Pourquoi l’arme fatale des banques centrales pour contrer crises et récession n’a pas perdu brutalement de son efficacité contrairement à ce qui se répète<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Pourquoi l’arme fatale des banques centrales pour contrer crises et récession n’a pas perdu brutalement de son efficacité  contrairement à ce qui se répète
©Reuters

Nus face à la crise ?

Une cartouche a donc été grillée pour un effet quasi nul. Si la plupart des économistes évoquent un « choc exogène » passager, la crise économique qui s’annonce a des causes bien plus profondes.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

Voir la bio »

Atlantico: Que peut-on peut dire de la politique monétaire face au coronavirus ? Cette crise peut-elle être résolue par des politiques monétaires ?

Mathieu Mucherie: Le premier point, c'est que normalement, on est dans une configuration particulière que l'on n'a pas connu depuis très longtemps et c'est pour cela que les marchés ont du mal à appréhender cette histoire de coronavirus. Mais c’est la première fois que nous sommes dans un type de crise où la politique monétaire ne peut pas tout. Le fait que la politique monétaire ne puisse pas tout, cela nous l’est dit à tort et à travers en permanence et depuis des années, mais en réalité sur des crises nominales, en effet, la politique monétaire peut à peu près tout. Face à une déflation, la politique monétaire est centrale. Face à une crise bancaire, la politique monétaire peu faire beaucoup choses. Face à une crise de japonisation, la politique monétaire est cardinale. Face à une crise créée par Jean-Claude Trichet, la politique monétaire est totalement indispensable etc. Or, très paradoxalement, on se retrouve face à un choc réel – non plus un choc nominal -, qui n'est pas seulement qu’un choc de demande mais aussi un choc d'offre. Et donc là, normalement, nous sommes dans une configuration où la politique monétaire ne peut pas tout. Et c'est très précisément évidemment au moment où l’on dit cela, que tous les acteurs se mettent à trop attendre alors qu'ils n'ont pas attendu assez depuis quarante ans. Ceci étant, nous avons toujours les mêmes qui nous disent que la politique monétaire est à court de munitions, que le banquier central ne peut plus faire grand-chose, qui nous rechante la même chanson qu’ils nous ont chanté à tort depuis quarante ans déjà. Le problème est qu’ils vont un peu loin en besogne car il est vrai que la politique ne peut pas tout dans ce type de crises - elle ne peut pas créer des masses, des vaccins etc. – mais elle peut quand même résorber une partie du choc demande et peut aussi faire de la câlinothérapie des marchés financiers par exemple. En bref, la politique monétaire peut agir. Et d'ailleurs on voit bien qu’elle agit puisque concrètement par exemple, le fait que la Fed décide de faire quelque chose depuis quelques jours alors que la BCE ne fait rien, explique pourquoi l'euro dollar qui était à 1,08 est maintenant à 1,14 et que si la BCE ne fait rien dans les 72 heures, il sera à 1,18.  On voit que la politique monétaire ne peut pas tout certes, mais une mauvaise politique monétaire comme celle que nous avons en zone euro par exemple peut aggraver le mal. C'est- à-dire que nous allons nous coltiner un problème de taux de change en plus du problème de commerce international, du problème de manque de demande agrégée en zone euro et du problème italien. En plus du coronavirus, nous allons avoir une crise de taux de change trop cher en zone euro parce que nous n'aurons rien changé en politique monétaire.

Que peut faire la politique monétaire d’utile, concrètement ?

