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La question de l'immigration dépasse-t-elle les clivages politiques traditionnels ?
La question de l'immigration dépasse-t-elle les clivages politiques traditionnels ?
©Reuters

Dossier brûlant

Manuel Valls a envoyé à ses préfets ses instructions contre l'immigration irrégulière dans une circulaire ayant l'ambition d'allier une "politique ferme" d'éloignement des clandestins et "le respect" des principes de la France.

Maxime  Tandonnet et Sylvain Saligari

Maxime Tandonnet et Sylvain Saligari

Maxime Tandonnet est un haut fonctionnaire français, qui a été conseiller de Nicolas Sarkozy sur les questions relatives à l’immigration, l’intégration des populations d’origine étrangère, ainsi que les sujets relatifs au ministère de l’Intérieur.

Il commente l'actualité sur son blog personnel.

Sylvain Saligari est avocat au barreau de Paris. Il est spécialisé dans le droit d'asile.

Voir la bio »

Atlantico : Lundi, Manuel Valls a envoyé à ses préfets ses instructions contre l’immigration irrégulière dans une circulaire ayant l’ambition d’allier une "politique ferme" d’éloignement des clandestins et "le respect" des principes de la France. Manuel Valls souhaite défendre une approche plus "qualitative" de l'éloignement des étrangers en situation irrégulière. Mais, au-delà des postures, la politique d'immigration de Manuel Valls ne semble pas très éloignée de celle de son prédécesseur et le nombre de reconduite à la frontière reste sensiblement le même d'un gouvernement à l'autre. Pourquoi il ne peut pas y avoir une gestion spécifiquement de gauche de l'immigration ? La question de l'immigration dépasse-t-elle les clivages traditionnels ?

Maxime Tandonnet : D’un point de vue historique, on ne peut pas dire qu’il y ait une vision de gauche ouverte sur ces questions et une approche de droite fermée. C’est la loi Herriot, radical socialiste, le 2 mai 1932, qui impose des quotas ou plafonds de recrutements de travailleurs étrangers et le décret loi Daladier, autre radical-socialiste, qui crée la déchéance de nationalité pour les étrangers condamnés à un an de prison ferme. En 1990, le président de la République socialiste François Mitterrand fait état de l’existence d’un « seuil de tolérance » et Michel Rocard, premier ministre du même bord dans un discours du 22 mai 1990 parlant de l’immigration, déclare « Et je le dis clairement cette vague doit être endiguée. »

La question de l'immigration suscite régulièrement des débats passionnés. Ces débats idéologiques correspondent-ils réellement aux politiques qui sont menées concrètement ?

L’immigration est le sujet de tous les paradoxes. Du point de vue du discours, les deux camps droite et gauche tiennent le même langage : celui de « l’immigration maîtrisée ». La France doit limiter le flux migratoire entrant pour que celui-ci n’excède pas ses capacités d’accueil, notamment sur le marché du travail. Or, en parallèle, ce thème déchaîne les passions et se prête à tous les débordements et les insultes (xénophobe, raciste, ou irresponsable, laxiste). Tout se passe comme si les politiques utilisaient la question de l’immigration pour se différencier quand ils n’y parviennent pas sur d’autres enjeux. Le traitement politique de l’immigration en France, quel que soit le bord des uns et des autres, baigne dans une étrange hypocrisie. En outre, ce sujet,  qui appelle des réponses cohérentes et raisonnables, est devenu dans toute l’Europe l’otage de partis protestataires de droite ou de gauche qui en préemptant  ce sujet délaissé par les démocrates, n’ont fait qu’envenimer les choses et les rendre encore plus ingérables.

Face aux réalités politiques, économiques et sociales, tous les gouvernements, de gauche comme de droite, ne sont-ils pas finalement obligés de faire preuve de pragmatisme en matière d'immigration ?

La question de l’immigration est absolument décisive pour l’avenir. La France reçoit officiellement à peu près 200000 personnes chaque année à titre de résidence durable et environ 50000 demandeurs d’asile dont beaucoup ne repartent pas. Dans un contexte de chômage massif, avec 3,2 millions de demandeurs d’emplois, ou 4 à 5 millions selon d’autres estimations, ce flux migratoire se traduit par une aggravation de la précarité, de l’exclusion, de la ghettoïsation  avec toutes leurs conséquences en termes de cohésion sociale et de stabilité. Les migrants eux-mêmes sont  les premières victimes de cette situation. Cela, tout le monde le sait notamment les élus de terrain, mais beaucoup, de gauche comme de droite, refusent de voir ou d’exprimer la réalité par œillères idéologique, aveuglement ou simple tartufferie. Il me semble qu’aucun responsable politique au sens fort du mot, ne peut faire l’impasse sur cette réalité.

Leur  pouvoir est-il, par ailleurs, limité par le droit européen ?

Si les marges de manœuvre du pouvoir politique sont en effet limitée par la convention européenne des droits de l’homme qui prévoit dans son article 8 « le droit au respect de la vie privée et familiale » donc le droit au regroupement familial et la politique commune de l’Union européenne, compétence en matière d’asile et d’immigration depuis le traité d’Amsterdam de 1999 et la convention de Schengen qui supprime les contrôles aux frontières intérieures. Mais cela dit, dans le respect du droit européen, des marges de manœuvre nationales subsistent par exemple en matière de d’étendue du droit au regroupement familial, de régulation de l’asile ou de lutte contre l’immigration illégale. L’expression d’une volonté politique dans ce domaine est déterminante. En Grande-Bretagne, il existe des « think tanks » où se retrouvent Conservateurs et Travaillistes pour travailler sur ces questions. En France, il serait grand temps de dépasser des clivages artificiels pour définir les bases d’une politique migratoire raisonnable, privilégiant l’aide au développement, la limitation effective du flux migratoire au regard des capacités d’accueil en particulier sur le marché du travail et le respect de la loi sur l’entrée et le séjour.

Propos recueillis par Alexandre Devecchio

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