Pourquoi la Chine croit plus au potentiel de croissance de l’Europe que nous (et ce qu’elle en profite pour nous rafler sous le nez)<!-- --> | Atlantico.fr
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Le dragon chinois a beaucoup d'appétit en ce qui concerne l'Europe.
Le dragon chinois a beaucoup d'appétit en ce qui concerne l'Europe.
©DR

Optimisme intéressé

Manuel Valls entame une visite en Chine de trois jours, dans un contexte où le géant asiatique investit en Europe, semblant anticiper une amélioration économique. Un optimisme et un potentiel financier qui peut permettre à ses entreprises d'obtenir de belles plus-values.

Jean-François Di Meglio

Jean-François Di Meglio

Jean-François Di Meglio est président de l'institut de recherche Asia Centre.

Ancien élève de l'École normale supérieure et de l'Université de Pékin, il enseigne par ailleurs à l'IEP Lyon, à l'Ecole Centrale Paris, à HEC ParisTech, à l'École des Mines Paris Tech et à Lille I.

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Jean-Joseph Boillot

Jean-Joseph Boillot

Jean-Joseph Boillot est agrégé de sciences économiques et sociales et Docteur en économie.

Il est spécialisé depuis les années 1980 sur l'Inde et l'Asie émergente et a été conseiller au ministère des Finances sur la plupart des grandes régions émergentes dans les années 1990. Il est aujourd'hui chercheur associé à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et coprésident du Euro-India Group (EIEBG).

Son dernier livre :  "Utopies made in monde, le sage et l'économiste" paru chez Odile Jacob en Avril 2021.  
Il est également l'auteur de "L'Inde ancienne au chevet de nos politiques. L'art de la gouvernance selon l'Arthashâstra", Editions du Félin, 2017.   et de "Chindiafrique : la Chine, l'Inde et l'Afrique feront le monde de demain" paru chez Odile Jacob en Janvier 2013.

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Atlantico : Le Premier ministre Manuel Valls entame une visite de trois jours en Chine. Le géant asiatique semble connaître un regain d'intérêt pour l'Europe, à l'instar de Li Ka-shing, première fortune d'Asie, qui réoriente une partie de ses investissements chez nous. Que représente aujourd'hui le marché européen pour la Chine ? Est-il réellement une source de croissance pour cette dernière ?

Jean-François Di Meglio : Le but premier de la Chine est de sécuriser des positions de marché et éventuellement de pouvoir à la fois baisser ses coûts d'implantation en Europe, monter en gamme en apprenant de nouvelles techniques de production et en acquérant les technologies, et à réduire ses coûts de logistique. Il y a aussi une grosse opportunité pour la Chine dans la période actuelle : la baisse de l'euro. Comme la monnaie européenne voit son cours baisser face au dollar, les dépenses chinoises apparaissent comme valorisées à un prix plus attractif. Je rappelle en effet que la monnaie chinoise est principalement indexée sur la devise américaine. Donc si l'euro baisse face au dollar, l'Europe devient plus attractive pour la Chine.

Lire également : La Chine en Afrique : Shenzhen à l’échelle d’un continent

Au-delà de ce raisonnement de base, il y a également beaucoup d'opportunisme dans les investissements chinois en Europe. Et à partir du moment où des affaires commencent à se faire, cela crée un climat de confiance auprès des investisseurs chinois. Il ne faut pas oublier enfin que sur les questions commerciales, l'Europe est toujours, et depuis longtemps, le premier partenaire commercial de Pékin devant les Etats-Unis. Ces derniers restent cependant le premier excédent commercial de la Chine, puisque l'Europe, elle, équilibre sa balance commerciale grâce à l'Allemagne qui est excédentaire.

Jean-Joseph Boillot : La Chine investit aussi massivement dans l'immobilier, dans le but de diversifier ses actifs. Elle profite largement de la baisse de l'euro qui lui ouvre la voie vers d'excellentes affaires. Après, est-ce que la Chine achète parce qu'elle anticipe une forte croissance ? Pas forcément. C'est comme quand vous achetez une action : ce que vous anticipez ce n'est pas la croissance de la société, c'est la plus-value de l'action. Et il ne faut pas surestimer non plus la présence de la Chine en Europe, par rapport à ce qu'elle essaie de faire en Afrique ou en Inde. Et si la Chine investit aussi des capitaux en Europe, c'est pour faire sortir des capitaux afin de ne pas nourrir une évaluation du yuan qu'elle veut éviter absolument. Il y a aussi une volonté de conquête de la puissance globale qui la pousse à faire ces investissements, pour avoir la surface internationale correspondant au rang qu'elle voudrait avoir.