Ce qui est certain, c'est que si nous prenons l’exemple de la BCE, elle peut faire beaucoup. Evidemment, pour des raisons de politique interne, des raisons non avouables, des raisons germaniques, elle ne fera pas grand-chose. Mais elle pourrait faire. Si nous n'avions pas de surmoi germanique, si nous n'avions pas la Bundesbank constamment derrière elle, elle pourrait faire beaucoup. La première chose qu'elle pourrait faire c'est d’acheter plus d'actifs et surtout le faire avec plus d'engagement, avec plus d'enthousiasme. Si l’on achète des actifs, quelque part, on fluidifie les marchés financiers, on leur donne une sorte d’impression qu’il y a un pilote dans l'avion, en bref on évite d’avoir une crise financière en plus d’une crise de coronavirus. La deuxième chose c'est que nous pouvons encore baisser les taux d'intérêts. Personnellement, cela ne me choque pas du tout d'avoir des taux d'intérêts négatifs, voire très négatifs. Ce qui est vraiment désolant en finance, c'est d'avoir une inversion de la pente de la courbe des taux, mais avoir des taux nominaux très négatifs, cela ne me chagrine pas. De toute façon, il n’y a aucun risque puisqu’il n'y a pas d'inflation et même avant le coronavirus, nous savions qu'il n’y avait aucune inflation dans le pipeline de la zone euro. Maintenant que le prix du baril s'effondre, il existe vraiment une grosse marge de manœuvre là-dessus. Nous pouvons aussi continuer à injecter des liquidités dans le système bancaire même si cela ne sert pas à grand-chose, mais c'est toujours mieux que rien et nous pouvons faire des aides un peu plus spécifiques pour amener des spreads périphériques - comme on dit vulgairement - à se calmer, car sinon la dette italienne va être plus chère en plus de la crise de coronavirus, ce qu’il faut éviter à tout prix. La BCE peut aussi recourir à des éléments beaucoup plus hétérodoxes et qui n’ont pas été utilisés depuis 2008 comme la monnaie hélicoptère par exemple. Mais avant d’en venir à des choses comme cela qui peuvent paraître un petit peu extrême comme de la création monétaire ex-nihilo, nous pourrions faire en sorte de dire à la BCE que l’on ne remontera pas les taux avant plusieurs années. Nous pourrions être plus prévisibles. On attend beaucoup Christine Lagarde là-dessus car si dans trois jours – étant donné que la Fed s’active -, nous ne faisons rien à part injecter de l'argent, nous allons nous retrouver avec un gros problème.

Comment se fait-il que sur certains marchés (or par exemple), on ne peut plus rien faire ? Est-ce à cause d’une irrationalité du marché ? Est-il un bon juge ?

J'aime bien l'expression de Graham souvent reprise par Warren Buffett et qui consiste à dire que le marché est une assez mauvaise balance à court terme sur la journée mais un assez bon juge, une assez bonne balance à moyen terme. C'est ce qu'on appelle la market consistency et c’est ce que les market monétaristes appellent « avoir une discipline de marché. »  C'est le plus grand collecteur d'informations disponibles et donc quand vous avez un raisonnement sur le moyen long terme qui n'est pas le raisonnement que va avoir ou qu’a eu le marché, un petit warning doit s'allumer dans votre cerveau. C’est se dire « j'ai raison contre 10.000 personnes qui ne se connaissent pas, qui viennent de pays différents, qui ont un accès assez fort à l'information et qui - parfois pour certains d'entre eux -, jouent avec leur propre argent. » Si je prétends avoir raison tout seul contre tout le monde, cela peut peut-être parfois marcher, mais il faut qu'il y ait un petit élément qui s'allume dans mon cerveau pour me dire de faire attention. Voilà ce que l'on appelle la discipline de marché. Cela ne veut pas dire la sacralisation du marché, que le marché a tout le temps raison dans tous les domaines etc. Mais cela veut dire que la charge de la preuve revient à celui qui prétend avoir raison contre le marché. Parce que, historiquement, nous avons toujours des gens qui vont nous expliquer qu'ils avaient tout vu, tout compris etc. Mais si ces gens-là étaient vraiment si fort que cela, ils seraient tous propriétaires d'une île aux Bahamas, or…C’est pour cela que je dis que le marché est un assez bon juge au sens où il est difficile de le battre régulièrement. Il n'y a pas beaucoup d'anomalies et en réalité, il n’y a pas beaucoup de free lunch et de tickets gratuits. C'est pour cela qu'il faut regarder les marchés comme quelque chose de plutôt rationnel, même si évidemment à très court terme nous avons toujours l'impression qu'ils sont souvent paniqués ou exubérants d'enthousiasme. En l'occurrence le marché a été clairement complaisant au cours des dernières années et notamment au cours des derniers mois comme cet hiver par exemple. Il faudrait s'interroger sur le pourquoi de cette complaisance. Peut-être que l'une des raisons c'est que justement on pensait qu'en cas de nouveau choc, les banquiers centraux résoudraient le problème en 48 heures. Sauf que l’on a oublié qu'il pouvait y avoir un choc non nominal même si ce n'était pas arrivé depuis 40 ans. Et puis on avait peut-être aussi oublié que les banquiers centraux peuvent résoudre la plupart de nos problèmes c'est vrai, mais en général ils arrivent à faire les choses un peu trop tard et agissent trop peu. Et c'est dans ce décalage que l'on peut souffrir.

Est-ce que vous vous croyez, comme certains analystes et certains médias, que la baisse du cours du pétrole est surtout liée à des questions de géopolitiques ?

Absolument pas. Beaucoup de commentateurs ont besoin de géopolitiser ce genre de thème, surtout sur les questions liées au pétrole, de même qu'ils structuralisent la crise et budgétarisent à qui mieux mieux. Les questions structurelles sont compréhensibles par le grand public qui va vous parler pendant des heures du régime de retraite, de la flexibilité du contrat de travail etc. Et les questions budgétaires, les gens adorent aussi parce que la feuille d'impôt est une expérience vécue et que par conséquent vous avez 65 millions de personnes en France qui sont spécialistes des finances publiques. Les gens connaissent les budgets, les questions structurelles ou plutôt croient les connaître car c'est très subtil et cela leur échappe complètement et sur le pétrole les gens géopolitiques. Le café du commerce, le bar PMU a besoin de penser que le pétrole est une affaire de géopolitique. Il en est intimement persuadé. Quand on lui montre au café du commerce le lien entre par exemple le baril de pétrole et le dollar, ou le baril de pétrole et l'ensemble des marchés financiers - notamment equity - ou le lien entre le baril de pétrole et les différents éléments de sentiment de marché, les gens ne comprennent pas. Ils ne comprennent pas que le gros du marché du pétrole est un marché financier et pas tellement un marché physique. Ils ne comprennent pas l'importance de la Fed dans ce marché. Ils ne comprennent pas qu'en réalité, le pétrole monte quand les gens sont optimistes et baisse quand les gens sont pessimistes sur les marchés. Ils sont persuadés que tout cela est en fait un complot organisé entre les saoudiens, les texans et les russes alors que ces gens-là en réalité ne sont pas dans une optique de complot. Le marché pétrolier est un petit marché, donc il est normal qu'il soit volatil puisque petit comparativement à un énorme marché comme le marché des changes ou le marché obligataire par exemple. Evidemment, c’est un marché surdéterminé, c'est-à-dire qu'il est déterminé par les autres classes d'actifs. Nous sommes dans une grande bassine financière et ce qui conditionne actuellement le fait que le pétrole s'effondre c'est tout simplement parce que les actions s'effondrent. Si les gens ont peur, ils retournent dans l'obligataire, ils délaissent les equity et délaissent le pétrole. Et les saoudiens ne peuvent rien faire là-dedans. Ni dans un sens, ni dans un autre. Il se trouve qu'en plus apparemment il y a une crise de régime à l'intérieur même du régime saoudien et il se trouve qu'effectivement apparemment au même moment, il existe des dissensions entre les saoudiens et les russes. Mais de toute façon, avec le coronavirus, on savait déjà que la croissance allait s'effondrer, on savait déjà que la demande, notamment chinoise, de pétrole allait s'effondrer. De toutes les façons, cela fait des années que je le répète et je pense devoir le répéter dans vingt, trente ans. Il existe une paresse intellectuelle chez les analystes, chez les médias et les géopolitologues et on le voit encore à l’heure actuelle. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !