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Pourquoi la droite aurait tout à gagner à initier une contre-révolution blairiste
©ERIC FEFERBERG / AFP

Efficacité économique ET justice sociale

Comme la gauche anglo-saxonne fit sa conversion à l'économie de marché dans les années 1990 et 2000, la droite française pourrait avantageusement considérer la justice sociale comme son objectif prioritaire.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Dans le courant des années 1990 et 2000, la gauche anglo-saxonne, au travers de figures comme Tony Blair ou Bill Clinton, a proposé une conversion à l'économie de marché dans un objectif de justice sociale, dont les résultats s'avèrent aujourd’hui politiquement douteux. Dans quelle mesure la droite française pourrait-elle tirer parti d'une conversion opposée, reposant sur la priorité d'un objectif de justice sociale reposant sur une importante réflexion économique ?

Edouard Husson : La gauche semble avoir perdu son âme. La gauche libérale ne pense plus qu’à défendre les droits de ceux qui réussissent dans la mondialisation. Elle ne s’intéresse plus qu’aux droits de l’individu. Plus d’ambition pour la nation, la démocratie, la société. Oui, il y a eu un moment Clinton/Blair/Schröder. Mais c’était il y a vingt ans et la crise est passée par là. Barack Obama n’a pas changé la donne: il s’est contenté - c’était beaucoup - d’assurer les liquidités qu’il fallait à l’économie américaine et donc mondiale, vu le rôle-clé du dollar. Quant à la gauche européenne, elle n’en a tiré aucune conclusion: regardez Hollande, qui commence par se mettre à dos la finance par des déclarations démagogiques et qui se soumet ensuite à la loi d’airain des critères de Maastricht sans broncher. Emmanuel Macron est une sorte de Blair redivivus, encore plus caricatural - si cela est possible: la révolution blairiste dans la France de 2019 produit une catastrophe politique, qui révèle la crise sociale profonde. Et Jean-Luc Mélenchon est largement un dilettante: alors qu’il s’agirait de réveiller le sentiment de la solidarité nationale à gauche, il développe le populisme bobo, d’abord préoccupé de ne pas contrarier la révolution des mœurs dans les élites puis ne s’intéressant soudain plus qu’à l’écologie. 

Est-ce que, pour autant, la droite, est prête à franchir le pas d’une autre politique? Elle le devrait, ne serait-ce que par instinct politique: sa raison d’être est de combattre Macron et La République en Marche. Elle le devrait par patriotisme. Rien ne serait plus facile que de s’emparer des thèmes de la nation, de la protection, de la troisième révolution industrielle, de la revivification des territoires, de la modernisation de l’Etat. L’idée de la « réconciliation des deux nations », thème favori du conservatisme britannique de Benjamin Disraeli à Enoch Powell, tend les bras à une droite qui devrait commencer par se réconcilier elle-même: en restant scindée entre une « droite d’en haut » et une « droite d’en bas », LR vs RN, elle s’empêche de répondre aux besoins du pays, à l’urgence sociale. 

Michel Ruimy : La Droite est à la peine aujourd’hui car elle est en mal de boussole économique. La raison de cette crise résulte notamment d’une absence de travail de fond. Elle privilégie les individus aux idées.

Or, il lui faut proposer un programme plus abouti, une alternative aux actions d’Emmanuel Macron. Ses partisans doivent refonder la pensée de la Droite d’autant plus que ses ténors ne savent plus trop comment se démarquer et parler à l’opinion publique. En effet, hormis les questions régaliennes, les élus des Républicains font entendre une cacophonie qui les rend peu audibles et qui traduit une incapacité à parler d’une même voix, notamment sur l’économie. Le malaise des Républicains a ainsi été sensible sur les ordonnances sur le code du Travail, la réforme de l’ISF et celle de la SNCF.

Alors que M. Macron a sifflé le coup de sifflet final du bazar monstre du Grand Débat, les choses sérieuses vont commencer maintenant pour l’exécutif qui va devoir séparer le bon grain de l’ivraie parmi la multitude d’idées et de propositions. Une chance pour la Droite. Quitte à s'éloigner de la tonalité de la campagne présidentielle et de leur électorat traditionnel, quitte à irriter les « conservateurs », quitte à entamer leur crédibilité, plus que de parler de la nécessité de baisser la dépense publique, la Droite doit se rappeler que les Français retiennent d’abord les mesures qui sont douces à leurs oreilles, au risque de se voir qualifiée de « passéiste » face au « progressisme » de M. Macron.

Pour cela, il faut se rappeler la devise de Deng Xiaoping, Secrétaire du parti communiste chinois dans les années 1960. Il disait : « Peu importe qu’un chat soit rouge ou blanc. Ce qui compte, c’est qu’il attrape des souris ». Dans la même veine, la Droite se doit d’être plus pragmatique. Elle doit s’emparer des « bonnes idées » sans préjugé, qu’elles qu’en soient les origines idéologiques. Qu’est-ce qu’une « bonne idée » ? Une idée qui marche !

Cette refondation pourrait alors lui permettre d’acquérir une large audience publique et médiatique en proposant une autre voie qui pourrait faire son succès idéologique et électoral. Elle pourrait chercher à définir une nouvelle position politique abandonnant certaines idées traditionnelles et se tourner vers celles qui répondent à plus de « justice sociale ». Elle se situerait ainsi entre une droite néolibérale « devenue radicale » et une gauche sociale-démocrate « désormais conservatrice ».

En quoi les LR sont ils encore éloignés d'une telle réflexion? Quelles sont les sources historiques ou idéologiques qui pourraient leur permettre une telle conversion ? 

