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Pourquoi l’Europe peut beaucoup plus se permettre de tenir tête à la Chine qu’elle ne le croit
©LUDOVIC MARIN / AFP

Menace économique

La crise sanitaire du coronavirus pourrait amener plusieurs pays, dont la France, à repenser plusieurs aspects du modèle économique européen comme la délocalisation de certaines industries essentielles en Asie. Cela va-t-il de réduire l'influence économique de la Chine envers l'UE ?

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Atlantico.fr : La Chine brandit souvent la menace économique face aux velléités européennes. Sachant que le commerce avec elle ne représentait en 2018 que 5,5% des échanges totaux des pays de l'Union, sommes-nous réellement si faibles que cela ?

Jean-Paul Betbeze : « Si l’Union Européenne et plus encore la zone euro n’existaient pas » : ce qui se passe actuellement avec le COVID-19 montre à quel point elles sont indispensables dans ce monde de grandes structures, de monstres même, États-Unis contre Chine. De manière générale, on sait que les échanges mondiaux ne se font jamais sans rapports de force, qu’il s’agisse de biens et services et plus encore d’achats d’entreprises. Mais c’est plus que jamais vrai aujourd’hui. 

C’est bien pourquoi des instances internationales mettent au point des normes, que l’OMC existe et que se développent des unions douanières. Elles sont en fait des systèmes de régulation pour passer les frontières, sachant que chacun doit être au fait des conditions « avant » l’échange, pour ne pas avoir de problèmes « après ». C’est bien ce qui se passe avec l’Union Européenne et ce que l’on nomme « le Grand Marché » : un ensemble de règles, pour mieux échanger ensemble, au sein de l’union et se garantir autant que possible « des autres ». Ce n’est donc pas une surprise si tous les pays de l’Union échangent entre eux au moins la moitié de leurs exportations et 5,5% pour la Chine, donc si, compte tenu de l’importance de ces achats internes, le « poids » de la Chine dans les exportations paraît faible. Mais ceci ne dit rien des importations chinoises dans l’Union : en biens, on parle de près de 20%, contre 17% venant des États-Unis.

Ce chiffre de 5,5% ne veut donc pas dire grand-chose pour décrire le potentiel du marché chinois, il cache le problème. Le vrai problème vient du fait que la Chine a investi au moins 150 milliards d’euros depuis 2010 en Europe, notamment en Grèce, au Portugal et en Italie. Le Parlement européen a ainsi approuvé un cadre de contrôle des investissements étrangers dans l'Union dans divers secteurs stratégiques (intelligence artificielle, télécoms, robotique...). En plus, quatorze pays se sont dotés de dispositifs d’étude et durcissent leurs législations (Allemagne, France). Le vrai problème est donc celui de la dissymétrie et des difficultés d’investir en Chine, pas du 5,5% des échanges de biens et de services qui ne rend pas compte des enjeux.

La crise sanitaire nous amène à repenser plusieurs aspects du modèle économique européen comme la délocalisation de certaines industries essentielles. Cela peut-il nous permettre de réduire l'influence économique que la Chine exerce sur nous ?

La crise sanitaire va faire modifier les chaînes de production qui se sont développées depuis vingt ans, avec l’influence de la mondialisation asiatique, notamment chinoise. Mais il serait faux de penser que cette évolution s’est faite en liaison avec une volonté chinoise : ce sont en fait les États-Unis (et Bill Clinton) qui ont ouvert l’OMC à la Chine. Eux qui ont été trop heureux de lui faire faire des produits de qualité croissante et pas cher, d’autant que la Chine recyclait ses excédents commerciaux en achetant des bons du trésor américain. Mais, avec le temps, la Chine est passée du statut de fournisseur qui faisait crédit à celui de concurrent, à deux de voleur de techniques, de menace, de rival enfin. La Chine dépose bien plus de brevets que les États-Unis, bien sûr autour de ses nouvelles technologies et des « routes de la soie ». C’est tout sauf une surprise : la Chine a toujours publié sa stratégie industrielle et géopolitique. 

Dans ce contexte, les discussions au sein d’une Union européenne qui s’inquiète de « champions européens » sont (au moins) d’une grande naïveté, sous le prétexte de défendre « la concurrence libre et non faussée » dans le « Grand Marché ». Car c’est au niveau mondial que se calculent désormais les parts de marché, que se font les stratégies. Les « champions européens » sont déjà présents aux États-Unis, ils ne peuvent se développer sans présence en Chine, pour être mondiaux.

Alors des travaux vont être nécessaires, au niveau de la zone euro, pour déterminer les activités stratégiques, dans les domaines de l’information et de la surveillance, de l’armement et de secteurs et entreprises clefs. Mais, encore une fois, ceci passera par des entreprises plus puissantes dans un Marché plus intégré. Avec beaucoup de courage pour changer les choses, compte tenu des enjeux : la Chine est  la deuxième puissance du monde et sera peut-être la première dans dix ou vingt ans.

Le marché asiatique peut-il offrir aux pays européens d'autres opportunités que le marché chinois et ainsi réduire notre dépendance à celui-ci.

Oui, quantitativement, mais ce ne pourra même pas être assez. Surtout, il ne faut pas rêver. Car si les situations se tendent, les pressions des entreprises chinoises seront évidemment plus fortes sur les entreprises vietnamiennes ou cambodgiennes, sans compter les pressions politiques directes ! Et on trouvera les mêmes rapports de force du côté américain ! 

En réalité, une bonne part de la dépendance européenne vis-à-vis de la Chine se défera quand les complexités des chaînes de production seront revues. Quand viendra l’idée de réduire les allées et venues, de créer des entités plus puissantes et intégrées, qu’il s’agisse d’automobiles, de santé ou d’alimentation. Et pour les Apple ? Ne peut-on produire l’équivalent, sans la marge considérable qui va avec la marque mythique ? Il ne s’agit pas ici de décroissance, ni de croissance « antichoc », puisque ceci n’a pas de sens. Il s’agit de croissance résiliente au sein de la zone euro, « croissance résiliente » voulant dire : au moins autant que celles de la Chine ou des Etats-Unis. Des experts en résilience vont bientôt naître, après ceux de la RSE : Responsabilité Sociale et Environnementale des Entreprises et les marchés financiers vont y prêter attention. Il serait scandaleux de dire que le COVID-19 nous donne des leçons, avec son cortège de drames, mais il aura au moins permis de voir la fragilité de l’édifice que nous avons construit. Il reste à avoir le courage de la résilience, tout au moins de la résilience en termes relatifs, pour le consolider. Le COVID-19 nous ouvre donc une démarche, pour construire une voie. Il sera donc difficile, devant la future crise, que nous n’avons pas compris son message.

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