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Pourquoi il est légitime que l’État d’Israël se définisse comme juif (et ce que cela signifie)
©Reuters

Bonnes feuilles

En 2008, un historien israélien, Shlomo Sand, publia un ouvrage (Comment le peuple juif fut inventé, Fayard), bientôt suivi de deux autres textes (Comment Israël fut inventée et Comment j'ai cessé d'être juif, Flammarion). Ces ouvrages, visant tous à dénoncer la "fiction" de "l'être juif" et de la "légitimité" de l'Etat hébreu, connurent un grand retentissement - surtout en France. Le livre de Claude Klein se donne un double but : démonter, en historien, l'absurdité des thèses de Shlomo Sand et Surtout, analyser les raisons qui, en France, ont rendu ces "thèses" si populaires. Extrait de "Peut-on cesser d'être juif ?", publié chez Grasset (2/2).

Claude Klein

Claude Klein

Claude Klein est professeur à la faculté de droit de Tel Aviv. Spécialiste de l'histoire du sionisme, il a publié de nombreux ouvrages consacré à la théorie du droit et à l'histoire d'Israël. Il enseigne également dans de nombreuses universités étrangères en France et aux Etats-Unis, au Canada et en Suisse.

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Aux premières pages du dernier livre de sa « trilogie », Comment j’ai cessé d’être juif, Shlomo Sand commence par discuter et critiquer longuement le fait que l’État d’Israël (lui) impose de se recenser comme « juif » de nationalité, tout en soulignant que cet État « s’auto- désigne comme l’État du “peuplejuif” », choisissant soigneusement une terminologie à résonance clairement péjorative (cet État s’auto- désigne… Quelle prétention !). Le ton est donc donné dès l’abord.

De fait, la critique de Sand est double : d’une part sur le plan collectif (l’État s’autoaffirme…), d’autre part sur le plan individuel (l’État veut m’obliger à me reconnaître comme juif). La présente partie porte sur le premier point, c’est- à- dire sur la prétention de cet État à se définir comme « juif » et sur la signification de cette attitude.

Par auto- désignation, il faut, selon Sand, entendre l’affirmation de l’État d’Israël à constituer un État juif ou, plus précisément, l’État des Juifs. Dans la formulation de Sand, « [ses] fondateurs et législateurs ont considéré cet État comme étant la propriété collective des “juifs 2 du monde”, qu’ils soient ou non croyants, et non pas comme l’expression organique de la souveraineté démocratique du corps citoyen qui y réside. »

Oui, l’État d’Israël se présente bien comme l’État des Juifs, ce qui revient à dire qu’il se définit comme l’État- nation du peuple juif. Une affirmation qui se traduit par une longue série de mesures constitutionnelles et législatives. Soulignons cependant que celle- ci trouve d’abord sa source dans la reconnaissance internationale qui a conduit à la création de l’État en 1948 et qu’il n’est sans doute pas inutile de rappeler dans ses grandes lignes pour en dégager la signification précise.

Le 2 novembre 1917, le gouvernement britannique publie le document désormais connu sous le nom de Déclaration Balfour :

Le gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif, et emploiera tous ses efforts pour faciliter la réalisation de cet objectif, étant clairement entendu que rien ne sera fait qui puisse porter atteinte ni aux droits civiques et religieux des collectivités non juives existant en Palestine, ni aux droits et au statut politique dont les Juifs jouissent dans tout autre pays.

La dernière partie de la Déclaration introduit ce que l’on appelle les « réserves », bien moins connues que le corps même de la Déclaration. Celles- ci sont de deux ordres et concernent d’une part les Juifs dans le monde et d’autre part les communautés « non juives » de Palestine (cela vise bien entendu les Arabes). Pour calmer l’appréhension des Juifs qui, dans leurs pays d’établissement, ne se reconnaîtraient pas dans le projet sioniste, c’est- à- dire des Juifs parfaitement intégrés dans leurs différents pays, la Déclaration précise qu’il ne sera pas porté atteinte à leurs droits (des droits chèrement acquis, au prix d’un combat séculaire). On voit donc, dès 1917, poindre ici la future polémique sur la volonté qu’aurait Israël de représenter tous les Juifs et de leur accorder ou octroyer la nationalité israélienne alors même qu’ils n’en voudraient nullement. De même, ce passage relève expressément les droits des Arabes, qui ne devraient pas être lésés par la création du Foyer national juif.

Pour les puristes, il faut aussi indiquer que la nature juridique contraignante de cet engagement ne saurait provenir de son édiction unilatérale par le gouvernement anglais en 1917 (à un moment où la Grande- Bretagne n’a encore aucun titre sur la Palestine, elle n’est alors que puissance occupante), mais de son inclusion dans l’accord de mandat signé en 1922 entre la Grande- Bretagne et la SDN, conférant officiellement à Londres le mandat sur la Palestine, à charge, pour la puissance mandataire, de « mettre en oeuvre la Déclaration du 2 novembre 1917 » et de « favoriser l’immigration juive ». Par ailleurs, n’en déplaise à Shlomo Sand, on trouve, dans le Préambule du texte, la formule suivante, dépourvue de la moindre ambiguïté : « Considérant que cette déclaration comporte la reconnaissance des liens historiques du peuple juif avec la Palestine et des raisons de la reconstitution de son foyer national en ce pays. » Le sionisme n’acquiert- il pas ainsi une pleine reconnaissance de la communauté des nations ?

Certains ne manqueront pas de rappeler que cet accord entre la SDN et le Royaume- Uni traduit une vision politique et diplomatique d’un autre âge, c’est- à- dire d’une période dominée par le colonialisme. Cela est indéniable. Telle est cependant la légalité internationale, renforcée par les décisions de l’ONU en 1947-48. Il n’y en a pas d’autre. Or c’est cette légalité- là qui est à l’origine de l’État d’Israël tel qu’il est conçu aujourd’hui et qui forme donc sa personnalité internationale.

Extrait de "Peut-on cesser d'être juif ?", de Claude Klein, publié chez Grasset, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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