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Pourquoi il faut enfin réhabiliter l’autorité à l’école
©MARTIN BUREAU / AFP

Bonnes feuilles

Pierre-Henri d’Argenson publie "Petit traité d’éducation conservatrice" aux éditions du Cerf. Voici un guide pratique à l'usage de tous les parents pour renouer avec le sens profond de l'éducation. Pierre-Henri d'Argenson en appelle donc à un retour aux fondamentaux. Extrait 1/2.

Pierre-Henri d'Argenson

Pierre-Henri d'Argenson

Pierre-Henri d'Argenson est haut-fonctionnaire. Il a enseigné les questions internationales à Sciences Po Paris. Il est l’auteur de "Eduquer autrement : le regard d'un père sur l'éducation des enfants" (éd. de l'Oeuvre, 2012) et Réformer l’ENA, réformer l’élite, pour une véritable école des meilleurs (L’Harmattan, 2008). Son dernier livre est Guide pratique et psychologique de la préparation aux concours, (éditions Ellipses, 2013).

 

 

 

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Un sondage publié en octobre 2011 révélait que 75% des parents se jugeaient trop laxistes avec leurs enfants, 65% trop copains et 55% trop tolérants, tandis que 67% reconnaissaient explicitement manquer d’autorité. Pourquoi donc, alors que tout le monde semble vouloir aujourd’hui réhabiliter l’autorité, est-ce si difficile en pratique? 

La première raison est simple: le message que l’on reçoit en permanence à propos de l’autorité est contradictoire, donc impossible à mettre en œuvre. On dit «oui» à l’autorité, mais à condition qu’elle ne heurte pas, qu’elle ne blesse pas, qu’elle soit expliquée, qu’elle soit comprise et entourée de nombreux adoucissants… autrement dit qu’elle ne soit pas autoritaire. Voici quelques extraits d’un article tiré d’une revue d’association de parents d’élèves, intitulé martialement «Autorité: les bases de la discipline», qui illustrent cette difficulté à aborder l’autorité telle qu’elle est, et non telle qu’on la dénature pour la rendre acceptable. 

On y découvre, comme dans bien d’autres articles consacrés à ce sujet, que l’autorité consiste à «chercher à exercer une influence sur l’autre – sans recourir à la force – pour l’amener progressivement à admettre que les limites imposées lui permettent de grandir et sont bénéfiques pour lui». On y lit également que l’autorité est «la capacité à faire respecter le cadre fixé par les règles adoptées par tous».Enfin, que pour les élèves «qui ne suivent pas les règles et se mettent en situation de conflit, cela peut, en effet, aller jusqu’au rapport de force. Mais le dialogue doit toujours être instauré de façon à rappeler que le règlement n’est pas répressif ». 

Ces propos n’ont en apparence rien de choquant, sauf qu’ils posent un sérieux problème: ils reposent sur la méconnaissance, le déni ou la déformation de ce qu’est l’autorité, la rendant par-là impraticable. 

Non, faire preuve d’autorité n’est pas chercher à «exercer une influence» sur l’autre: à la différence de la manipulation ou de la séduction, l’autorité s’exerce de manière directe par un langage clair, qui utilise généralement l’impératif pour exprimer un ordre, sans détour, ni subtilités manœuvrières.

Non, l’autorité n’a pas de vocation «progressive», mais vise au contraire un but immédiat, sans délai, «sans murmures ni hésitations». 

Non l’autorité ne vise pas à «faire admettre», elle ne recherche pas l’adhésion ou le consentement, elle n’a pas pour but de convaincre, mais d’imposer. L’autorité a effectivement pour effet de permettre aux enfants de grandir, mais cet effet ne se produit justement que parce que l’autorité ne s’est pas engagée dans une négociation plaçant à égalité les raisons de l’enfant et celles de l’adulte, elle assume faire prévaloir une raison supérieure dont on n’attend pas de l’enfant qu’il la comprenne immédiatement (autrement, il n’y aurait nul besoin d’autorité).

Non, l’autorité ne vise pas seulement à faire respecter les «règles adoptées par tous»: elle est d’abord, au quotidien, le rétablissement d’un rapport de hiérarchie, de subordination à un ordre préexistant à l’enfant, qui est rejeté par le transgresseur. Lorsqu’un enseignant dit à un enfant de se taire, il dit deux choses: bien sûr, il rappelle une règle générale de comportement dans la classe, mais il dit aussi, et avant tout, qu’il est lui, l’enseignant, celui qui commande, celui à qui l’on a confié la fonction de décider ce qui pouvait ou non se faire dans la classe, et celui à qui l’on doit obéissance dans ce cadre, bien que l’enfant n’ait jamais eu son mot à dire sur cette organisation du pouvoir. 

Non, le dialogue ne doit pas être «instauré», mais plutôt restauré: par définition, l’autorité est un monologue, elle se manifeste précisément au moment où le dialogue est rompu ou rendu impossible. L’autorité vise à rétablir les conditions du dialogue, en rappelant la règle commune et la place de chacun dans l’ordre collectif. 

Enfin si, un règlement est par nature «répressif». Il suffit d ’en feuilleter un pour s’en convaincre : tout règlement prévoit un ensemble d’obligations et de sanctions pour faire respecter ces obligations, et a par construction un caractère répressif. À l’instar du règlement, l’autorité est l’expression d’une contrainte, légitimée par un ordre supérieur qui a reçu, en amont, le consentement de la société. 

Attention, je ne dis pas que l’autorité serait d’entrée de jeu la panacée, l’alpha et l’oméga de toute éducation, ni que toute forme d’autorité soit légitime (aboyer des ordres du matin au soir dénote plutôt un manque d’autorité, laquelle, même en famille, s’exerce d’autant plus sereinement qu’elle ne repose pas seulement sur la hiérarchie, mais se diffuse par l’exemplarité et la sagesse de sa conduite et de ses décisions). Il existe de nombreuses situations où le dialogue, la pédagogie, la recherche d’adhésion, la patience et la négociation valent mieux que l’exercice immédiat de l’autorité. Je dis simplement qu’on ne peut pas pratiquer en même temps dialogue et autorité, explication et autorité, consensus et autorité. 

Si nous peinons tant à exercer l’autorité sans culpabilité ou sans l’entourer de toutes ces précautions qui la vident de son sens, c’est que l’opprobre pesant sur son usage fonctionne toujours. On l’a dit, les idéologues de mai 1968 ont voulu éradiquer l’autorité (sauf la leur), la délégitimer de manière définitive, la sortir du champ de l’éducation, et plus généralement des relations humaines. Toutefois, la seule remise en cause de l’autorité n’aurait pas en soi suffi à dégrader aussi profondément son exercice si elle ne s’était inscrite dans le cadre d’une lutte plus radicale encore contre toute forme de verticalité.

Extrait du livre de Pierre-Henri d’Argenson, "Petit traité d’éducation conservatrice", publié aux éditions du Cerf. 

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