Quelles armes la Chine a-t-elle pour s'imposer en Europe, un continent pourtant développé qui aurait, en principe, de quoi freiner cette expansion ? Peut-on dire que la Chine croit finalement plus en l'Europe... que l'Europe elle-même ?

Jean-François Di Meglio : Clairement. La Chine manque encore d'éléments qui nous semblent aujourd'hui acquis. Je pense notamment à la haute technologie ou à l'excellence dans les produits de luxe. Cela marque d'ailleurs une différence notable avec les relations commerciales de la Chine avec le reste du monde qui s'articulent surtout autour de la question des matières premières, que justement nous n'avons pas. Et ces technologies convoitées peuvent accompagner le développement économique chinois : je prendrai pour exemple une acquisition chinoise en Allemagne sur le secteur des télécommandes pour portières de voitures automatiques, qui est une technologie encore peu maîtrisée par les fabricants automobiles chinois. Ils multiplient les achats dans les moteurs marins et les bateaux de luxe en Italie, les marques prestigieuses comme Lanvin ou Marionnaud… Tout ce qui intéresse les Chinois est ce qu'ils n'ont pas et qui nécessite d'être alimenté en cash. Or, nous n'avons souvent plus de fonds à investir, tandis qu'eux sont loin d'avoir ce problème… Leur choix d'investir des montants élevés montre donc aussi une croyance plus grande des Chinois que les Européens en ces secteurs, à quoi s'ajoute sur certaines acquisitions une logique de "trophées" comme le Club Med, Pierre et Vacances etc.

Jean-Joseph Boillot : Les pays développés ont moins de perspectives de croissance aux yeux de la Chine que les pays émergents, mais être présent en Europe correspond à une stratégie de puissance, et, au plan économique, la Chine croit beaucoup aux possibilités de plus-values anticipées en Europe. On voit bien d'ailleurs que les actifs ne sont pas chers en France actuellement… Et les Chinois pensent que l'on va aller vers une parité un pour un entre l'euro et le dollar, dans une zone qui est, aux yeux de la Chine, moins à risques que les autres régions du monde.

Quels atouts a la Chine pour s'imposer sur les marchés qu'elle vise ? Et comment se positionnent les entreprises européennes sur lesdits segments d'activité ?

Jean-François Di Meglio : A l'origine, les entreprises européennes sont allées en Chine pour se positionner et comprendre le marché de l'équipement dans ce pays, et par peur de se faire dépasser. Les choses ont même évolué et maintenant la Chine sert souvent de base de redéploiement des produits dans toute la région, comme le fait Airbus ou Alstom. Ceci dit, il y eut aussi beaucoup de déception et une circonspection beaucoup plus forte. Les investissements plafonnent maintenant à 100 milliards d'euros.  Sur le cas inverse, lorsque c'est la Chine qui investit en Europe, les entreprises chinoises ont pour elles les moyens qu'elles peuvent investir et qui sont potentiellement colossaux. Mais s'implanter en Europe demande aussi une excellente connaissance du terrain et pour l'instant, je dois dire, ils en sont encore loin.

Jean-Joseph Boillot : Plusieurs entreprises françaises considèrent aussi qu'avoir un partenaire chinois reste le meilleur moyen de pouvoir ensuite s'implanter en Chine. Les entreprises françaises rachetées sont rarement de petite taille, et elles présentent en outre un faible risque et un effet de levier sur le pouvoir politique français.

L'Europe a-t-elle été naïve jusque-là par rapport à l'intrusion économique de la Chine sur le continent ? Et l'est-elle toujours face à cette nouvelle volonté chinoise ?

