Pourquoi l’explosion du nombre de morts par overdose avec la pandémie aux Etats-Unis devrait nous inquiéter aussi ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les morts par overdose aux Etats-Unis ont connu une forte hausse en 2020.
Les morts par overdose aux Etats-Unis ont connu une forte hausse en 2020.
©JOHN MOORE / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Danger

Des dizaines de milliers d’Américains sont morts d'overdose au courant de l'année 2020. Si cette problématique n'est pas nouvelle, la pandémie de Covid-19 pourrait avoir aggravé la situation. Et la France n'est pas à l'abri d'un tel danger.

Jean Costentin

Jean Costentin

Jean Costentin est membre des Académies Nationales de Médecine et de Pharmacie. Professeur en pharmacologie à la faculté de Rouen, il dirige une unité de recherche de neuropsychopharmacologie associée au CNRS. Président du Centre National de prévention, d'études et de recherches en toxicomanie, il a publié en 2006 Halte au cannabis !, destiné au grand public.

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Atlantico : Des dizaines de milliers d’Américains sont morts d'overdose au courant de l'année 2020. La responsabilité de la pandémie est pointée du doigt. Quels sont les facteurs  (stress, anxiété, solitude, etc.) qui peuvent avoir entraîné ce lourd bilan ? Les drogues actuellement en circulation peuvent-elles avoir une responsabilité dans cette aggravation ? 

Pr. Jean Costentin : L’an passé aux Etats-Unis, ce sont, à ma connaissance, 80.000 personnes qui seraient mortes par overdoses/surdoses de substances opiacées (i.e. issues de l’opium comme la morphine) ou opioïdes (i.e.  de  molécules de synthèse chimique mimant les effets des opiacés, tel le fentanyl). Ces décès y sont en nombre bien  supérieur à ceux des accidents de la route ajoutés aux victimes des armes à feu, qui défraient pourtant la chronique.  Ces chiffres ne sont pas apparus brutalement, mais sur plus d’une demi douzaine d’années. Ainsi, ils ne sont pas imputables majoritairement aux conséquences de la pandémie de la Covid-19 qui, néanmoins, a pu les  majorer.       

Les molécules en cause sont : pour les unes des médicaments prescrits et utilisés comme tels au départ, et pour les autres des drogues vendues par des dealers telle l’héroïne ou des dérivés chimiques des anilinopipéridines, les « fentanyls ». Ce sont les deux voies d’entrée dans cette addiction fatale, l’une « thérapeutique », l’autre « récréative ».

A l’origine de cette première voie, il s’agit de patients ayant des douleurs plus ou moins intenses, auxquels leurs médecins, pour être rapidement très efficaces, prescrivent des antalgiques forts, au-delà de l’aspirine, du paracétamol, des anti inflammatoires non stéroïdiens, ou encore des corticoïdes. C’est alors la codéine ou le tramadol, le dextropropoxyphène = Di-antalvic®, Propofan® ; la France a retiré ce dernier médicament du marché depuis une demi douzaine d’années. Prescrits à des doses et à des fréquences élevées, ils induisent une tolérance, c’est à dire que leur effet diminue quand leur administration se prolonge. Le patient est alors incité à accroître la dose et la fréquence d’administration. Il y a des douleurs dont la cause a pu disparaître ou qui ont pu régresser mais qui, par le développement d’une dépendance, d’une addiction, font croire au patient qu’il a toujours besoin d’être traité. L’effet s’amenuisant, il presse le médecin de lui prescrire un médicament plus efficace. Aux produits précédents  (classés par l’organisation mondiale de la santé/O.M.S. comme produits du palier 2) vont être substitués des produits du palier 3 ; tels la morphine, l’oxycodone, la méthadone, la buprénorphine, la péthidine, le fentanyl… Ces médicaments devraient être réservés (hormis pour une brève durée) aux soins palliatifs, à des patients dont l’espérance de vie est brève. Sinon l’addiction s’installe, avec le besoin tyrannique de consommer ces médicaments devenus des drogues. Privé de leur consommation le sujet voit ses douleurs s’exacerber, d’autres douleurs apparaissent, tandis que surviennent des manifestations, en fait des troubles, qui sont à l’opposé des effets que développaient ces agents morphiniques : dilatation pupillaire avec intolérance à la lumière, là où le morphinique contractait la pupille ; sudation là ou le morphinique la tarissait ; irritabilité, là où le morphinique rendait plus sociable ; accélération du péristaltisme intestinal là où le morphinique était constipant ; multiplication des passages aux urinoirs alors que le morphinique tendait à induire une rétention d’urine ; humeur triste, dépressive là où le morphinique améliorait l’humeur ; une hypersensibilité à la douleur, à la place de l’analgésie….Bref  c’est le passage de Charybde en Silla.

