Pourquoi l'Afrique a plus besoin de drones que de routes<!-- --> | Atlantico.fr
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Les drones pourraient permettre de résoudre de lourds problèmes d'infrastructures en Afrique.
Les drones pourraient permettre de résoudre de lourds problèmes d'infrastructures en Afrique.
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Le Flying Donkey Challenge consiste à démocratiser les drones en Afrique. Ceux-ci pourraient permettre de résoudre de lourds problèmes d'infrastructures et d'assurer un transport d'appoint et d'urgence parfois indispensable.

Jean-François Brun

Jean-François Brun

Jean-François Brun est maître de conférences à l’Ecole d’Economie de l’Université d’Auvergne et chercheur au CERDI (Centre d’Etudes et de Recherches sur le Développement International) à Clermont-Ferrand. Il est spécialiste des questions de développement en Afrique. Il a publié plus de trente articles ou chapitres d’ouvrage sur ces questions.

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Atlantico : Simon Johnson a lancé le Flying Donkey Challenge, un concours dont la visée est de développer l'utilisation de drones civils en Afrique, notamment pour le transport de matériaux et de denrées. Dans quelle mesure l'Afrique en a-t-elle besoin ? Les routes et les infrastructures font-elles défaut en Afrique ? Pourquoi utiliser des drones plus que des camions ?

Jean-François Brun : L'Afrique a effectivement besoin des drones, parce qu'ils représentent des opportunités de développement certaines. Dans un certain nombre de situations, le drone s'avèrerait plus utile et plus approprié que le camion. Oh, bien sûr, celui-ci a également son utilité ! Notamment quand il s'agit de transporter des charges lourdes et encombrantes. S'il s'agit de déplacer du matériel de construction ou de maçonnerie, ça n'est évidemment pas vers un drone qu'il faut se tourner. Ils n'ont de toute façon pas vocation à distribuer des charges de ce genre, mais bien des médicaments, des livres… Pour autant, même avec du matériel lourd, un camion aura tendance à coûter cher s'il n'est pas rempli complètement, pour des raisons diverses. Or, les drones prévus par le Flying Donkey Challenge doivent être le moins couteux possible, de façon à être le plus rentable possible.

Le fait est, également, que la circulation sur route peut être parfois complexe sur le territoire africain. Certaines infrastructures sont en bon état, indéniablement, néanmoins elles sont loin d'être aussi développées qu'en Europe ou aux Etats-Unis.  Un robot volant échappe à ce genre de soucis, comme il aura plus de facilité à se déplacer dans des conditions climatiques qui auraient tendance à isoler des villages ou des tribus. Un drone est capable de parcourir de longues distances plus rapidement qu'un véhicule classique, et de gagner des zones qui sont très compliquée d'accès.

Toujours dans la logique de rentabilité, un drone est bien plus indiqué pour rattraper et distribuer des denrées à une troupe nomade et peu nombreuse. La population, en Afrique, est bien plus disparate que chez nous. Dépêcher un camion pour gagner une famille a un coût que n'a pas le drone. Ne serait-ce qu'en raison des barrages sauvages qui touchent environ 20% des routes. Ce banditisme de grand chemin consiste à faire arrêter le véhicule et l'obliger à payer un péage, ce qui augmente considérablement le coût du trajet. Dans ce genre de situations, le drone a tout à fait sa place en Afrique.

Quelles autres fonctions pourraient-ils avoir ? Outre le transport, quels sont les domaines dans lesquels l'Afrique pourrait avoir besoin de drones ?

Bien que ça puisse ne pas s'apparenter à un usage civil de prime abord, les drones pourraient tout à fait servir dans un cadre de surveillance. Non pas militaire, mais étatique. D'une part, si un Etat dispose de ses propres drones, il dispose également d'une certaine indépendance vis-à-vis des puissances aujourd'hui pourvues en satellites : actuellement, quand il s'agit de surveiller une zone précise depuis le ciel, la majorité des pays d'Afriques sont contraints et forcés de demander à telle ou telle puissance de braquer son satellite sur la zone, ce qui témoigne indubitablement d'une certaine forme de dépendance. Les drones étant pilotés au niveau national, voir local, ils deviendraient un moyen de contourner les satellites.

Parce qu'il existe évidemment des zones à surveiller : prenons l'exemple des ZEE, ces zones marines économiques exclusives qui peuvent être source de nombreuses tensions. Bien souvent, des décrets existent, interdisant ou autorisant la pêche selon des critères bien précis (pour préserver l'activité d'une population, s'assurer qu'elle ne se retrouve pas lésée par des multinationales ou qui que ce soit) mais ils sont particulièrement difficiles à faire respecter par les Etats. Avec un principe de surveillance comme celui des drones, la situation pourrait se débloquer. Le même problème se retrouve aux frontières : les contrôles via drones, pilotés au niveau de la brigade cette fois-ci, offriraient plus de possibilités.

L'Afrique est, d'après les organisateurs, le meilleur endroit pour lancer cette initiative. Quelles sont les conditions qui sont favorables en Afrique, et pas dans le reste du monde ?

Pourquoi l'Afrique ? Sans doute parce que c'est le continent qui oppose le moins de systèmes concurrents aux drones. L'Afrique compte moins de routes. Moins de réseaux. Et le "peu" qu'elle compte sont en bien moins bon état qu'ailleurs. La qualité est moindre et par conséquent moins de véhicules sont à même de rouler. Les réseaux ferrés sont également moins développés. Il en va de même pour le trafic aérien. Les drones auraient donc bien moins de mal à s'installer durablement.

D'autant plus que l'appareil législatif concernant les drones est nettement moins problématique : en France, faire voler un drone est une pagaille administrative, et sans doute serait-il possible de jouer sur ce vide juridique.

La géographie s'y adapte aussi. C'est également le cas en Asie du centre, mais l'Afrique compte moins de populations montagnardes, et donc moins de risques pour des premiers essais.

Faut-il s'attendre à une vraie révolution dans la façon dont l'Afrique va se développer ? Ou, finalement la bonne intention du Flying Donkey Challenge s'apparente plus à un "gadget" ?

C'est particulièrement difficile à dire. Aujourd'hui, beaucoup seraient certainement tentés d'y voir un simple gadget, mais ce serait réitérer l'erreur d'il y a quelques années à propos du téléphone portable. S'il apparaissait comme un gadget au temps de sa sortie, il est objectivement devenu un outil indispensable aujourd'hui.

De là à dire que les drones vont complètement révolutionner le développement africain, il reste un pas tout de même. Non, ça ne sera vraisemblablement pas une révolution, mais ça va certainement faciliter et accélérer ce développement. 

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