Pourquoi l’ancien président Jimmy Carter va un peu vite lorsqu’il indique que les États-Unis sont une "oligarchie où la corruption politique est endémique"<!-- --> | Atlantico.fr
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Jimmy Carter, ancien président des Etats-Unis.
Jimmy Carter, ancien président des Etats-Unis.
©Reuters

Raccourcis

Lors d'une récente allocution à la radio, Jimmy Carter, ancien président des Etats-Unis, a affirmé que la décision de la Cour suprême américaine de ne pas plafonner les sommes d'argent utilisées pendant la campagne présidentielle faisait de son pays une "oligarchie corrompue".

François Clemenceau

François Clemenceau

François Clemenceau est rédacteur en chef International au Journal du Dimanche. Il était précédemment rédacteur en chef de la matinale d’Europe 1 après avoir été correspondant de la radio à Washington pendant sept ans. Son blog USA 2008 sur la campagne présidentielle américaine a reçu la Coupe de l’Info 2009 du meilleur blog politique et économique.Son quatrième livre sur la politique américaine, Hillary Clinton de A à Z vient d'être republié dans une édition augmentée (éditions Du Rocher). 

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Atlantico : Bien qu'il soit normal que les élections présidentielles américaines coûtent plus chères que les élections en France (taille du pays, système électoral différent), les sommes en jeu sont souvent astronomiques, et viennent témoigner de l'importance de l'argent dans la politique américaine. Quelle est l'influence réelle de cette "oligarchie" pointée du doigt par Jimmy Carter ? De quand date ce phénomène ? Qui sont les figures principales de cette "oligarchie" que dénonce Jimmy Carter ? 

François Clémenceau : Il est vrai que le financement des campagnes électorales américaines, depuis l’arrêt de la Cour Suprême « United Citizens vs FEC » rendu en janvier 2010, n’a plus rien à voir avec la législation qui existait du temps de Jimmy Carter. Lors de sa campagne présidentielle de 1976, il n’avait dépensé que quelques dizaines de millions de dollars. Aujourd’hui, une course à la Maison Blanche se joue en milliards. De là à dénoncer une « oligarchie » qui occuperait le pouvoir via le financement qu’elle apporte à la vie politique, il y a un pas que seul un Jimmy Carter, l’une des voix les plus libres parmi les anciens présidents encore vivants, peut franchir. Très à gauche sur l’échiquier politique américain, y compris en politique étrangère, l’ancien président démocrate dit tout haut ce que nombre de ses concitoyens pensent. Mais Jimmy Carter a tort de penser que le phénomène date de 2010. Il a toujours fallu de l’argent, beaucoup d’argent, trop d’argent parfois, pour se lancer dans une campagne électorale aux Etats-Unis. Pour des raisons logistiques évidentes mais aussi parce que les contributions financières aux partis politiques ou aux candidats sont exonérées sur le plan fiscal. Et parce que cela permet aussi aux entreprises et aux lobbies de s’exprimer et de participer à la vie démocratique et au débat d’idées. Que ne disait-on du président Reagan, otage de l’industrie du spectacle et des Big Three de Detroit qui avaient financé ses campagnes en Californie ? Ou du clan Bush intimement liée au lobby pétrolier du Texas ? Les présidents, une fois élus, doivent-ils renvoyer l’ascenseur à leurs grands donateurs ? L’expérience montre que cela n’affecte pas, outre mesure, les grandes décisions économiques et sociétales prises à la Maison Blanche. L’impact se voit davantage au Congrès qui vote le Budget. Il n’y a qu’à voir aujourd’hui le nouveau plan Obama pour lutter contre le réchauffement climatique. Il va clairement à l’encontre des lobbies énergétiques polluants alors que nombre d’élus démocrates voient leurs campagnes financées par l’industrie charbonnière ou pétrolière dans le Midwest.

Jimmy Carter critique également un système qui frappe à plusieurs niveaux, en visant directement les gouverneurs et les sénateurs. Cette généralisation est elle excessive ? D'autres échelons sont-ils concernés ?

