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Pourquoi l’économie Uber est vraiment l’économie des (trop) bas salaires
©PAU BARRENA / AFP

Paupérisation ?

Alors que la société Uber avançait des chiffres de revenus horaires compris entre 20,19 $ et 21,07 $ par heure pour ses chauffeurs aux Etats-Unis, d’autres études ont pu permettre de mettre en évidence que dans la plupart des cas, ces revenus étaient inférieurs au salaire minimum local.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : D’un maillon de la nouvelle économie à une simple innovation de contournement des règles sociales, quel est véritablement le modèle UBER, notamment concernant les revenus de ses chauffeurs ? 

Michel Ruimy : Selon une étude parue en 2016, un chauffeur Uber gagnerait environ 20 euros brut de l'heure auxquels il faut retirer 40 à 50% de frais (leasing de la voiture, charges sociales…). Ceci ramène la rémunération à environ 10 euros brut de l’heure, à laquelle il faut soustraire les cotisations salariales, ce qui donne un chiffre presque équivalent voire inférieure au SMIC horaire.

Il faut bien comprendre qu’au-delà de toute apparence, Uber n’échappe pas aux lois de la concurrence et qu’elle n’est pas en situation de monopole. En effet, du côté de l’offre, à la différence d’Amazon, par exemple, qui a investi des dizaines de milliards de dollars en actifs tangibles (stocks, entrepôts…), il suffit de développer une application pour devenir un concurrent local d’Uber. Ses principaux concurrents se nomment Lyft aux États-Unis et Didi Chuxing en Chine. De ce fait, dans la plupart des villes, ces « apps » se concurrencent sur le temps de travail des mêmes chauffeurs et sur le porte-monnaie des mêmes passagers. Du côté de la demande - les clients -, les « switching costs » sont très faibles : il n’y a qu’à se connecter à une autre application pour changer de plate-forme. Le business de l’intermédiation entre chauffeurs et passagers ne présente donc pas de barrières à l’entrée très élevées. 

Dans ce contexte, il est difficile à Uber de dégager des profits sans sacrifier des parts de marché, la qualité de service... car la compagnie doit aussi faire face à des frais considérables : publicité, relations avec le public, avocats qui la défendent contre les concurrents et les régulateurs car l’activité est très souvent illicite… 

Son problème n’est pas un problème de business model mais une question de stratégie. Plus précisément, d’avantage stratégique décisif. En effet, sur chaque trajet, le chauffeur conserve environ 80% du montant de la course avec lequel il doit payer les frais (essence, péages, maintenance du véhicule…) et Uber, une commission de 20%. La conquête effrénée de parts de marché se traduit par des pertes abyssales qu’Uber finance en faisant appel à des investisseurs privés car, pour accroître son chiffre d’affaires, elle n’a que deux alternatives : augmenter ses tarifs - option difficile à envisager dans un univers concurrentiel - ou réduire ses frais, notamment les cotisations patronales, et accroître ses commissions sur les courses. C’est pourquoi, il faut que ses chauffeurs optent pour un statut d’« indépendant ». 

À l’avenir, Uber perdra les avantages du premier entrant. La concurrence, tant pour les clients que pour les chauffeurs, tirera les marges vers le bas comme dans tout métier concurrentiel. Le mieux qu’elle puisse espérer est d’être, à terme, un acteur critique du secteur comme Auchan ou Carrefour dans la grande distribution. De plus, avec les voitures autonomes, il n’y a aucune raison de penser qu’Uber sera avantagé par rapport à ceux qui développent de nouvelles technologies. On peut même envisager que sa base installée sera un lourd handicap par rapport à de nouveaux entrants qui n’auront pas à composer avec des dizaines de milliers de chauffeurs. 

En France, le salaire moyen d’un chauffeur UBER serait de 1 700 euros par mois pour des semaines de 60 heures, une semaine de 40 heures entraînant des revenus inférieurs à 1 100 euros (alors que le SMIC mensuel net pour 35 heures est de 1 188 euros environ). Quelle leçon peut-on en tirer sur le niveau du SMIC français et sur son effet sur l’économie ? 

En 2015, le salaire net moyen mensuel - en équivalent temps plein - atteignait 2 250 euros en 2015, le salaire médian était proche de 1 800 euros c’est-à-dire 50% des salariés gagnent plus, l'autre moitié percevant moins que 1 800 euros, et le SMIC net se situait à environ 1 100 euros. En bas de l’échelle, les 10% de salariés les moins bien rémunérés, toujours en équivalent temps plein, ont perçu un salaire inférieur à 1 200 euros. En haut de l’échelle, les 10% les mieux rémunérés ont gagné au moins 3 650 euros et les 1% les plus rémunérés au moins 8 200 euros.

Le rôle du SMIC est de garantir un niveau de salaire minimum. On voit donc que son niveau n’est pas sans incidence. Son objectif est cependant altéré par deux limites : le précariat (rémunération moindre du fait d’un temps partiel) et l’individualisation du salaire alors que le niveau de vie est familial. 

Au plan économique, avec une augmentation du SMIC, les entreprises plus pénalisées sont les PME et les TPE dont environ 25% de leurs effectifs sont rémunérés au SMIC (contre moins de 5% dans les grands groupes). Il convient toutefois de relativiser cet impact sur l’économie, notamment en termes de compétitivité, car une grande part des salariés payés au SMIC travaillent dans des secteurs non exposés à la concurrence internationale (restauration, hôtellerie, bâtiment, services à la personne, distribution). Il n’en demeure pas moins que, compte tenu des marges très faibles dégagées par les TPE, cet impact est important pour elles et la tentation est forte de limiter les embauches.

Concernant les salaires, une hausse du SMIC se diffuse, en théorie, mécaniquement sur les salaires les plus proches, jusqu’à 1,5 fois le SMIC. Comme la majorité des employeurs ne peuvent pas élever leur grille salariale, le nombre de « smicards » augmente. Au fil des revalorisations, le nombre de Français rémunérés au salaire minimum est passé de 8% en 1993 à plus de 15% aujourd’hui. Ceci signifie que la distribution des salaires est totalement comprimée vers le bas.

Enfin, une hausse du salaire minimum de 1% entraînerait la destruction de 1,5% des emplois payés à ce niveau, soit entre 15 000 et 25 000 emplois perdus. Les jeunes et les moins qualifiés seraient les plus affectés car ils entrent en concurrence directe avec des profils plus diplômés, qui en raison de la situation économique acceptent des postes au SMIC.

On voit donc que ce revenu minimum n’a pas vocation à être un outil de lutte contre la pauvreté. Toutefois, dans un contexte de recul de l’État et de la redistribution, la question d’un salaire minimum comme moyen de lutter contre la pauvreté va revenir. 

Quels sont les autres exemples de sociétés ou modèles parfois perçus comme étant le fruit d’une nouvelle économie qui seraient, en réalité, plus le résultat d’une compétition sur les prix / coûts que réellement celui de l’innovation ?

De nombreuses entreprises ont développé un business model de plateforme qui réunit producteur et consommateur dans un même environnement. Ce modèle se distingue du « tuyau » traditionnel où la firme produit un service qu’elle vend ensuite au client. Ainsi, Blablacar met en relation des conducteurs non professionnels et des voyageurs pour des trajets de moyenne à longue distance. Uber met en relation des conducteurs, professionnels ou non, avec des voyageurs, majoritairement sur des trajets de courte distance. La fréquentation du premier a atteint les 10 millions de voyageurs en quelques années. Le second réalise 150 000 courses par jour dans 45 pays. Par ailleurs, Airbnb, qui met en relation hébergeurs particuliers et touristes, est déjà le premier hôtelier du monde en nombre de chambres offertes.

Ce type de modèle s’est fortement répandu avec les nouvelles technologies. Le web permet le contact direct avec l’utilisateur final et le producteur (désintermédiation), en dérivant les intermédiaires traditionnels. Le smartphone et le GPS permettent la géolocalisation en temps réel et l’identification facile. Les algorithmes optimisent le rapprochement offre - demande, guident l’internaute et fixent le tarif optimal. La plateforme crée ainsi un « environnement convivial » pour la mise en relation en apportant les fonctionnalités nécessaires à l’échange de valeur entre particuliers ou professionnels.

Mais ceci ne suffit pas. Le pari de faire voyager ensemble des inconnus, louer sa maison à un étranger… n’est pas du même ordre que celui de vendre son vélo ou « tchater » avec ses amis. Pour rencontrer le succès, Blablacar, Uber, Airbnb… ont dû créer des fonctionnalités originales : changer la manière de produire et de consommer le service, valider et contrôler celui-ci (notations, commentaires avec la nécessité d’une modération humaine ou algorithmique), capacité à passer aux rendements d’échelle (exigence de faibles coûts marginaux). Une fois atteinte la masse critique, la plateforme cumule les avantages d’une offre et d’un marché abondant. La mise en relation s’améliore grâce aux données captées et valorisées et, au final, la firme bénéficie des « effets réseau ». Les profits et la valeur de l’entreprise augmentent alors sensiblement.

Mais, au final, quel que soit le secteur, dans le contexte actuel de capitalisme financier, la motivation des entreprises reste toujours la recherche d’un profit de plus en plus élevé qui passe par la maîtrise et la minimisation des coûts notamment salariaux. En d’autres termes, une part grandissante de la valeur ajoutée est consacrée aux dividendes. Il y a de nombreux débats à ce sujet. Si ce phénomène se retrouve dans d’autres pays, cela ne signifie pas, pour autant, qu’il s’agit d’une bonne chose. Il s’agit surtout d’une question plus générale, celle du financement et de la rémunération de l’activité.

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