Jean-François Di Meglio : C'est un peu le dilemme dans lequel nous sommes, et que l'on voit bien en France. Il y a à la fois le souhait d'avoir un effet de levier sur l'économie française en s'appuyant sur des investisseurs qui ont les moyens, et la peur des conséquences d'une venue massive. Nous sommes partagés bien que nous semblions nous mettre dans une optique consistant à aller de l'avant, comme le montre le voyage du Premier ministre. Mais, effectivement, il y a un discours officiel d'ouverture, qui se crispe rapidement quand l'opinion publique se manifeste. On a beaucoup de mal à faire le lien entre les deux. Cependant, il ne se dit pas la même chose dans les assemblées où les responsables sont souvent au courant, et savent l'équilibre de positionnement à trouver face aux Chinois, sans pour autant qu'une posture claire ne soit communiquée. Il en résulte un manque de culture et un manque de confiance, qu'il faut briser pour pouvoir fixer un cap clair. Il faut sortir de cette schizophrénie.

Jean-Joseph Boillot : Je pense hélas que l'Europe n'a ni la prétention, ni l'objectif ni la volonté d'être une superpuissance. Donc, la capacité de neutraliser la Chine en ressort affaiblie. Aux Etats-Unis, des investissements stratégiques peuvent, dans des moments de tensions avec un autre géant, se traduire véritablement par des réponses qui dépassent le cadre économique. L'Europe, à côté, est un "ventre mou". De fait, le capitalisme français, à côté de la Chine, prend parfois des airs de "béni oui-oui", il suffit de regarder le cas de Peugeot pour s'en convaincre…

Quels peuvent être, de manière moins visible, les projets que la Chine peut vouloir mettre en place en s'appuyant sur les promesses d'un marché européen ? Y a-t-il une logique plus construite derrière des investissements opportunistes ?

Jean-François Di Meglio : C'est une question qui est souvent posée, mais il me semble que l'on ne peut pas encore parler de stratégie coordonnée des entreprises chinoises en Europe. Bien sûr, il y a des secteurs d'intérêts communs : on peut ainsi penser au rachat de la combinaison aéroport de Toulouse/Club Med/Pierre et Vacances. Il y aurait aussi un gain pour les entreprises chinoises à mettre en place des plateformes logistiques. Mais je ne suis pas certain malgré tout qu'il y ait une stratégie pensée. Pour moi, on est encore majoritairement dans l'opportunisme. Les Chinois s'observent entre eux mais ils ne se parlent pas forcément, d'autant plus qu'ils sont encore dans une relative zone d'inconfort en Europe. Pour envisager un meilleur dialogue entre les entreprises chinoises, il faudrait que le volume d'affaires qui se font en Europe augmente encore. Et il ne faut pas oublier que malgré les montants de cash dont la Chine dispose, le pays pratique un contrôle des capitaux qui ralentit considérablement les démarches. La Chine gagnerait dans son positionnement en Europe à s'assouplir de ce côté-là  

Cela peut-il malgré tout profiter aux Etats européens ? Quels arguments économiques Manuel Valls peut-il typiquement avancer au cours de son séjour, sans remettre en cause notre niveau de protection ?

Jean-François Di Meglio : Le mot classique en la matière c'est "gagnant-gagnant". C'est l'exemple typique du fonds créé par la BPI et Cathay Capital qui vise à orienter les fonds chinois vers certaines PME, mais tout en gardant un contrôle puisque ce sont des opérations qui restent très "officielles". Après, les barrières psychologiques sont plus compliquées car la France doit malgré tout apparaître comme un pays libéral, ce qu'il n'est pas, pour rester attractif. Et pour l'instant nous sommes loin de renvoyer cette image entre les magasins fermés le dimanche, les 35 heures… Là encore, on est dans une certaine schizophrénie face à laquelle Manuel Valls va devoir apporter des réponses car il sera fortement sollicité.

La Chine s'est dite prête à soutenir l'économie russe en berne. Quel intérêt a-t-elle à se rapprocher ainsi de la Russie, qui représente aussi pour elle un concurrent de taille ? Rafle-t-elle la place laissée par les tensions de l'embargo européen ?

Jean-François Di Meglio : Le grand défi des Chinois, c'est d'équilibrer leurs alliances et de ne pas défendre un seul axe. Ils ont là l'occasion de récupérer un partenaire délaissé par l'Europe. L'accord gazier entre la Chine et la Russie est à ce titre éloquent : cela faisait vingt ans qu'il y avait une négociation complexe entre les deux parties, qui se trouve finalement résolue, avec des conditions plutôt favorables à la Chine, et dont une partie se traite en monnaie chinoise. Quand il existe une bonne occasion d'équilibrer favorablement les relations internationales, les Chinois n'hésitent pas à s'en saisir. 

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