Pourquoi il est urgent de soutenir les musulmans qui se battent contre l’islamisme dans les pays musulmans<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Pourquoi il est urgent de soutenir les musulmans qui se battent contre l’islamisme dans les pays musulmans
©Reuters

Islam vs islamisme

Le Pew Research Center a récemment publié un article témoignant du rejet de l'EI dans les pays à forte population musulmane. Les musulmans de pays musulmans pourraient être en première ligne contre l'Etat islamique.

Haoues Seniguer

Haoues Seniguer

Haoues Seniguer est maître de conférences en science politique à l'Institut d'Études Politiques de Lyon (IEP)

Il est aussi chercheur au Triangle, UMR 5206, Action, Discours, Pensée politique et économique à Lyon et chercheur associé à l'Observatoire des Radicalismes et des Conflits Religieux en Afrique (ORCRA), Centre d'Études des Religions (CER), UFR des Civilisations,Religions, Arts et Communication (CRAC), Université Gaston-Berger, Saint-Louis du Sénégal.

Voir la bio »

Atlantico : A la suite des différents attentats organisés par l'organisation Etat Islamique à Paris, Beyrouth,  ou dans le Sinaï, le monde musulman est projeté sur le devant de la scène. Le Pew Research Center a récemment publié un article témoignant du rejet de l'EI dans les pays à forte population musulmane. Pourquoi est-il primordial de soutenir ces populations modérées qui critiquent un islamisme plus radical ?

Haoues Seniguer : L’étude américaine que vous mentionnez est matière à nous convaincre d’une chose absolument cruciale pour nos sociétés, au premier chef pour la nôtre : Daech est une organisation radicale dont l’idéologie et l’action sont amplement rejetées par la population musulmane qui ne s’y reconnaît nullement. On pourrait dire que les membres de l’EI sont des marginaux de l’islam avec néanmoins une puissance de nuisance colossale, ce qui les met ainsi au centre du jeu et de l’attention tant médiatique que politique ; ce qu’ils recherchent d’ailleurs éperdument dans leurs stratégies de communication.

À mon sens, il est important de soutenir, surtout d’entendre et mieux encore d’écouter, les voix musulmanes – et elles sont fort nombreuses - qui dénoncent sans ménagement la conception d’un islam perçu comme profondément dévoyé dans l’idéologie de Daech.

L'Occident apporte déjà une réponse militaire à la menace que peut représenter, pour l’intégrité territoriale l'EI. En dépit de résultats apparemment peu voyants, faut-il abandonner ce genre de solution ? Que faudrait-il vraiment mettre en place pour endiguer (voire stopper) la progression de l'idéologie djihadiste ?

La réponse militaire, notamment de la France, est compréhensible du point de vue de ses dirigeants ayant en charge la sécurité des Français et souhaitant répondre à l’attaque en plein cœur de Paris, vendredi 13 novembre 2015. Néanmoins, l’option militaire peut se révéler un miroir aux alouettes, car si guerre il y a, celle-ci est d’ordre asymétrique, dans la mesure où l’EI n’est pas à proprement parler un État, avec des frontières reconnues, doté qui plus est d’une armée régulière. Celui-ci prospère et progresse au contraire sous la forme de métastases en convainquant, par une idéologie radicale transnationale confectionnée par des idéologues rompus aux méthodes de recrutement, des individus localisés en des espaces différents et multiples, capables d’agir de façon concertée ou autonome, sur la base d’instructions générales générées par la matrice syro-irakienne. Tant qu’il n’y aura pas de réflexion profonde sur les mobiles à la fois religieux et politiques qui nourrissent l’État islamique et crédibilisent sa propagande, la réponse strictement militaire sera comparable à un coup d’épée dans l’eau !

Comment peut-on expliquer ce rejet de l'Etat Islamique dans des populations à fort pourcentage musulman ? Ne devraient-ils pas être plus sensibles au message porté par l'EI ?

Si les populations à majorité musulmane rejettent Daech, c’est tout simplement parce que son offre idéologique ne répond pas du tout à leurs aspirations. Il faut donc s’en réjouir. À cet égard, cela vient en quelque sorte atténuer l’idée défendue par un certain nombre de politistes français, consistant à focaliser excessivement sur la variable politique pour expliquer l’attrait exercé par l’EI auprès des musulmans ; en somme, pour ces derniers, les bombardements à répétition de la coalition contre les positions de Daech en Syrie et en Irak, dégâts collatéraux ou non, seraient un élément explicatif clé. Or peut-on précisément lire, dans le rejet d’une majorité de la population musulmane des actions menées par l’EI, un refus ferme au nom de l’islam précisément…Chassée par la porte, la raison religieuse revient par la fenêtre. Par ailleurs, les musulmans vivant en terre d’islam majoritaire devraient, en principe ou intuitivement, se sentir beaucoup plus concernés par les affres que connaît le Moyen-Orient, beaucoup plus en tout cas que les musulmans évoluant en Europe. Cela ne signifie pas pour autant que la solidarité devrait être uniquement islamo-islamique ou arabo-arabe ; ce n’est pas du tout ce que je soutiens car je m’oppose à toute forme de culturalisme ; il s’agit simplement de permettre un débat contradictoire. Enfin, si tout n’était explicable que par la ou le politique, pourquoi n’y a-t-il pas plus de non-musulmans dans les troupes de Daech ? Je pense très sincèrement que l’éviction de la variable religieuse dans l’analyse du phénomène EI constitue assurément une faiblesse épistémique. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !