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Pourquoi la fortune des Arnault et des Bettencourt ne nous dit rien ou presque sur l’état des inégalités en France
©Bernard Arnault. ERIC PIERMONT / AFP

Alors que le magazine Forbes a annoncé que Bernard Arnault et Françoise Bettencourt Meyers sont devenus l’homme et la femme les plus riches au monde, de nombreux députés de la NUPES se sont émus de leur richesse… comme si elle avait un lien avec la pauvreté dans le pays.

Pierre Bentata

Pierre Bentata

Pierre Bentata est Maître de conférences à la Faculté de Droit et Science Politique d'Aix Marseille Université. 

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Atlantico - L’annonce que l’homme et la femme les plus riches au monde étaient français à fait beaucoup réagir, notamment à gauche, certains s’en sont indignés. Pourquoi ?

Pierre Bentata - D'un point de vue économique, l'argument qui revient souvent, c'est l'idée que l'économie serait un jeu à somme nulle et que donc s’il y a des très riches, ça explique qu'il y ait des très pauvres et que plus on a des très riches, plus on a des très pauvres. Donc dans ce cas-là, une fois qu'on a cette logique là en tête, évidemment on ne peut que s’indigner d'avoir les gens les plus riches du monde dans le pays.

Pourquoi leur indignation est-elle mal placée ?

Pour plusieurs raisons. D’abord, on constate qu’il y a une indignation à géométrie variable. C'est une indignation qui en fait cible toujours les personnes dont on ne comprend pas le travail et la création de valeur. Typiquement, on a très peu d'indignation à gauche sur le salaire de Kylian Mbappé par exemple parce qu’on comprend quel est son rôle. On peut même considérer qu'il a une sorte de rôle social. De même, aucune indignation sur les cachets des acteurs ou sur les artistes en général. En revanche, on ne comprend pas très bien ce que peut faire Bernard Arnault, ce que ça signifie de gérer des entreprises, d'être à la tête d'un ensemble d'entreprises, etc. Et en plus de ça il y a une sorte de de de détestation du monde de l'entreprise qui crée une indignation qui est très forte vis-à-vis de ces individus dont on ne comprend pas quelle est la création de valeur. On a l’impression qu’il y a un décalage entre ce qu’ils touchent et ce qu’ils rapportent. C’est une erreur psychologique. Mais l’erreur de fond, c’est une incompréhension des mécanismes économiques. Une erreur qu'on retrouve typiquement dans les rapports tous les ans de Oxfam, c'est de l'incompréhension de ce qui constitue un haut revenu et un haut patrimoine. Et là, il y a une vraie confusion car quand on dit, ce sont les gens les plus riches du monde, on se base sur l'ensemble de leur patrimoine, ce qui inclut un large portefeuille d’actions. Donc en fait ce sont les gens qui potentiellement sont les plus riches du monde. Or en disant ce sont les plus riches du monde, on a l'impression qu’ils ont l'argent sur leur compte en banque.

 Si du jour au lendemain Bernard Arnault revendait les parts de ses entreprises, avant même qu'il ait fini le prix des actions se serait effondré et donc il n’aurait pas cette somme in fine.

Sandrine Rousseau a tweeté : « On n’est pas bien ? À la fraîche. Décontractés du ruissellement ? » et Manon Aubry « l'homme et la femme les plus riches au monde sont Français. Un immense bravo à Emmanuel Macron qui s'est démené depuis le début pour porter ses amis Bernard et Françoise au sommet. La politique de ruissellement vers le haut porte ses fruits ! ». Le problème de la France est-il vraiment ses milliardaires ?

D’un point de vue purement économique, le fait qu'il y ait des milliardaires ne peut faire l'objet d'aucun jugement de valeur. C'est totalement neutre d'un point de vue économique. Tout dépend de comment vous faites votre richesse et de ce que vous en faites. C’est encore une fois une croyance que les revenus dans l'économie sont figés et que ce qui est gagné par l’un est perdu par l’autre. Mais c'est une erreur fondamentale car il faudrait mettre au regard de la fortune de ces individus la quantité de personnes qu’ils font vivre. Leur première contribution, celle qui est toujours oubliée, c'est quel est le patrimoine que ça crée pour le reste de la population, en termes d'externaliser positives. Pour générer ce patrimoine ou pour le maintenir, combien de milliers d'emplois dans les entreprises, combien de valeur créée ? Combien d'entreprises sous-traitantes dépendent directement de de ces individus ? Si on prend ça en considération, plus ils sont riches, plus ça veut dire qu’ils ont créé de la valeur et que cette valeur a été principalement récupérée par les salariés et par les employés. Le partage de la valeur dans notre pays est largement en faveur des salariés eux-mêmes. La grande majorité de la valeur va d'abord aux salariés sous forme d'action ou de salaire, ensuite à l'État, et en troisième les fameux détenteurs du capital que Sandrine Rousseau et consorts n’aiment pas.   Et puis on ne prend pas en compte non plus le rayonnement. Dans un monde globalisé, il n’y a rien à craindre au fait d'avoir les gens les plus riches du monde. Au contraire, c'est un facteur d'attractivité et de confiance. Le vrai problème c'est pas du tout qu'on ait des milliardaires mais c’est la pauvreté. Mais en économie, on a théorisé le paradoxe d’Easterlin qui fait que l’on se sent dévalorisé quand certaines personnes sont plus riches que nous.

Le fait que nos milliardaires soient les plus riches de la planète témoigne-t-il ou non des inégalités dans le pays ?

Non pas du tout, car eux deux représentent une fraction des ultrariches. Si l’on regarde l’indice de Gini qui nous sert à observer des effets d'inégalité dans un pays, on est un des pays les plus égalitaires au monde, particulièrement après redistribution. De ce point de vue, la fiscalité fait très bien son travail. On a un rapport entre le décile le plus riche et le décile le plus pauvre qui est parmi les plus faibles des pays développés. Ces gens-là font partie des 99,99% les plus riches. Sur le plan statistique et du point de vue général de la population, ce sont juste des artefacts statistiques, mais ils ne représentent rien qui nous permette d'avoir une conclusion sur les inégalités. Et si on regarde les indicateurs, on voit que non seulement les inégalités sont faibles, mais qu'en plus elles ont baissé. Branko Milanovic qui avait trouvé cette fameuse courbe en éléphant sur la redistribution et le partage de la richesse dans le monde et qui montrait que les plus riches accaparaient la plus grosse partie de la croissance dans les années 60 a montré que la courbe est aujourd’hui parfaitement décroissante. Les 10% les plus pauvres s'enrichissent davantage que les 20% les plus pauvres qui eux s'enrichissent plus rapidement que les 30% les plus pauvres, etc. Les faits statistiques sont les suivants : il y a une baisse des inégalités, un enrichissement des plus pauvres, certes masqué par l’inflation de ces derniers mois. Mais là tendance est bien là. Donc il n’y a pas à s’alarmer d’avoir l’homme et la femme les plus riches au monde. En réalité, on devrait même s'alarmer de ne pas avoir suffisamment de milliardaire. Mais pour ça, il faut être concentré davantage sur les pauvres et sur comment régler les problèmes de pauvreté que sur les inégalités entre les très riches et les très pauvres. En regardant uniquement des cas extrêmes, on a une vision qui est complètement tronquée de la réalité.

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