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Pourquoi la droite souffre au moins autant de ses divisions idéologiques que des haines personnelles qui la déchire
©LIONEL BONAVENTURE / AFP

Petites confessions

Dans leur dernier livre "La Haine" publié aux éditions Fayard, les journalistes Gérard Davet et Fabrice Lhomme reviennent sur les tensions des années Sarkozy et les guerres qui se jouaient dans les coulisses de l'UMP.

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Gilles Richard

Ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure de Saint-Cloud et agrégé d'Histoire, Gilles Richard a été professeur à l'IEP de Rennes et enseigne aujourd'hui à l'Université de Rennes 2. Il est notamment l'auteur de Histoire des droites en France 1815-2017 (Perrin, 2017).

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Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Dans leur dernier livre, La Haine : les années Sarko publié aux éditions Fayard, les journalistes Davet et Lhomme font le récit de l’histoire récente de la droite en s’appuyant sur le témoignage de Jérôme Lavrilleux, ancien proche du système LR. Le livre décrit l’importance des haines personnelles entre membres du parti de droite. Mais ces tensions ne sont-elles pas particulièrement violente parce qu’existent des conflits idéologiques non réglés ?

Gilles Richard : Je pense que dans la vie politique, les relations interpersonnelles sont souvent difficiles, pour deux raisons. La première est simplement liée au fait que les gens qui font de la politique, en tout cas les chefs, cherchent par définition à conquérir le pouvoir. Et les relations de pouvoir sont forcément conflictuelles. On dit souvent que le goût du pouvoir est une drogue dure. 
Mais il y a un second aspect qu'on ne peut ignorer. Quand il y a des affrontements entre deux grands leaders, c'est toujours lié à des différents idéologiques aussi. A droite c'est le cas de Chirac contre Giscard, de Chirac contre Balladur, de Paul Reynaud contre Pierre-Etienne Flandin sous la IIIe République. Le problème aujourd'hui à droite est le rapport au Rassemblement National, qui est le coeur du clivage. Pour LR, la division consiste à savoir s'il faut récupérer l'électorat du Rassemblement National ou s'il faut tenir une ligne opposée de type juppéiste, qui sont pour beaucoup parti chez Macron.
Le cas de Nicolas Sarkozy est particulier. Il est vrai qu'il a réussi en 2007 l'opération de siphonnage de l'extrême-droite. Il l'a réussi temporairement lors de son élection à la présidence, mais des les élections de 2009-2010, il perd ses élections. Et c'est logique à mon avis, car il n'est pas possible de tenir une ligne néo-libérale européiste et une ligne conservatrice sur le plan sociétal. 

Edouard Husson : Le tome 1 de Davet et Lhomme, qui paraît jeudi 2 mai, s’arrête en 2014. Les deux auteurs nous annoncent un second tome pour l’automne. C’est sans doute le récit de 2017 qui sera le plus intéressant: on y verra comment la droite s’est suicidée elle-même. Sans savoir ce qui nous sera raconté, j’ai supposé, depuis le début de l’affaire Fillon, que c’était le clan sarkozyste, sinon l’ancien président lui-même, qui avait poignardé dans le dos le vainqueur des primaires. Que la haine qui a conduit au suicide de LR et à la victoire d’Emmanuel Macron ait des racines anciennes, c’est certain. Et je crois volontiers la thèse du livre: au fond, c’est uniquement personnel; pas grand chose à voir avec l’idéologie. Fillon, comme Sarkozy, chacun à sa manière, a incarné un déplacement vers la droite de LR. Laurent Wauquiez n’a rien inventé, en l’occurrence, il est le continuateur des hommes qui ont pesé à droite depuis vingt ans: Sarkozy, Copé, Fillon. Le débat idéologique entre une ligne Juppé et une ligne plus à droite n’a surgi que plus tard, à partir de la montée en puissance du macronisme et parce que Fillon n’avait pas réussi ce qu’avait réussi Sarkozy, à savoir rassembler toute la droite - pour des raisons personnelles, non pour des raisons idéologiques. 

Finalement, la droite ne souffre-t-elle pas de ne pas réussir à parvenir à reconstruire une synthèse idéologique aussi rassembleuse que celle qu’elle avait construite sous de Gaulle ?

Gilles Richard : Je sais que c'est l'habitude et le défaut du livre de Davet et Lhomme, qui a tendance à trop personnaliser la politique, d'en faire trop une affaire de chef et d'individus. Cela compte bien entendu, mais ce sont aussi les masses qui font l'histoire ou qui les font par leur inaction. La victoire de De Gaulle s'inscrit dans un autre contexte. A l'époque de De Gaulle, les nationalistes sont marginalisés. Mais depuis les années 1980, la France rencontre une crise générale de son identité, et ce pour de nombreuses raisons, dont la fin de la Guerre Froide, l'intégration dans l'Europe, les crises économiques et le chômage de masse. 
Cette crise de l'identité nationale est le socle de l'essor du Front National, mais aussi ce qui fait que le gaullisme dès lors n'existe plus et ne peut plus exister dans ce contexte-là. Et il ne faut pas oublier que le gaullisme est un moment court, où certes on a un Général de Gaulle qui tient une ligne à la fois nationaliste et républicaine, mais son premier ministre, Georges Pompidou, est un néo-libéral. D'ailleurs ils se séparent en 1968 avant de s'affronter en 1969. Le gaullisme ne dure qu'un instant, que quelques années dans un contexte de forte croissance économique dans une Europe naissante où tous les pays disposent d'un droit de veto. C'est l'Europe des patries, comme disait De Gaulle. 

L'union des droites s'est faite rarement mais quelques fois malgré tout au XIXe et au XXe siècle et contre un ennemi commun, en l'occurrence les gauches. Mais les gauches sont en miettes aujourd'hui. Le principal facteur d'union des droites a disparu. Et comme le gaullisme est aujourd'hui mort, et étant donné la crise de l'identité nationale, on ne trouve personne qui soit capable de reconstruire un projet national cohérent et consensuel. 

Edouard Husson : Je ne le crois pas. Nicolas Sarkozy a réussi ce rassemblement pour l’élection de 2007. Et il avait tout pour réussir. Il a d’ailleurs failli être réélu, en 2012, en restant fidèle à sa ligne droitière. Mais Sarkozy, à peine élu, a brouillé les cartes: faire entrer au gouvernement des hommes de gauche comme Kouchner a été une erreur politique majeure, dont l’ancien président ne s’est jamais remis. En fait, Sarkozy a fait une campagne trumpienne avant la lettre. Mais il n’était pas prêt, une fois élu, à connaître - comme Donald Trump, Orban ou Salvini - l’hostilité quasi-unanime des médias et de l’intelligentsia. Si, par exemple, Sarkozy avait voulu rétablir l’ordre dans les banlieues comme il l’avait promis; s’il avait voulu réaliser le programme de lutte contre l’immigration clandestine de sa campagne, il aurait fallu se heurter à un certain nombre de bien-pensants et, éventuellement, d’intrigues internes à l’UMP. C’était un travail ingrat. On voit bien comment Donald Trump a traversé deux ans de grande solitude, avant les mid-terms. C’est profondément dommage que Sarkozy n’y ait pas été disposé, vu tout ce qu’il a réussi par ailleurs, sans pouvoir aller au bout de plusieurs réformes (pensons par exemple à la réforme de l’université). L’électorat populaire ne lui a pas pardonné de ne pas avoir tenu parole. 

Dans le cas de François Fillon ou de François-Xavier Bellamy, qui sont ou ont été largement critiqués au sein de leur parti malgré une forme de soutien, le choix d’une ligne conservatrice semble avoir entériné la division que montre Davet et Lhomme dans leur livre, entre des camps qui ne peuvent plus exister ensemble. Néanmoins, la droite peut-elle peser sans rassembler au delà d'une lign conservatrice ? L’histoire de la droite française ne montre-t-elle pas que le conservatisme n’est pas une colonne vertébrale suffisante pour construire à droite ?

Gilles Richard : En France, il n'y a jamais eu de parti conservateur, cela n'a jamais été utilisé par la droite. François n'avait pas une position qui lui permettait de tenir. Il s'est positionné sur une ligne très proche de Nicolas Sarkozy, celle d'un néolbéral affiché doublé d'un conservateur sur le plan sociétal. Cette posture était intenable. Il a réussi a garder un électorat Manif pour Tous, mais les électeurs juppéistes ont voté Macron. Fillon ne pouvait pas gagner. Et les affaires ne changent rien. François Fillon, dès janvier, et avant le Penelope Gate, voit sa cote baisser. Il a déjà perdu 10 points depuis son élection à la primaire. Bon et à côté de cela, il a été un mauvais candidat, en témoigne ses vacances de une semaine.

On n'est plus dans un clivage gauche-droite, mais progressiste-nationaliste. Ce qui ne signifie pas qu'il n'y a plus de gens de gauche et de droite. Ils existent encore, mais il n'y a plus de force de gauche capable d'imposer ce clivage en politique. 

Edouard Husson : Au contraire ! Il n’y a qu’une ligne vraiment de droite qui puisse faire gagner la droite! En 2007, Nicolas Sarkozy a pris au Front National une partie de ses électeurs, qu’il a reperdus en 2012. Il faut d’ailleurs s’arrêter sur un point: en 2012, Nicolas Sarkozy réussit à faire 27% des voix alors que Marine Le Pen obtient 17% des suffrages, soit 10 points de plus que son père en 2007. Cela montre que le président sortant, qui avait mené une campagne très à droite, gardait une grande capacité de rassemblement. Mais, au second tour, où il y a 2 millions de votes blancs pour seulement 1,4 million de voix d’écart entre François Hollande et Nicolas Sarkozy, on voit bien que le président sortant paie pour ne pas avoir tenu une partie de ses promesses de 2007. Appelez le programme de rassemblement de la droite comme vous le souhaitez: gaulliste, pompidolien, sarkozyste; la droite a besoin d’une personnalité assez forte pour la rassembler. Et d’une personnalité qui n’ait pas peur de se dire de droite. En 2017, François Fillon avait le programme ancré à droite mais pas la personnalité. Laurent Wauquiez ou François-Xavier Bellamy se heurtent au même obstacle: ils ont sans doute un positionnement qui permet de gagner mais, chacun dans son genre, ils n’ont pas le caractère d’un rassembleur. 

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