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Pourquoi il est urgent que la science se rebelle contre les diktats du conformisme
©CRIS BOURONCLE / AFP

Fake Science

Trop de fausses sciences sont apparues du fait d'une certaine soumission à l'idéologie postmoderne.

Marcel  Kuntz

Marcel Kuntz

Marcel Kuntz, Directeur de recherche au CNRS, dernier ouvrage «OGM, la question politique» Presse universitaires de Grenoble 2014

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Qu’il faille développer la culture scientifique des politiciens, des journalistes, etc. est devenu un mantra des défenseurs de la science. Or, plus qu’une culture/savoir, c’est bien une culture de la science (culture au sens que lui donne Rémi Brague : « un système de normes, qui visent toutes à assurer la pérennité de l'homme et de l'humain »), comme un des pilier d’une civilisation, qui est manquante. Pourquoi est-ce le cas ?

La croyance, selon laquelle le progrès scientifique produirait mécaniquement un monde meilleur, n’a plus cours, et c’est heureux. Pour autant, la science dans le soupçon permanent, encourage les dérives vers les fausses sciences.

Les diverses catégories de fausses sciences.

Les pseudosciences (comme l’astrologie) ne méritent pas ici de commentaires.  La deuxième catégorie, l’alterscience, définie par l’historien Alexandre Moatti, existe de longue date : des personnes formées à la science mobilisent leurs connaissances en faveur de théories alternatives fumeuses. Les théoriciens anti-vaccins constituent un exemple actuel. La troisième catégorie, que j’ai appelée « science parallèle », est la plus récente. L’industrie du tabac y a eu recours. L’écologie politique en fait grand usage : copier l’apparence d’une démarche scientifique, mais avec des conclusions préétablies, notamment pour l’évaluation des risques, avec des « experts » médiatisés, auto-proclamés « lanceurs d’alerte », et sympathisants du projet politique.  Les lecteurs de la tribune « L’étrange silence médiatique réservé aux 3 contre-expertises réalisées sur les pauvres rats du Professeur S. » identifieront dans cette étude réfutée un cas d’école de « science parallèle »…

Pourquoi ces fausses sciences ne sont-elles pas publiquement rejetées par les scientifiques « normaux » ?

Une première réponse tient au mode de financement de la recherche, qui a organisé la compétition de tous contre tous pour des ressources limitées. Des financements par appels d’offres sont légitimes afin de soutenir les politiques de recherche et favoriser l’émulation.  Leur abus enchaîne les chercheurs dans l’utilitarisme (consacrer du temps à dénoncer les fausses sciences devient contreproductif pour une carrière) et dans le conformisme : il devient de bon ton d’évoquer les thèmes à la mode dans tout projet de recherche (développement durable, lutte contre le changement climatique, …). La conformité avec l’air du temps, plutôt que la pensée out of the box, favorise l’obtention des sacro-saints budgets de recherche.  

Un autre facteur, le « précautionnisme », a créé un véritable business scientifique pour évaluer toutes les molécules possibles et imaginables, souvent par des protocoles expérimentaux choisis pour favoriser l’identification d’un effet toxique théorique (le danger) sans considération pour l’exposition au danger qui définit le risque dans la vraie vie (risque = danger x exposition au danger). Les services de communication pensent promouvoir leur institut de recherche en communiquant aux médias des études (inutilement) anxiogènes, en conformité avec la doxa catastrophiste du moment.

La déconstruction postmoderne des idéaux des Lumières.

Héritier de quelques grands noms du 19ème siècle ou du début du vingtième, tels que Nietzsche ou Spengler, le postmodernisme a installé dans le monde occidental à partir des années 60 une critique générale des institutions et de l'identité culturelle occidentales, déclarées coupables de tous les crimes de l’Histoire. La science moderne est coupable aussi : n’a-t-elle pas généré la bombe atomique, les pesticides et autres polluants ? Les bénéfices sont oubliés, voire rejetés  par certaines « élites » et par certains projets politiques. Les scientifiques ne peuvent échapper au soupçon, aux diktats du politiquement correct, et sont priés eux aussi de pratiquer l’autoflagellation et la repentance. La position dominante du postmodernisme au cœur du pouvoir dans les institutions scientifiques est illustrée par leurs recours à l’écriture inclusive, pourtant rejetée par l’Académie Française.

Déclinée par la sociologie des sciences, l’idéologie postmoderne affirme que la science n’est qu’une « construction sociale » parmi d’autres, celle d’une « communauté » partageant les mêmes présupposés. Relativisme oblige, tout autre discours « communautaire » possède la même valeur que celui des scientifiques reconnus. La science est pourtant, comme la philosophie des Lumières, « un projet aristocratique à mille lieues des démagogies ambiantes »

Mais aujourd’hui le fait se dissout dans l’opinion et la démarche scientifique dans la bien-pensance. Les revues de divers organismes de recherche participent de ce dévoiement de la parole scientifique en publiant à côté des explications scientifiques, des opinions basées sur la « science parallèle » des militants. Ainsi le Journal du CNRS, à la suite des fausses conclusions de l’étude - évoquée ci-dessus, exhibant des rats aux tumeurs monstrueuses - choisit de ne « pas prendre position », se contentant « d’orchestrer les différents points de vue ».

« Syndrome de Stockholm »

La vogue d’une science qui devrait devenir « citoyenne » (un de ces « mots qui tuent »), voire même accepter les « parties prenantes » (c’est-à-dire, en réalité, les activistes défendant une cause) au cœur des laboratoires s’impose comme impératif moral. Atteint d’un « Syndrome de Stockholm », l’INRA (Institut national de la recherche agronomique) lors de partenariats douteux n’hésite pas à accoler son logo à côté de ceux d’activistes qui soutiennent la destruction de ses expérimentations sur les OGM. Ses dirigeants reçoivent les « Faucheurs » dans leur bureau. L’esprit de soumission va jusqu’à inviter José Bové (qui doit sa notoriété à des actions violentes, perpétrées notamment contre des expérimentations scientifiques publiques, dont celles de l’INRA) à faire une conférence dans un cadre officiel de l’INRA, en présence de son PDG.

Désormais ballotée par les effets de mode, la recherche scientifique n’a plus droit au temps long et doit être soumise aux aléas de l’actualité et à l’influence de minorités agissantes. Il est urgent d’encourager la science à sortir du conformisme ambiant. Dans son intérêt et dans le nôtre à tous.

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