Carter a raison de pointer la richesse des sénateurs. Une majorité d’entre eux sont millionnaires. Non pas du fait de leur activité législative mais parce qu’ils ont exercé avant d’être élu des métiers ou des fonctions extrêmement rémunératrices ou parce qu’ils sont les héritiers de grandes fortunes industrielles. S’il est exact que certains sénateurs ont pu faire campagne en injectant une partie de leur fortune dans la compétition électorale, d’autres s’en sont servis pour rembourser leurs dettes après avoir été battus. C’est notamment le cas d’Hillary Clinton après avoir raté sa campagne des primaires contre Obama en 2008. Mais Carter a raison de dénoncer le poids trop important des grands donateurs dans les campagnes locales. C’est ce qui permet à des groupes d’intérêt d’influencer très tôt dans une carrière politique des candidats qui ne disposent pas de suffisamment d’autonomie financière. C’est le cas des frères Koch qui contribuent massivement à des campagnes locales pour le Congrès ou pour des postes de gouverneur. Le gouverneur actuel du Wisconsin et candidat Républicain à la Maison Blanche, Scott Walker, est considéré comme leur « poulain » dans la course de 2016. Cela dit, si l’argent a pris une place démesurée dans les campagnes électorales, cela ne garantit pas forcément le succès. En Europe, et en France en particulier, nombre d’élus locaux ou nationaux sont sous l’influence de lobbies en raison également de leurs convictions. D’autres entretiennent des relations de connivence avec le secteur privé afin de pouvoir se trouver une porte de sortie en cas d’échec. C’est ce système-là qui est vicié. L’argent, aux Etats-Unis, ne fait que renforcer la suspicion des électeurs vis-à-vis de leurs élus. Ce n’est pas pour rien que le Congrès est bien plus impopulaire que le Président. Parce que les citoyens savent qu’il est en partie paralysé par l’action des lobbies.

Comment fonctionne le financement des campagnes des candidats ? Quelle est l'influence des PAC (Poltical Action Committee) et des Super-PAC sur les candidats en lice ? Et une fois ceux-ci élus ? 

Les PAC et les Super-Pac ne peuvent pas financer directement le candidat. Ils récoltent de l’argent pour financer les causes que défendent le candidat qu’ils soutiennent  (l’écologie, le patriotisme, la reconstruction économique, la baisse des impôts….) mais surtout pour dénigrer les adversaires de leur favori. C’est le déplafonnement de ces dépenses-là par la Cour Suprême qui leur a permis de dépenser des sommes astronomiques dans des spots de publicité radio-télé-internet qui coûtent de plus en plus chers (ce qui permet, soit dit en passant, d’enrichir également les médias locaux et nationaux qui les diffusent…). Cette contribution colossale permet au Parti démocrate et au Parti républicain de canaliser leurs propres fonds pour financer la logistique pure des campagnes et d’aider les petits candidats qui, sur le plan local, souffrent face à leurs concurrents. Les PAC et les Super-Pac sont en principe mis en sommeil après chaque élection. Leurs dirigeants se retrouvent souvent à des postes de responsabilité dans les équipes exécutives ou législatives des élus. En revanche, ceux qu’on appelle les « bundlers », des individus qui ont la capacité de récolter des fonds de particuliers en très grande quantité, finissent parfois par être récompensés de leurs efforts en se voyant offrir un poste d’ambassadeur. C’est le cas pour tous les ambassadeurs qui servent à Paris de Pamela Harriman à Jane Hartley aujourd’hui, en passant par Craig Stapleton du temps de G. Bush.

Pour autant, le plus riche est-il réellement certain de remporter une élection ? Obama et Trump semblent être deux contre-exemples assez révélateurs ?

La fortune personnelle n’a jamais fait une élection « générale », c’est-à-dire la victoire dans la dernière ligne droite une fois les vainqueurs des primaires désignés par chaque camp dans le courant de l’été. John Kerry, par exemple, nominé en 2004, sénateur multimillionnaire, n’a pas réussi à battre le président Bush candidat à la réélection. Idem dans les primaires : Obama, en 2008, ne disposait pas, au début, du même soutien des grands donateurs que sa rivale Hillary Clinton. C’est parce qu’il a su mobiliser des millions de petits donateurs (chacun étant invité à renouveler ses petits dons tout au long de la compétition), qu’il a pu tenir le rythme endurant de ce duel-marathon. Aujourd’hui, Donald Trump a beau être à la tête d’une fortune de plusieurs milliards de dollars, cela ne lui garantit pas de rester en tête des sondages. S’il l’est, ce n’est pas parce qu’il est richissime mais parce que son discours provocant et excentrique plait aux foules agitées par le buzz d’une pré-campagne où le trop-plein de candidats les obligent à faire de la surenchère  pour être repérés. Mais on notera que dans l’Iowa ou le New Hampshire, les deux premiers Etats qui voteront en février prochain, Trump est loin derrière deux candidats plus « classiques », Jeb Bush et Scott Walker. Bref, l’argent est roi, mais le roi reste l’électeur. On le voit dans les primaires, l’électeur de base est exigeant, sensible aux causes plutôt qu’au style. Il faut de l’argent indéniablement pour financer une campagne qui se joue dans au moins une trentaine d’Etats indispensables à la victoire. Mais l’argent ne corrige pas les fautes de goût ou les erreurs stratégiques. Chaque élection présidentielle le prouve. Mitt Romney en 2012 avait énormément d’argent à sa disposition face à un Barack Obama dont le premier mandat avait déçu. Son attitude élitiste et son incohérence ont été sanctionnées dans les urnes.

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