Edouard Husson : La réflexion est présente ici ou là. Mais l’abandon du gaullisme et du pompidolisme a complètement privé LR de la capacité à réfléchir, à comprendre le monde. Il y a juste un peu de renouveau grâce à la Manif Pour Tous et à la réflexion sur le conservatisme des mœurs. Mais ce n’est pas la reconnaissance de ce courant en donnant la tête de liste à Bellamy qui va changer la dynamique d’échec du parti. Laurent Wauquiez s’est fixé comme objectif d’atteindre 15% des voix avec une abstention qui sera sans doute à 50%. C’est-à-dire que le chef du premier parti d’opposition à l’Assemblée a pour ambition de rassembler 7,5% des inscrits. 

Le Brexit et l’élection de Trump devraient être l’occasion de redécouvrir la tradition politique du conservatisme anglo-américain. Il s’agit de protection commerciale, de politique sociale, de pragmatisme monétaire, de protection de l’environnement par les initiatives locales, de reconstitution des corps intermédiaires, de défense de la famille comme utile socialement, économiquement, d’investissement massif dans l’éducation, d’encouragement à l’entrepreneuriat. Il est essentiel de se déprendre du conservatisme autoritaire germanophone et centre-européen pour se ressourcer au conservatisme libéral anglo-saxon. La clé est la politique monétaire: le modèle allemand est malthusien; le modèle anglo-saxon est expansionniste, favorable à la créativité. On ne gouverne pas les Français en bridant leur esprit d’initiative par la restriction du crédit et l’obsession de l’équilibre budgétaire.

Sur quelles bases et réflexions économiques la droite de gouvernement pourrait-elle se reposer pour proposer une justice sociale « réaliste » comparativement aux propositions des partis situés aux extrêmes de la vie politique française ? Puisque les Français refusent les hausses d’impôts en pointant les gaspillages, dans quelle mesure la lutte contre ces gaspillages pourrait-elle permettre de justifier une refonte fiscale plus « juste » ?

Michel Ruimy : Les termes de « justice sociale »ont été souvent galvaudés au motif que cette locution serait une entrave à la liberté, au progrès économique. Derrière cette approche pointe la remise en cause de l’Etat providence.

La Droite doit s’inscrire en rupture avec l’idée que le pauvre est le premier responsable de sa situation. Elle doit apporter des solutions politiques à la refonte de l’État-providence, imposée par la mondialisation et par la transformation des contextes locaux, renouant ainsi par certains aspects avec la tradition « libérale sociale » du début du XXème siècle en Grande-Bretagne. Elle doit assumer une démarche faite, à la fois, de solidarité et d’exigence, qui ne nie pas la nécessité que les personnes concernées doivent se mobiliser pour se sortir de leurs difficultés, mais qui affirme aussi la responsabilité des pouvoirs publics et de la Société à leur égard.

Un des moyens pour y arriver serait, dans un premier temps, une refonte plus « juste » de la fiscalité. En effet, il reste peu d’impôts « progressifs » (on paye suivant ses revenus) tandis que les impôts « proportionnels » comme la CSG, la TVA (on paye le même taux quels que soient ses revenus) ne cessent de prendre une part de plus en plus importante. D’autre part, les « cadeaux fiscaux » se sont multipliés ces dernières années, et avec le gouvernement Macron, la suppression de l’ISF, l’imposition allégée et proportionnelle des revenus des actions (flat tax), la diminution de l’impôt sur les sociétés, la reconduction du CICE transformé en allègement de cotisations sociales, ont encore accentué le fait que l’impôt repose sur les plus pauvres et les classes moyennes tandis qu’il ne cesse d’être allégé pour les plus aisés, et les entreprises. En plus, l’allègement-suppression de la taxe d’habitation n’a pas été une réalité pour tout le monde, et n’a pas compensé cette aggravation des inégalités fiscales.

Mais attention, ce n’est pas le principe de l’impôt qu’il faut remettre en question mais la politique fiscale au profit des « plus fortunés ». La fiscalité est aujourd’hui de plus en plus injuste : les impôts indirects, comme la TVA, représentent presque la majorité des recettes fiscales de l’État. Or, ils pèsent proportionnellement plus sur le budget des ménages les plus pauvres ou sur celui des classes moyennes que sur le budget des plus riches. La raison ? Les pauvres et les classes moyennes consomment leurs revenus alors que les plus fortunés ne consomment pas tout leur revenu et en épargnent une grande partie.

La fiscalité est, de nos jours, le seul moyen de répartir les richesses entre les plus pauvres et les plus riches. Le rôle de l’impôt est triple : collecter des fonds pour le budget de l’État, redistribuer les richesses, orienter certains comportements de consommation. Ainsi, un système fiscal « juste » permet une redistribution des richesses, au contraire d’un système fiscal au service des entreprises et des plus fortunés qui accentue les inégalités. La protection sociale (RSA, minimum vieillesse etc.) permet elle aussi d’atténuer les inégalités. Mais ce sont d’abord les salaires versés qui sont à la base des inégalités plus ou moins importantes entre les travailleurs. Une réelle hausse du SMIC serait évidemment un premier pas pour organiser une vraie distribution des richesses et non l’attribution de primes. En 2018, environ 11,5 % des salariés étaient rémunérés au SMIC, soit près de 2 millions de personnes dont environ 60% de femmes.

En outre, il ne faut oublier la dimension intergénérationnelle de la justice sociale, notamment au travers du thème de l’écologie, question si présente dans le débat public contemporain. Il conviendrait de l’inclure dans ce programme comme un droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, principe figurant dans la Charte de l’environnement qui fait partie de notre bloc constitutionnel depuis 2005. Cet élargissement n’introduirait pas de contradiction avec les orientations des politiques publiques. Il les enrichirait et les renforcerait même probablement, tant les inégalités sociales et l’écologie entretiennent des rapports étroits.

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