sur ces travailleurs-là, ça peut aider, mais on peut se demander si c'est suffisant.

Par contre baisser les charges des cadres, ça a peu d'impact sur l'emploi ; les entreprises en gardent une partie pour elles et elles augmentent le salaire reçu par les cadres, donc le coût du travail (salaire plus charges) est généralement peu affecté. Certes, cela augmente les salaires des cadres, mais ça n'impacte pas le coût du travail. En réalité, le problème du chômage se situe majoritairement chez les travailleurs peu qualifiés, les jeunes et les seniors.

L'orientation de la loi travail était bonne : plus de flexibilité, des négociations plus décentralisée dans le monde du travail, mais on n'est pas allé très loin non plus, notamment en matière de décentralisation des négociations. En Allemagne, la plupart des négociations sont faites au niveau des entreprises, et cela explique en partie pourquoi chômage est faible, même si les lois Hartz-IV ont aidé aussi. Une autre chose intéressante qui a été faite par Macron c'est la formation : les réformes faites vont dans le bon sens, notamment pour les moins qualifiés, mais insuffisantes.

Alexandre Delaigue : Il faut toujours se méfier de l'idée d'évaluer les politiques gouvernementales par les évolutions du taux de chômage, surtout sur le court terme. C'est un jeu qui a coûté extrêmement cher au président précédent en termes d'image alors que de manière générale, les politiques du gouvernement n'ont qu'un impact marginal sur ce qu'il se passe du côté de l'emploi. Les déterminants du niveau de l'emploi sont ailleurs.

Ensuite, et quoi que l'on puisse penser de la politique du gouvernement sur le sujet, on ne peut tout simplement pas juger de son efficacité de cette manière-là. Ce que l'on peut noter, c'est que le pari présidentiel était de faire des réformes structurelles du marché du travail en profitant d'une conjoncture économique qui avait l'air globalement favorable. L'idée était de faire, à la fois un peu de consolidation budgétaire – de réduire les déficits- et en même temps de faire des réformes structurelles. Mais ces dernières ont toujours initialement un effet négatif. Quand vous flexibilisez le marché du travail, vous facilitez les licenciements, et initialement, cela peut provoquer plus de licenciements que de créations d'emplois. Même si dans un second temps les employeurs peuvent être plus incités à embaucher parce que le risque est moindre s'il est plus facile de licencier. C'est le raisonnement, que l'on l'approuve ou pas. Dans cette idée, profiter d'une conjoncture un peu meilleure soutenait l'idée que l'on pouvait à la fois faire des réformes structurelles du marché du travail et en même temps réduire les déficits, et que dans une conjoncture favorable cela n'aurait pas trop d'effets négatifs sur l'emploi. Le problème du gouvernement est que la conjoncture est déjà dès maintenant en train de se dégrader, et que la volonté de se trouver dans le bon "timing" n'a pas réussi au bout du compte. Du coup, dans le contexte des Gilets jaunes, le gouvernement se trouve à devoir faire un peu plus de déficits d'un côté, et de l'autre côté de ne pas pouvoir présenter d'embellie sur le marché de l'emploi. Ce qu'il faut noter, c'est que ces mesures – le CICE en particulier- coûtent relativement chères aux finances publiques pour un résultat en termes d'emplois qui n'est quand même pas terrible.

Peut-on espérer une embellie sur le front du chômage d'ici la fin du quinquennat ?

André Fourçans : Les dernières mesures prises après les gilets jaunes ne prêtent pas à l'optimisme, on a l'impression d'être revenu au vieux monde : hausse des dépenses, hausse de la fiscalité, ça me porterait à être un peu dubitatif, je me pose pas mal de questions, et j'espère que le gouvernement continuera à réformer. Le gros problème ce sont des prélèvements obligatoires trop élevés et des dépenses publiques trop élevées, en miroir, on ne pourra pas diminuer la fiscalité tant que l'on n'aura pas diminué les dépenses publiques.

Pour les moins qualifiés, le coût du travail c'est le SMIC et il est notoirement plus élevé qu'ailleurs en Europe (quand un salaire minimum existe). En France c'est pas un hasard si 25% de jeunes sont au chômage quand le SMIC représente 65% du salaire médian (aux USA c'est 35%) évidemment ça entraîne un coût du travail élevé pour tous ces jeunes, pas formés, qui forment la masse des chômeurs de notre pays. On ne peut pas vouloir résoudre la pauvreté en augmentant le SMIC, d'où cette volonté de baisser les charges. Mais les mesures prises sont insuffisantes pour que tous ces jeunes puissent être recrutés et formés. Les entreprises doivent être au cœur des discussions sur le chômage et la formation, sinon le chômage va persister.

Alexandre Delaigue : Tout cela va dépendre de l'évolution de la conjoncture qui est difficile à prévoir. La seule chose que peut produire l'ensemble de mesures qui ont été prises par le gouvernement en termes d'emplois, c'est que si jamais la conjoncture s'améliore alors il y aura un effet plus favorable sur l'emploi que lors des situations précédentes. Ce que l'on peut espérer, ce qui serait un succès pour le gouvernement, serait de constater -lorsque la conjoncture sera favorable – que l'emploi progresse davantage que par dans le passé. Que le chômage baisse plus que dans le passé pour une conjoncture équivalente. Mais la prochaine expansion économique n'est pas pour tout de suite parce que l'on se prépare plutôt pour un ralentissement. Tout cela ne paraît pas très favorable pour espérer une amélioration de l'emploi.

Que faudrait-il faire pour résoudre enfin le problème du chômage en France ?

André Fourçans : Diminuer le coût du travail pour les moins qualifiés, donc revoir le système du SMIC, avoir par exemple un SMIC régional mieux adapté à la productivité des territoires, avoir un système de protection sociale avec l'impôt négatif (la prime pour l'emploi est une mesure positive mais insuffisante), avoir des contrats intermédiaires plutôt que simplement CDD et CDI, des négociation par entreprise, développer la formation en la sortant de l'influence des syndicats (y compris les syndicats patronaux).

Un modèle qui fonctionne bien pour la formation, c'est l'Allemagne : les entreprises sont au cœur de la formation des jeunes, mais pour cela il faut d'abord que le coût du travail de ces jeunes ne soit pas trop élevés, sinon les entreprises ne les regardent même pas, ils sont trop chers. Les entreprises connaissent les besoins du marché, [et elles payent le prix si elles se trompent, ça les incite à faire de bons arbitrages]. « Comme disent les Américains, put your money where your mouth is. »

Puis il faut des mesures macro-économiques : baisse des dépenses publiques et des prélèvements obligatoires, renforcement de la concurrence... On n'aime pas le concurrence en France, on pense aux grands fleurons nationaux, on pense que monopole et oligopole sont des  moyens de préserver la prospérité, c'est typiquement français. Nos décideurs ont une vision centralisatrice, étatiste, colbertiste, ils sont formés comme ça et ne voient pas plus loin, c'est un état d'esprit, une culture que la France paye.

Alexandre Delaigue : Le chômage en France subit encore largement les conséquences de la crise de 2007-2008, nous n'en sommes pas véritablement sortis. Et si on regarde ce qu'il s'est passé dans les pays ou le chômage a baissé de manière durable, c’est-à-dire aux Etats-Unis et dans quelques autres pays comme le Japon, on se rend compte que la conjoncture a été très considérablement soutenue, très largement par la Banque centrale et assez largement aussi par la politique budgétaire, c’est-à-dire avec une politique budgétaire qui allait plutôt dans le sens d'un soutien à l'économie. C'est le seul exemple que nous ayons de pays riches qui aient connu une diminution durable du chômage, et une forte amélioration de l'emploi. L'autre exemple que l'on pourrait trouver est un pays comme l'Allemagne qui dans la pratique a bénéficié d'une très forte demande extérieure, en provenance des Etats-Unis et de la Chine. C'est ce qui a permis cette diminution du chômage en Allemagne.  Aussi longtemps que nous n'aurons pas cela en France, ce n'est pas la peine d'espérer grand-chose des réformes structurelles parce que celles-ci ne peuvent finalement qu'accompagner une conjoncture favorable.

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