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Si les chiffres français ne sont pas connus, peut-on anticiper un phénomène similaire en France ? En a-t-on certains indices ? 

Les chiffres français sont connus grâce à l’enquête DRAMES ; traduisez : décès en relation avec l’abus de médicaments et de  substances  qui, pour l’année 2019, dénombre   503 décès par overdoses, ; ce qui fait de nous les bons élèves de la classe européenne. La crise américaine  des opioïdes  ne nous affecte donc pas.  Les  médecins français sont conscient de la forte propension de nos concitoyens à s’adonner aux drogues et à certains psychotropes ; ainsi nous battons des records internationaux en matière de consommation de tabac, d’alcool, de cannabis, d’hypnotiques, de benzodiazépines, d’antidépresseurs. Cela pourraît être à l’origine de leur plus grande pusillanimité,  disons de leur plus grande prudence dans leurs prescriptions que les médecins américains. Toujours prompts à nous inciter à copier les U.S.A. des journalistes nationaux ont reproché au corps médical français d’être avare du recours aux analgésiques puissants, allant jusqu’à lui reprocher d’être insensible aux douleurs des patients. Heureusement la majorité des médecins français a su résister à cette provocation. D’ailleurs, les provocateurs d’hier sont devenus discrets, essayant de faire oublier leurs errements.  Incorrigibles, ils vitupèrent maintenant, sans disposer des informations pertinentes pour la légalisation du cannabis dit « thérapeutique ». 

C’est peut-être aussi parce que les français seraient culturellement plus « résistants à la douleur ».

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Il est à noter encore que la pression concurrentielle entre praticiens pourrait être en cause. Le déficit des effectifs médicaux en France, qui culmine dans les « déserts médicaux », atténue la démagogie qui pollue aux U.S.A. la pratique médicale pour capter des patients.

L’aura médicale, même malmenée par la gratuité croissante des soins, conserve au praticien une certaine autorité, qui lui permet de résister aux sollicitations de plus en plus fortes de sa patientèle.

Ce pic constaté en 2020  est il conjoncturel ou doit on s'attendre à ce que la situation continue de s'aggraver post pandémie ?

La préservation de notre Nation aux débordements de l’utilisation des antalgiques constatés en Amérique, est précaire. Si nous n’y prenons garde nous pourrions, comme en d’autres matières, copier ce mauvais exemple américain.

Notre tolérance à la douleur s’amoindrit : « Prendre sur soi » ; supporter ;  adhérer au précepte formulé par Albert Camus « un Homme ça s’empêche » ; ne sont plus trop à la mode.

Très tôt  nous opposons  à chacun des maux de nos enfant un médicament, instaurant chez eux le stéréotype : à chaque trouble-une réponse médicamenteuse.

 Notre prémunition contre les drogues s’érode. Les français, exceptionnellement désinformés, seraient maintenant favorables en majorité au cannabis dit « thérapeutique » ; tandis que s’accroit le nombre de ceux  qui souhaitent sa légalisation « à des fins dites récréatives ».

Le « jouir sans entrave » soixante-huitard continue, sans faiblir, de contaminer nos comportements.

Comme patients nous sommes de plus en plus impatients et requérants. Auprès des praticiens le « j’aimerais », devient de plus en plus souvent : « je veux » ; faisant craindre qu’il s’exprime bientôt « j’exige» ! 

En conclusion, si nous ne sommes pas atteints par cette crise des opioïdes, nous pourrions le devenir si nous n’y veillons pas.

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