Pourquoi il faut espérer que la FED attende avant de relever ses taux<!-- --> | Atlantico.fr
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"Relever les taux permettrait dans un premier temps de limiter le risque d'inflation."
"Relever les taux permettrait dans un premier temps de limiter le risque d'inflation."
©Reuters

Dilemme

La crise de 2008 semble en grande partie résolue par les Etats-Unis qui annoncent un taux de chômage d’à peine 5%. La FED pourrait donc décider de revoir ses taux d’intérêt à la hausse, afin d’éviter une surchauffe de leur économie. Alors que la décision sera rendue ce mercredi 16 septembre, l’incertitude domine, générant une certaine fébrilité sur les marchés.

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Atlantico : Relever le taux d’intérêt permettrait d’officialiser la sortie de crise des Etats-Unis et de prendre des précautions quant au risque d'une surchauffe de l'économie : quels sont les arguments qui laissent croire que la Fed pourrait bien relever les taux d’intérêt à 0,25% ?

Alexandre Delaigue : En théorie, les taux d'intérêt servent de régulateurs pour l'économie. Ici, relever les taux permettrait dans un premier temps de limiter le risque d'inflation, mais surtout, et c'est le plus important, de réguler les marchés financiers. Des taux trop bas pendant très longtemps peuvent pousser le secteur financier à emprunter massivement et à prendre toute une série d'investissements très risqués. Le relèvement des taux dissuaderait le secteur financier de prendre trop de risques pour éviter de voir réapparaître une autre crise financière comme la précédente. C'est l'argument essentiel, car il n'y a pas de réel risque inflationniste.

Depuis 2009, la Fed maintient les taux d'intérêt à 0, et ce n'est pas une chose très prudente sur le plan financier de maintenir des taux d'intérêt si bas aussi longtemps, et ce serait plus naturel de remonter ces taux.

De plus la Banque des règlements internationaux, dont certains économistes ont publié des travaux montrant que des taux bas créaient un cercle vicieux qui réduit l'investissement et la croissance : il y a des taux bas, donc les banques et le secteur font des mauvais investissements qui ne sont pas rentables, du coup cela provoque des récessions et donc il faut maintenir des taux bas. Voilà ce que pourrait être le cercle négatif sur des taux bas. Il y a donc un inconfort par rapport au secteur financier à maintenir les taux à zéro aussi longtemps : il faut faire un retour à la normale.

Enfin, si jamais une nouvelle récession intervient, il faut avoir des munitions. Ce qui signifie pouvoir baisser les taux. Le relèvement des taux pourrait avoir une marge de manœuvre en cas de nouvelle crise financière.

Certains analystes mettent en garde contre une remontée anticipée des taux d’intérêt : quel serait l’intérêt d’un maintien d’un taux d’intérêt à zéro ? 

Il y a un contre-exemple aux arguments avancés plus haut : deux banques centrales ont considéré qu'il fallait remonter les taux d'intérêt pour les raisons évoquées: la Banque centrale en 2010 et la Banque de Suède un peu plus tard. Et dans les deux cas, ça a été une très grosse erreur. Instantanément, cela a fait replonger les économies dans la récession. Cela a cassé les embryons de reprise qui apparaissait et a lourdement prolongé la crise. Donc ce n'est pas très encourageant pour les autres banques, qui doivent faire attention à ne pas relever les taux trop tôt. Commencer trop tôt, c'est courir le risque de replonger dans la récession : ré-augmentation du chômage, difficulté dans l'économie, précipitation des difficultés pour les banques qui auraient fait de mauvais investissements…Sans atteindre les proportions de la crise de 2007, ce serait une façon d'enrayer la reprise de la croissance américaine.Or le rôle de la Fed est d'être au bon niveau pour maintenir le plein emploi sans inflation.

Le maintien d'un taux zéro est conseillé jusqu'à ce qu'il y ait des certitudes sur la reprise qui permettent de relever les taux : pour l'instant, on note que les banques qui ont un peu trop tardé à remonter leur taux n'ont pas eu trop de difficulté à récupérer ce retard. Dans les années 1990, les Etats-Unis ont connu un précédent. On considérait alors qu'une surchauffe de l'économie et le risque inflationniste se trouvait autour d'un taux de chômage avoisinant les 5%. Cependant à l'époque, la Fed a maintenu des taux d'intérêt à zéro, et on a vu le chômage continuer à baisser sans inflation. L'argument consiste donc à dire qu'il vaut mieux attendre d'avoir de nouveau un peu d'inflation, sachant qu'au pire si, pendant deux ans il y a 2,5% d'inflation, cela pourrait être corrigé très rapidement.

Quelles seraient les conséquences sur le marché américain d’une remontée des taux ?

Tout dépend de qui a raison de la première ou de la deuxième perspective. Dans un premier temps, dans tous les cas, on peut craindre une réaction négative des marchés : cependant, ce serait aussi l'occasion de corriger, de rééquilibrer des marchés qui sont un peu excessifs.

Si tout se passe bien, ce serait un atterrissage en douceur : les excès à la bourse serait corrigés, quelques valorisations excessives seraient corrigées, il n'y aurait pas d'inflation, ni de souci. Ce serait le scénario favorable.

Le scénario défavorable, on le connaît : il y a des pressions sur l'économie américaine, notamment en raison de la crise chinoise ou de la crise du pétrole qui entraîne mécaniquement une baisse des prix et qui sont donc anti-inflation. Le scénario noir serait un scénario similaire à l'Europe ou la Suède : remontée du chômage, effets importants sur toute une série de secteurs, et notamment les secteurs miniers et des pétroles non-conventionnels, et donc provocation de beaucoup de licenciements puis récession.

Mais pour le moment, on manque beaucoup de visibilité et il est difficile de faire des prévisions quant à la décision de la Fed. Ceci-dit, ce n'est pas forcément négatif de ne pas pouvoir s'accrocher aux décisions de la Fed, et l'autonomie laissée ainsi aux marchés financiers pourrait avoir des effets d'assainissement aussi du secteur.

Sur le plan international, tous les observateurs attendent le choix de la Fed pour décider du comportement à adopter, notamment dans l’anticipation des mouvements de la bourse chinoise : quel impact la relève des taux d’intérêt pourrait avoir sur l’économie mondiale ?

Si la décision n'a pas beaucoup d'impact, néanmoins ce ne serait pas forcément une bonne nouvelle pour le gouvernement chinois: car, même si le gouvernement a un peu relâché la parité Yuan/Dollar, il a quand même beaucoup dépensé pour que la dévaluation du Yuan ne soit pas très forte et se limite à quelques points de pourcentage. Or si les taux américains montent et que l'économie américaine s'en sort bien, cela ferait remonter le Dollar, ce qui exercerait encore plus de pression sur le Yuan et donc, on pourrait craindre une dévaluation à 10%, comme les autres pays émergents. Donc ça amplifierait la crise de confiance sur l'économie chinoise.

Pour la BCE, elle est déjà dans son contexte, elle a déjà fait ses choix…et donc pour le moment, elle doit faire face à ses propres problèmes.

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