Pourquoi la levée de l’embargo sur la livraison d’armes aux rebelles syriens est une idée dangereuse<!-- --> | Atlantico.fr
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La levée de l’embargo sur la livraison d’armes aux rebelles syriens a été décidée par les ministres des Affaires étrangères de l'UE.
La levée de l’embargo sur la livraison d’armes aux rebelles syriens a été décidée par les ministres des Affaires étrangères de l'UE.
©Reuters

Liaisons dangereuses

Les ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne ont décidé lundi 18 janvier d'assouplir l'embargo sur les armes en Syrie en autorisant l'envoi d'armes non létales. Assister des milices qui comptent des islamistes dans leurs rangs ne risque-t-il pas de provoquer une crise similaire à celle du Mali ?

Alain Chouet

Alain Chouet

Alain Chouet est un ancien officier de renseignement français.

Il a été chef du service de renseignement de sécurité de la DGSE de 2000 à 2002.

Alain Chouet est l'auteur de plusieurs ouvrages sur l’islam et le terrorisme. Son dernier livre, "Au coeur des services spéciaux : La menace islamiste : Fausses pistes et vrais dangers", est paru chez La Decouverte en 2011.

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Atlantico : L'Union européenne vient d'opposer un nouveau refus à la levée de l'embargo sur les armes en Syrie tout en autorisant cependant l'envoi "d'armes non létales" ainsi que l'instauration d'une "assistance technique" à destination des rebelles. L'Europe n'est-elle pas en train de réitérer les mêmes erreurs qu'en Libye en précipitant sans trop de calcul la chute d'une des principales autorités régionales ?

Alain Chouet : J'ai personnellement un peu de mal à suivre les raisonnements de l'Union européenne dans cette affaire. D'abord, une "assistance technique" aux rebelles est déjà fournie depuis près d'un an aux rebelles par les Etats-Unis et la France sous forme d'imagerie aérienne et satellitaire ainsi que de renseignements d'origine électromagnétique (écoutes). La décision européenne ne fait qu'officialiser un état de fait. Ensuite, je serais intéressé de savoir ce qu'on entend par "armes non létales". S'agit-il de gaz incapacitants, de tasers, de flashballs, de seringues anesthésiantes, de lance-pierres ? Quelle serait l'utilité de tels matériels dans un conflit où, très clairement, chaque partie recherche l'élimination physique de l'adversaire ?

En fait, l'Europe paraît très incertaine, divisée et ignorante des réalités locales. J'entendais récemment un député européen appeler à armer la rébellion politico-militaire afin de ne pas laisser le monopole de la lutte armée aux djihadistes...  C'est à la limite du surréalisme : faut-il dans le monde entier armer les modérés pour ne pas laisser le monopole des armes aux extrémistes ? ... Et c'est ne pas voir qu’aujourd’hui l’opposition politique au régime est totalement hétéroclite et fragmentée. Dispersée à l’étranger, essentiellement en Turquie, en France et au Qatar, elle est marginalisée au profit de la rébellion militaire. Et à l’intérieur de cette rébellion militaire les fondamentalistes sunnites djihadistes - souvent étrangers et soutenus financièrement par les pétro-monarchies - ont pris le pas sur les éléments locaux fortement marginalisés par leurs "hôtes" du parti islamiste turc.

Ce type d'aide peut-il avoir un réel impact sur l'issue du conflit ? Où en sont actuellement les rebelles sur le terrain ?

Je ne pense pas. Pour l'instant une sorte d'équilibre mortifère s'est installé comme pendant la guerre civile au Liban à laquelle ce conflit ressemble de plus en plus.

Les rebelles contrôlent plus ou moins en profondeur les régions proches des frontières des pays voisns (Liban, Turquie, Irak, Jordanie) d'où les djihadistes peuvent recevoir des aides extérieures en finances, armes, volontaires, et où ils peuvent trouver refuge en cas de difficulté. Au niveau politique, on constate que l'opposition s'essouffle et recherche un dialogue avec le régime. Ce dernier y répond plus ou moins par la voix de son ministre de la Réconciliation nationale, M. Ali Haydar, qui a proposé début février de rencontrer les leaders de la Coalition nationale syrienne où ils le souhaitent et sans préalable. Mais ces éventuelles discussions n'ont guère de sens dans la mesure où l'opposition politique n'a aucune autorité sur une rébellion militaire largement dominée par des activistes islamistes.

En fait - au bout de deux ans d'affrontements ininterrompus - les différents protagonistes, régime compris, sont à bout de souffle. Leur survie ne dépend pas de leurs approvisionnements en armes dont ils sont tous amplement dotés, mais des soutiens politiques et surtout financiers qu'ils reçoivent de puissances extérieures. Pour l'instant, à ce jeu, ce sont les rebelles islamistes qui gagnent.

Assister matériellement les milices islamistes ne risque-t-il pas de provoquer une crise similaire à celle qui est en cours au Mali ? 

Le Levant n'est pas le Sahel et les enjeux y sont différents. Mais compte tenu des composantes multi-communautaires du pays, c’est vers une longue période de désordres, d’affrontements civils et peut être de partition territoriale qu’on se dirige. Quelle que soit l’issue du conflit, on ne pourra éviter que l’étendue des destructions, l’intensité des contentieux civils, les fractures de l’appareil d’État conduisent immanquablement et durablement vers l’établissement de zones grises ou incontrôlées ouvertes aux manifestations de la violence politique, du terrorisme, des trafics d'armes et de drogues, quels que soient les efforts consentis de l’extérieur pour tenter d’y réimplanter un minimum d’ordre et d’administration.

Comment expliquer par ailleurs que l'Occident continue d'afficher son soutien aux rebelles malgré la présence avérée d'islamistes radicaux dans leurs rangs ?

C'est une question qu'il faudrait poser directement aux décideurs politiques occidentaux. Dans un récent projet de résolution, le Conseil européen attribuait au seul président syrien la totale culpabilité des pertes humaines et des destructions matérielles dans un pays où il est pourtant maintenant patent qu’il existe depuis plus de dix-huit mois une importante rébellion armée aux méthodes expéditives, assistée financièrement par des monarchies pétrolières et opérationnellement par des services occidentaux, renforcée et maintenant dominée par de nombreux mercenaires djihadistes étrangers.

Ces miliciens ne sont pas venus là uniquement pour faire du tourisme et regarder pleuvoir les obus des forces du régime sur des populations civiles stupéfaites. Leur existence n’est pourtant nullement évoquée, même de façon allusive, dans les résolutions de l’Union européenne alors que les États-Unis ont classé la plus importante de ces milices - "Jabhat al-Nosra" - sur la liste noire des organisations terroristes internationales parce qu’elle se revendique elle-même d’Al-Qaïda.

Par méconnaissance du terrain, les décideurs occidentaux se sont fourvoyés dans un soutien aux instruments violents de leurs amis pétro-monarques wahhabites au lieu de soutenir, en Syrie comme ailleurs, des transitions négociées avec les authentiques forces démocratiques, modernistes et laïques existantes. Il leur est difficile maintenant de faire marche arrière sans se déjuger.

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